Fassi Kafyeke

Responsable de la conception aérodynamique chez Bombardier, cet ingénieur congolais installé à Montréal a participé à la création de plus d’un millier d’avions.

Publié le 23 décembre 2009 Lecture : 5 minutes.

« Quand vous regardez un avion, vous voyez un engin qui avance dans le ciel. Moi, je vois l’air qui s’écoule autour de l’appareil. » L’année dernière, à bord du Bombardier Q400 qui le ramenait du Canada, son pays d’adoption, vers la RD Congo, sa terre natale, Fassi Kafyeke n’était pas un passager comme les autres. Patron du service recherche et développement de l’avionneur canadien, c’est en effet lui qui a conçu l’appareil dans lequel nous avions pris place ! Svelte, le directeur des technologies stratégiques de Bombardier Aéronautique ne fait pas ses 53 ans. Et son regard trahit une cogitation incessante. Le vol s’est-il bien déroulé ? Il avoue avoir passé son temps à regarder par le hublot…

Par le hublot ? Peut-être pour apercevoir, tout en bas, le village de Moba, sur le lac Tanganyika, où il est né, le 30 décembre 1956, d’un père juge et d’une mère enseignante. Ou pour contempler Bukavu, Kinshasa ou Lubumbashi, où il résida avec ses trois frères et sœurs, au gré des mutations de son père. Ou encore – plus difficile ! –, pour tenter de repérer le ministère de l’Éducation, qui, il y a plus de trente ans, lui accorda le droit d’étudier l’aéro­dynamique en Belgique. Ou, tout simplement, pour scruter l’air s’écoulant autour de la carlingue et faire son métier : calculer, inventer, imaginer les avions et les défis techniques de demain.

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Passionné d’aéronautique, Fassi Kafyeke en parle avec les mains, tandis que ses joues s’empourprent discrètement. « Au lycée, mon professeur de maths avait coutume de nous lire des lettres d’anciens élèves. L’un d’eux était parti travailler en Californie, chez le constructeur aéronautique McDonnell Douglas. J’avais toujours rêvé de piloter un avion, mais ce jour-là j’ai compris qu’on pouvait aussi travailler à le construire. Je n’y avais jamais songé. » Par la suite, il n’a plus pensé qu’à ça.

Il n’existe pas, au Congo, de filière d’études supérieures en aéronautique. Alors, à Lubumbashi, le fort en maths entreprend des études d’ingénieur… en métallurgie : « Je n’avais pas le choix, l’industrie minière prédomine là-bas. » Parallèlement, il demande une bourse d’études à Liège, en Belgique, dans l’espoir de suivre les traces de ses deux frères, partis avant lui étudier en Europe. Un matin, au petit déjeuner, le téléphone sonne. « Cette année-là [1976], trente-sept dossiers furent retenus. Le mien était le trente-septième, le moins bon », se souvient-il, dans un grand sourire.

À l’entendre évoquer si simplement son parcours d’étudiant pourtant brillant, on oublierait presque que Fassi Kafyeke figure en très bonne place dans la hiérarchie de son entreprise. N’étaient son costume bien taillé, ses manières de diplomate et la présence à ses côtés de son assistante, on se laisserait presque abuser par la spontanéité du personnage. « Il n’a pas la nervosité des gens de son niveau. Plutôt la sérénité de ceux qui agissent selon leurs convictions et du mieux qu’ils peuvent », confirme Éric Laurendeau, l’un de ses collègues.

Il se considère comme « très chanceux » et tire volontiers son chapeau à ses professeurs, qui, à l’en croire, l’ont poussé à aller plus loin qu’il ne l’avait imaginé : « En 1980, diplôme d’ingénieur civil en aérospatiale en poche, j’étais prêt à rentrer au Congo pour y travailler », dit-il. Un entretien au siège d’Air Zaïre s’était révélé prometteur. « Mais un professeur m’a parlé d’une maîtrise d’ingénierie du transport aérien en Grande­-Bretagne. » C’est qu’il va améliorer ses connaissances en aérodynamique numérique. Et passer l’entretien de sa vie. « Une équipe de Canadair-Bombardier visitait le campus pour recruter des ingénieurs. À l’époque, les Canadiens préféraient immigrer aux États-Unis. Une fois encore, c’est un prof qui m’a conseillé de passer l’entretien. »

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Quelque temps plus tard, Bombardier lui fait une offre. L’occasion est trop belle, plus question de retour en RD Congo. « L’Amérique, tout le monde en parlait. Et moi, j’allais y faire le métier de mes rêves. Le Canada m’a donné tout ce qu’un immigrant demande. Ici, pas d’a priori, on juge sur les compétences. Ma carrière n’aurait pas été si facile en Europe. » Ces dernières années, Fassi Kafyeke n’est pas souvent retourné en RD Congo, « à cause de la guerre ». Mais de l’Afrique, il a toujours gardé « l’empathie et le sens de la famille ».

Précis, logique, sûr de lui mais jamais hautain, le Congolais égrène ses souvenirs. Il atterrit à Montréal un samedi. Le lundi, il est au travail. « Deux semaines plus tard, c’était la fermeture pour les congés d’été. Mais moi, j’étais arrivé avec une petite valise et 100 balles en poche ! J’ai demandé une avance à la direction. »

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Il va passer les vingt-sept années suivantes à imaginer les fuselages, les ailes et les empennages d’une douzaine de modèles. Tout en transmettant son savoir à l’École polytechnique de Montréal. Ses collègues lui reconnaissent une force de travail et une mémoire hors du commun. Sans parler d’un savoir-faire technique acquis au prix d’innombrables heures d’essais en soufflerie…

Son ascension dans l’entreprise n’a pourtant pas été fulgurante. Ingénieur, puis ingénieur principal, puis chef de section, puis responsable de service… « Je n’aime pas le risque, avoue-t-il. Je passe beaucoup de temps à contrôler, à prendre des assurances, à imaginer des implications. Je ne bouge pas vite, mais quand j’ai pris une décision, j’agis avec détermination. »

Fassi Kafyeke est un peu du genre pieds sur terre et tête en l’air. Planant entre les chiffres et les idées. Les mauvaises langues jurent d’ailleurs, en riant, qu’elles redoutent de monter en voiture avec lui. Trop distrait, ce garçon ! « Avec le temps, on apprend à communiquer, à admettre qu’on n’est pas le seul à avoir de bonnes idées et à écouter davantage », dit-il.

Longtemps, la vie de Fassi Kafyeke s’est déroulée entre les quatre murs de son bureau. Sa seconde vie, c’est aujourd’hui ses « quatre autres boss », comme il les appelle : sa femme et ses trois filles. Le week-end, il lâche les avions pour devenir chauffeur de taxi, entre cours de patinage et leçon de danse. « La plus jeune, qui a 8 ans, commence à dévisser des boulons, j’ai bon espoir ! » s’amuse-t-il. Pour ses filles, il n’a qu’un conseil : « Faire ce que l’on aime, être le meilleur, chercher à contribuer et non à profiter. »

Le reste du temps, ce cérébral très doué pour les dates adore lire des romans historiques et des récits antiques. « On doit tirer des leçons du passé. C’est mon côté africain, ça, de toujours me demander : pourquoi une civilisation marche mieux qu’une autre ? Le Congo est riche mais ne décolle pas. Question de caractère de la nation, qui ne s’est défini aucun but et n’a pas trouvé de consensus. Mais bientôt, l’Afrique se réveillera… » Alors ? Alors, Fassi Kafyeke donnera des ailes à ses rêves.

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