USFP : j’y suis, j’y reste

La direction des socialistes, emmenée par Abdelouahed Radi, estime que le parti doit rester coûte que coûte au gouvernement. Une ligne qui ne fait guère l’unanimité parmi les militants.

Publié le 15 décembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Les socialistes vont se retirer du gouvernement Abbas El Fassi. Conséquence logique ou projet salvateur, cette perspective revenait avec insistance sur le devant de la scène. Depuis son dernier congrès, en juin et novembre 2008, l’Union socialiste des forces populaires (USFP) n’a pas du tout amélioré ses performances électorales. Après avoir dégringolé, aux législatives de septembre 2007, de la première à la cinquième place, elle n’a guère fait mieux aux consultations locales de juin 2009. De plus, la majorité gouvernementale a volé en éclats, comme on l’a vu lors de l’élection du président de la seconde Chambre (le candidat de l’opposition élu avec les voix de la coalition au pouvoir !). Le grand parti de gauche aurait donc pu se sentir fondé à retourner dans l’opposition pour se refaire une santé. La session du Conseil national, le parlement du parti, qui s’est tenu les 5 et 6 décembre à Bouznika, à 50 km de Rabat, fournissait l’occasion de cette décision « historique ».

Le discours d’Abdelouahed Radi était très attendu dans le parti et au-delà. Le premier secrétaire, 74 ans, s’est proposé de tirer les leçons du processus électoral. On relève d’autant plus ses critiques qu’il ne se départit point de sa bonhomie et de sa modération coutumières. Au cours de ces scrutins, la volonté populaire a été bafouée par les « interventions de l’administration territoriale », par la circulation de l’argent sale. Bref, on a assisté « au retour des anciennes méthodes ». Radi dénonce les « marchands des élections qui ont envahi le champ politique » et favorisé l’émergence de « pseudo-élites ». La première victime de cette situation, conclut le leader socialiste, est la gauche, qui paie son attachement aux valeurs démocratiques. Mais la « crise des mœurs politiques » concerne tous les acteurs, « à commencer par l’État, à travers son administration, qui n’a pas totalement assimilé l’exigence de neutralité, condition de l’édification d’une démocratie moderne ».

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Oublis significatifs

Que faire ? « Plus qu’auparavant, nous devons rester dans les centres de décision, malgré leur caractère restreint et leurs limites. » Donc, surtout, ne pas quitter le gouvernement ! J’y suis, j’y reste. Après son dernier congrès, l’USFP avait adressé un mémorandum au Palais énonçant les réformes constitutionnelles (extension des pouvoirs du Parlement et du gouvernement en particulier). Elle réclame aujourd’hui d’autres réformes portant sur le mode de scrutin et la moralisation du fonctionnement des institutions (interdiction du « nomadisme », le passage d’un parti à un autre au cours d’un même mandat).

Avec qui ces réformes seront-elles mises en œuvre ? Radi ne mentionne même pas la Koutla, l’alliance qui réunit son parti à l’Istiqlal et au Parti du progrès et du socialisme (PPS) ! À croire qu’elle est devenue caduque, comme dirait Arafat… En revanche, il souhaite la constitution d’un « pôle socialiste » rassemblant les multiples formations qui se sont éloignées de l’USFP et qui désirent retourner au bercail.

Deux autres oublis remarquables et lourds de sens. Le premier est celui du Parti Authenticité et Modernité (PAM), diligenté par Fouad Ali El Himma voilà un an et qui a bousculé la classe politique en devenant la première formation du royaume. Pas un mot, aucune allusion transparente. Faut-il en déduire que le statut du « nouveau venu », comme le désignaient il y a peu avec une certaine condescendance les socialistes, a changé à leurs yeux et que l’adversaire est en passe de devenir partenaire ? Second oubli : le Parti de la justice et du développement (PJD). Pas la moindre mention. Alors que, hier encore, les socialistes n’excluaient pas de faire un bout de chemin avec les islamistes, contractaient avec eux des alliances ponctuelles (comme celle qui a permis à Fathallah Oualalou de conquérir la mairie de la capitale), ou stratégiques dans l’opposition. Il convient d’ajouter que les deux oublis n’ont pas la même signification et obéissent même à des objectifs opposés. Dans un cas, on ne parle pas du PAM pour mieux atténuer l’hostilité qu’il suscite au sein de la base et favoriser un éventuel rapprochement avec lui. Dans l’autre, on passe sous silence le PJD pour mieux réduire les sympathies à son endroit et mettre fin à des velléités de coalition avec lui. De toute façon, il faut choisir : les socialistes ne peuvent cumuler l’amitié de ces deux partis qui ont le vent en poupe et qui sont l’un pour l’autre des ennemis déclarés.

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Schizophrénie

Cette stratégie d’alliance USFP-PAM qui s’esquisse ne manque pas de réalisme et pourrait être couronnée de succès. Mais elle risque de rester confinée dans un premier temps dans le domaine du non-dit et de l’inavouable tant elle paraît contre nature aux militants socialistes. D’ores et déjà, elle suscite des critiques acerbes qui méritent toute l’attention. Ali Bouabid, 42 ans, membre du bureau politique, a tenu à boycotter le Conseil national. « Les jeux étaient faits », confie-t-il à Jeune Afrique. Il adopte une position à la fois rigoureuse et nuancée. Ce qu’il critique, c’est que le maintien au gouvernement soit un postulat. Il recommande que les réformes figurent sur le programme du Premier ministre, assorties d’un calendrier précis. À cette condition, les ministres socialistes restent en poste. Si ledit programme n’est pas exécuté, ils doivent démissionner. Sans quoi, ajoute le fils d’Abderrahim Bouabid, qui a hérité du chef de la gauche disparu en 1992 la passion de la vérité, nos ministres ne seront que des fonctionnaires sans responsabilité. Et puis il tolère mal la « schizophrénie de ses camarades qui siègent au gouvernement et critiquent les maux du pays comme s’ils n’étaient pas concernés. Comment Abdelouahed [Radi, le premier secrétaire] peut-il se contenter de dénoncer le rôle de la corruption et de l’argent sale dans les élections alors qu’il est ministre de la Justice ? Qu’a-t-il fait pour les combattre ? »

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Et Bouabid est au comble de l’indignation lorsqu’il entend le chef du parti considérer le gouvernement El Fassi comme un moindre mal, citant l’adage marocain selon lequel le sort du borgne est préférable à celui de l’aveugle. Au sein du bureau politique (22 membres), les partisans de sa ligne ne doivent pas dépasser les doigts d’une main. C’est sans doute différent parmi les jeunes générations, qui voient dans le langage exigeant d’Ali Bouabid le reflet le plus fidèle de l’histoire de leur parti. 

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