Girma Wake : « Le ciel africain doit être dominé par les transporteurs africains »

À 64 ans, il est à la tête de l’une des compagnies aériennes les plus rentables d’Afrique. Il passe en revue les défis qui attendent le secteur et détaille la stratégie du groupe qu’il pilote depuis 2004.

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 23 décembre 2009 Lecture : 4 minutes.

Mardi 24 novembre, au Centre de conférences international Joaquim-Chissano, à Maputo (Mozambique), la 41e assemblée générale de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa) tire à sa fin. Dans le hall de l’imposante bâtisse construite par les Chinois, des patrons de compagnies aériennes et des acteurs du marché discutent affaires, partenariats… Dans la principale salle de conférences à moitié vide, ceux qui ont résisté aux séances de travail qui se sont enchaînées depuis la veille suivent les derniers exposés sur le thème « Réussir en temps de crise ». Au premier rang de l’auditoire, Girma Wake est tout ouïe. Pourtant, le PDG d’Ethiopian Airlines est déjà un modèle de réussite. Sa compagnie a réalisé plus de 112 millions de dollars de profit net en 2008-2009 (+ 165 % par rapport à l’exercice précédent). Sollicité par Jeune Afrique, il se prête au jeu des questions. 

Jeune Afrique : Ethiopian Airlines a réalisé un profit net record cette année en dépit de la crise qui frappe le secteur. Quelle est votre recette ?

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Girma Wake : Elle est simple et se résume en trois points : se fixer des objectifs, mettre en place un plan approprié pour les atteindre et être très discipliné dans la mise en œuvre de ce ­programme. À cela, il faut ajouter un personnel qualifié qui adhère entièrement aux projets de la compagnie. Nous avons toujours cru en la formation de nos collaborateurs et nous n’avons jamais réduit nos investissements dans ce domaine, même dans les périodes les plus difficiles. Et cela, nous ne le faisons pas qu’en Éthiopie. Au Nigeria, au Togo, au Ghana, en Côte d’Ivoire, mais aussi en Europe, nos employés sont compétents et travaillent avec nous depuis de longues années. Ethiopian Airlines est comme une deuxième maison pour eux. Cela est très important. Un employé épanoui donne le meilleur de lui-même pour que son entreprise survive et progresse. C’est l’un des éléments essentiels de notre stratégie. 

En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, les compagnies peinent à émerger alors qu’elles opèrent sur des marchés à fort potentiel. Comment expliquez-vous cela ?

L’Afrique est effectivement un marché à fort potentiel. Mais si ses compagnies n’arrivent pas à s’imposer, ce n’est pas la faute du marché. Les raisons, vous et moi les connaissons bien. Elles proviennent du manque de stratégies appropriées, de l’absence de coordination et, parfois, d’interférences politiques.

On évoque aussi les coûts d’exploitation élevés auxquels ces compagnies sont confrontées…

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Tout à fait ! Ces coûts sont, dans bien des cas, liés au prix du kérosène. L’Éthiopie n’est pas productrice de pétrole, mais je peux dire que nous achetons notre carburant beaucoup moins cher qu’au Tchad ou au Nigeria, qui, eux, sont pourtant des pays producteurs. Les gouvernements doivent considérer le transport aérien comme un catalyseur du développement économique et aider les compagnies à faire face à ces coûts. Ethiopian Airlines, vieille de 64 ans, continue de progresser grâce au soutien du gouvernement. Il y a, par ailleurs, les coûts liés à la navigation et aux opérations au sol qui sont élevés en raison d’une exploitation non rationnelle des réseaux. Dans certains pays vous trouverez des compagnies qui n’effectuent que deux vols par jour avec des effectifs pléthoriques. Cela revient forcément très cher. On a tendance à vouloir faire beaucoup d’argent sur très peu de vols proposés. On peut pourtant réaliser des économies d’échelle en augmentant la fréquence des vols et le nombre de destinations, mais aussi et surtout en développant des synergies avec d’autres compagnies.

Justement, Ethiopian Airlines a noué plusieurs partenariats en Afrique de l’Ouest, notamment avec Asky Airlines au Togo et avec Nigeria Eagles. Quel profit espérez-vous en tirer ?

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Nous sommes convaincus qu’il y a un espace vide à occuper en Afrique de l’Ouest après la disparition des compagnies comme Ghana Airways, Nigeria Airways… En prenant des parts dans Asky Airlines, nous voulons contribuer à développer un réseau et accroître le trafic dans cette région pour ensuite le drainer vers notre hub, à Addis-Abeba. Cette entreprise peut être un vrai succès. Avec Nigeria Eagles, nous nous sommes engagés à leur fournir des cadres administrateurs et à assurer la maintenance de leur flotte. Nous ne sommes pas actionnaires.

Vous détenez 25 % du capital d’Asky Airlines. Allez-vous augmenter cette participation ?

Si cela est nécessaire, oui. Mais nous voulons donner la possibilité à d’autres opérateurs d’investir dans cette nouvelle compagnie. Nous ne voulons pas qu’elle devienne une entreprise d’Ethiopian Airlines. Tout le monde doit y injecter de l’argent.

En Afrique de l’Est, votre compagnie partage le leadership avec Kenya Airways, considérée comme votre principale concurrente. Coopérez-vous malgré tout ?

Bien sûr. Nous formons, par exemple, des pilotes pour Kenya Airways et mettons parfois des appareils à la disposition de la compagnie kényane. Les deux compagnies tentent de mettre en place des formations communes pour leur management. Par ailleurs, nous pouvons utiliser leurs installations quand elles sont disponibles et vice versa. Aucun accord ne lie, pour l’heure, les deux compagnies, mais au moins nous essayons de travailler ­ensemble dans le domaine de la formation et de la maintenance des appareils. Nous sommes des concurrents mais nous coopérons. Aucune des deux ­compagnies ne représente un danger pour l’autre. La menace vient d’ailleurs. Il vaut mieux nous ­mettre ensemble pour la combattre qu’être rivaux. Tout le monde pense aujourd’hui que le ciel africain doit être dominé par les transporteurs africains. Pour atteindre cet objectif, il n’y a rien d’autre que la coopération. Aucune de nous n’est assez grande et forte pour concurrencer les majors du secteur.

Pour la première fois, Ethiopian Airlines a commandé des avions à Airbus. Est-ce que ce sont les prémices d’un divorce avec votre avionneur traditionnel, Boeing ?

Non, pas du tout. Nous achetons nos avions en fonction des besoins auxquels nous voulons r­épondre. Aujourd’hui, nous estimons que les A350-900 XWB répondent aux exigences des marchés auxquels ils sont destinés. Cela étant, nous avons des commandes en cours auprès de Boeing (cinq B777-200, dix B787 Dreamliner) et de Bombardier (quatre Q400) pour notre marché domestique.

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