Diplomatie européenne : quatre mains pour une partition

Quatre, au moins, des nouveaux dirigeants de l’UE seront appelés à intervenir dans le domaine de la politique étrangère. Quelles seront leurs compétences respectives ? Pour l’instant, c’est le flou artistique !

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 17 décembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Etonnante Europe ! Les initiateurs du traité de Lisbonne voulaient que l’Union ait enfin un visage et une voix, c’est-à-dire un président et un ministre des Affaires étrangères, comme tout État qui se respecte. Dans ces postes tout neufs, on attendait donc des célébrités charismatiques pour incarner une Europe toujours mal identifiée. Or les Vingt-Sept ont, le 19 novembre, nommé deux inconnus : Herman Van Rompuy (62 ans), le Premier ministre belge en exercice, un chrétien-démocrate flamand ; et Lady Catherine Ashton (53 ans), baronne (travailliste) d’Upholland (Royaume-Uni), ci-devant commissaire européenne pour le Commerce.

L’avènement de cette dernière a suscité une bronca. Pour Nigel Farage, chef de file au Parlement européen du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, elle n’est qu’une « pygmée » politique. Selon un autre Britannique, guère plus charitable, la nouvelle « haute représentante pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité » – c’est son titre officiel – n’est « certainement pas Churchill ». Pierre Moscovici, l’ancien ministre français des Affaires européennes, la juge « totalement incompétente », tandis que Daniel Cohn-Bendit, le leader des verts, lui promet « un dialogue musclé » : il n’a pas apprécié qu’elle ait déclaré l’an dernier que « commerce et droits de l’homme sont deux choses absolument différentes ».

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Ce qui caractérise le parcours à la fois discret et spectaculaire de cette petite-fille de mineur et petite-nièce d’éboueur, c’est sa capacité à régler les problèmes. Elle n’est pas vraiment une femme politique. Son leitmotiv, c’est : « Ne t’inquiète pas, on va arranger ça. » Et elle s’y colle à l’université de Londres, où elle étudie l’économie et la sociologie. Puis, en tant que trésorière de l’organisation pacifiste Campagne pour le désarmement nucléaire, en faisant la quête avec un seau lors des manifs. Elle s’y colle à nouveau comme directrice de Business in the Community, une œuvre caritative du prince Charles qui mobilise des entreprises en faveur d’actions sociales, ou comme directrice des services de santé d’un comté.

Fille de prolétaires

En 1999, la descendante de prolétaires entre à la Chambre des lords, par la volonté du Premier ministre Tony Blair, et préside la Chambre haute du Parlement avec une telle maestria qu’elle lui fait adopter le traité de Lisbonne sans coup férir. Elle occupe ensuite les postes de secrétaire d’État à l’Éducation, puis aux Affaires constitutionnelles et à la Justice. En 2008, elle succède à Peter Mandelson au poste de commissaire européen au Commerce. Ses succès ? Un traité de libre-échange avec les Sud-Coréens, malgré l’opposition de l’industrie automobile allemande, un compromis avec les Américains sur la querelle du bœuf aux hormones et un début d’armistice avec les Latino-Américains dans la sempiternelle « guerre de la banane ».

Jamais élue, toujours nommée, elle apprend vite et sait convaincre. « Je ne suis pas un ego sur pattes, dit-elle en souriant. Mais je suis capable de négocier pour obtenir un accord. » Ce n’est ni une fausse modeste (« Je pense que je suis très intelligente ») ni une mégalo, comme le prouve sa réponse aux parlementaires européens qui l’interrogeaient sur sa future politique : « Je n’ai pas encore de cabinet, mais j’ai jeté deux ou trois idées sur le papier. Pour l’instant, je n’ai que moi ; ce n’est pas une excuse, mais la réalité. »

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Depuis le 1er décembre, elle est « la voix » de l’Union, mais ne la fera officiellement entendre qu’à partir du 1er janvier 2010. Pour cela, elle dispose d’atouts que ses prédécesseurs n’ont jamais eus. D’abord, elle est de droit vice-présidente de la Commission européenne. Ensuite, elle présidera les réunions des vingt-sept ministres des Affaires étrangères de l’UE. Enfin, elle fédérera différentes administrations, notamment cent vingt délégations à l’étranger, en un Service européen pour l’action extérieure (SEAE) qui pourrait compter plusieurs milliers de fonctionnaires communautaires et disposer d’un budget de 7 milliards d’euros.

La voix de Lady Ashton sera-t-elle pour autant audible sur la scène internationale ? Parviendra-t-elle, par exemple, à discuter d’égale à égale avec Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine ? Nombreux sont ceux qui tenteront de la cantonner dans un rôle subalterne. Les chefs d’État et de gouvernement s’efforceront de garder la haute main sur la politique étrangère, la règle de l’unanimité étant maintenue en ce domaine.

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José Manuel Barroso, le président de la Commission, tentera pour sa part de la maintenir sous ses ordres – n’est-elle pas sa vice-présidente ? – tandis que Van Rompuy, le président de l’Union, sera tenté de lui rappeler que « le visage » de l’Europe, c’est lui, même si la durée de son mandat n’est que de deux ans et demi, alors que Cathy Ashton est en poste pour cinq ans.

Autre interrogation : la coopération avec les commissaires chargés de fonctions internationales sera-t-elle fructueuse ou conflictuelle ? Il ne devrait guère y avoir de problème avec Rumania Jeleva (40 ans), l’ancienne ministre des Affaires étrangères bulgare, qui supervisera la coopération, l’aide humanitaire et la gestion des crises. Ni avec Stefan Füle (47 ans), un diplomate tchèque formé à l’école soviétique qui fut ministre des Affaires européennes de son pays et se trouve aujourd’hui chargé de l’élargissement de l’Union.

Embrouillamini

Plus délicat devrait être le travail avec le Letton Andris Piebalgs (52 ans), l’ex-commissaire à l’Énergie passé à l’Aide au développement. Ce physicien de formation a en effet pris l’habitude de gérer des dossiers stratégiques impliquant quelques poids lourds comme la Russie ou Électricité de France. Il sera intéressant d’observer la cohabitation entre Lady Ashton et Karel de Gucht (55 ans), son successeur au Commerce. Cet ancien ministre belge des Affaires étrangères se montre souvent… fort peu diplomate. En 2004, il avait par exemple contribué à brouiller durablement son pays avec la RD Congo, dont il stigmatisait le personnel politique, selon lui corrompu.

Ni cet embrouillamini de responsabilités mal délimitées, ni la perspective de travailler avec des personnalités aussi diverses ne douchent l’enthousiasme de Lady Ashton of Upholland. « J’ai passé vingt-huit ans de ma vie à participer à des négociations dans toutes sortes d’enceintes, affirme-t-elle. J’espère que mes compétences prouveront au final que je suis la meilleure pour ce poste. » Pas de souci, on va arranger ça !

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