Louisa Hanoune, la dame de fer algérienne
« Elle est le seul homme politique du pays », disait d’elle le chef islamiste Ali Benhadj. Aujourd’hui, elle est la seule femme dans le monde arabe à diriger un parti devenu leader de l’opposition. Écoutée et respectée de tous, elle pèse de manière décisive sur les choix nationaux. Un tour de force qui l’a auréolée d’un immense prestige. Portrait.
Louisa el-Djazaïriya. « Louisa l’Algérienne ». C’est ainsi que ses militants et ses électeurs, mais pas seulement, appellent désormais la porte-parole du Parti des travailleurs (PT). Un parcours semé d’embûches, un discours où se mêlent dialectique et humour populaire, qu’elle délivre aussi bien en arabe qu’en français avec quelques ingrédients en tamazight, et un charisme naturel ont valu à Louisa Hanoune ce surnom prestigieux que seules deux personnalités contemporaines avaient reçu avant elle : Warda, diva de la chanson arabe, et Djamila, héroïne de la guerre de libération, immortalisée par le cinéaste égyptien feu Youssef Chahine. Une consécration nationale que l’intéressée n’a franchement pas volée.
En quelques années, Louisa Hanoune s’est imposée comme l’une des personnalités les plus en vue du paysage politique de son pays. Et fait du même coup figure d’exception. À 55 ans, Louisa Hanoune est la première femme dans le monde arabe à diriger un parti devenu leader de l’opposition, avec ses centaines d’élus locaux, implantés dans toutes les régions du pays, et ses vingt-six députés, très actifs en matière de projets d’amendement aux textes discutés ou de questions orales au gouvernement. Première candidate à une présidentielle dans le monde arabe, en 2004, elle récidive en 2009. « De la simple figuration », ironisent ses détracteurs au regard de la modestie des suffrages recueillis : 100 000 en 2004 et plus de 600 000 en 2009. Louisa Hanoune ne tire aucune fierté de cette progression de 500 %. Son motif de satisfaction est ailleurs et a pour nom : loi de finances complémentaire (LFC) 2009. Ce texte, adopté en juillet 2009 par le Parlement, consacre le retour du patriotisme économique et la réhabilitation du secteur public au détriment de l’option libérale qui caractérisait jusque-là la stratégie de développement choisie par le président Abdelaziz Bouteflika depuis son retour aux affaires, en 1999. « Dans la lettre et l’esprit, la LFC a soigneusement repris tous les amendements que nous avions déposés en novembre 2008, lors du débat parlementaire autour du budget de l’État pour l’exercice à venir, et qui avaient tous été récusés par les députés de la majorité présidentielle, déclare avec une pointe de fierté Louisa Hanoune. Aujourd’hui, les élus de cette même majorité applaudissent, toute honte bue, les amendements qu’ils nous avaient rejetés à la face. Cette Assemblée est indigne et doit par conséquent être dissoute. » Des législatives anticipées. Tel est le credo de cette femme qu’Ali Benhadj, ancien numéro deux du Front islamique du salut (FIS, aujourd’hui dissous), qualifiait de « seul homme politique en Algérie ». Mais qui se cache derrière cette femme devenue la dame de fer d’un pays où la vie publique est largement dominée par les hommes ?
Deux fois emprisonnée
Née dans la commune de Chekfa, dans la région de Jijel, en Petite Kabylie, le 7 avril 1954, Louisa Hanoune avait 3 ans quand l’aviation de l’armée coloniale a bombardé son village natal, détruisant totalement la maison familiale. Son père, ouvrier boulanger, sa mère au foyer et sa fratrie (quatre frères et deux sœurs) sont contraints de se réfugier chez des parents à Annaba. Un vrai traumatisme pour Louisa, mais aussi une aubaine. Annaba est une grande ville, et, en milieu urbain, une fille a plus de chances d’aller à l’école. Elle entame sa scolarité au moment où l’Algérie accède à l’indépendance, en 1962. Onze ans plus tard, elle décroche son bac et s’inscrit à l’université pour y suivre un cursus en sciences juridiques. C’est dans le campus d’Annaba, à travers le syndicalisme estudiantin, que naît sa vocation politique, avec des revendications pédagogiques dans un premier temps et sociopolitiques par la suite. Si le pays est verrouillé par un système politique qui bloque toute velléité démocratique, l’Université algérienne grouille d’activités clandestines. Les islamistes préparent le terrain à leur révolution. Les communistes sont opportunément aux côtés du pouvoir pour « mener les tâches d’édification nationales ». Baasistes et berbéristes sont en guerre larvée. Louisa Hanoune est plutôt séduite par le discours trotskiste. Deux organisations clandestines se disputent cette mouvance (lire encadré). Louisa opte pour l’Organisation socialiste des travailleurs (OST). En 1981, elle entre dans la direction de ce groupuscule en prenant la tête de la propagande. Elle devient une star des assemblées générales de la fac de droit à Annaba, puis de celle d’Alger. Ce combat démocratique lui vaut un passage par la case prison à deux reprises. Le 18 décembre 1983, traduite devant la Cour de sûreté de l’État (excusez du peu), à Médéa, pour avoir distribué des tracts exigeant l’ouverture politique, elle est condamnée à six mois de réclusion. Même du fond de sa cellule, Louisa Hanoune ne se tait pas et réclame, en vain, un statut de détenue politique. Son séjour carcéral n’entame pas son engagement. Elle crée une association féministe pour se battre contre le code de la famille. En 1988, retour à la case prison. Cette fois pour avoir dénoncé la torture érigée en système par les forces de l’ordre. Une année plus tard, le multipartisme est enfin reconnu. Elle crée le Parti des travailleurs (PT) pour le résultat que l’on sait. En deux décennies, sa formation, qui ne se réclame plus ouvertement du trotskisme, revendique plus de 100 000 militants payant régulièrement leurs cotisations. Durant ses meetings, l’assistance n’est jamais clairsemée. Adversaires et partisans écoutent attentivement ses discours, et ses interventions à l’Assemblée populaire nationale (APN, Chambre basse du Parlement) sont rarement chahutées par les députés.
La réconciliation nationale ? Elle fut la première à en faire une quasi-obsession au début des années 1990. Elle a dénoncé l’interruption du processus électoral en janvier 1992, qui avait privé les islamistes d’une victoire annoncée, mais elle s’est refusée à internationaliser la crise algérienne en récusant le contrat de Rome, lancé à l’initiative d’une partie de l’opposition sous le parrainage de la communauté de Sant’Egidio, en février 1995. Louisa Hanoune a le souverainisme ombrageux. Prompte à fustiger l’impérialisme américain, la prédation des multinationales et la nocivité du système financier international, la porte-parole du PT a des positions dont la constance confine à la monotonie. Pourtant, son discours séduit de plus en plus ses compatriotes. Elle est également la seule personnalité politique algérienne à ne jamais occulter les dossiers internationaux. La question palestinienne, l’occupation de l’Irak, le néocolonialisme exploitant sans vergogne les richesses du sous-sol africain, les effets catastrophiques des plans d’ajustement structurel, autant de thèmes régulièrement abordés dans ses discours. Allergique à la langue de bois, Louisa Hanoune est une grande oratrice. Elle ne mâche jamais ses mots et place la barre très haut en termes de revendications antilibérales. Elle n’hésite pas à exiger la renationalisation des entreprises privatisées ces dernières années. Et demande publiquement que soit dénoncé l’accord d’association avec l’Union européenne, car « contraire aux intérêts de l’Algérie ». Plus altermondialiste que trotskiste, Louisa Hanoune donne un sérieux coup de vieux au reste de la classe politique. Sa notoriété dépasse celle de grandes figures traditionnelles de l’opposition, comme Hocine Aït Ahmed, Abassi Madani ou encore Ali Yahia Abdennour. Ses adversaires politiques redoutent ses talents de polémiste. Ses têtes de Turc préférées ? Deux ministres réputés proches d’Abdelaziz Bouteflika : Hamid Temmar, ministre de l’Industrie et de la Promotion des investissements, et son collègue Chakib Khelil, chargé de l’Énergie et des Mines. Leur tort ? Ils incarnent le libéralisme au sein de l’équipe du Premier ministre, Ahmed Ouyahia. Mais ce dernier trouve grâce aux yeux de notre dame de fer. Il y a quelques semaines, de fortes rumeurs de remaniement avaient circulé à Alger. Relayées par la presse privée, elles ont pris des allures de campagne visant à la déstabilisation d’Ouyahia. Une nouvelle fois, Louisa Hanoune se singularise et dénonce les lobbies qui tentent d’avoir la tête du Premier ministre, « “coupable”, tonne-t-elle, de porter atteinte à la rente des barons de l’import-import, qui vampirisent notre économie et lorgnent sur nos réserves de change ».
Dernières vacances ? en 1996…
Louisa Hanoune a la haute main sur l’appareil de son parti. La discipline n’y est pas un vain mot. Le PT est la seule formation politique algérienne qui fait signer préalablement une déclaration aux candidats qu’elle investit lors d’une élection. Les postulants s’y engagent à ne pas changer de parti au cours de leur mandat électif. Faute de quoi leur salaire et autres indemnités seraient automatiquement reversés au profit du PT. On lutte contre la transhumance politique comme on peut.
Quand les sessions parlementaires lui en laissent le temps, Louisa Hanoune sillonne le pays à la rencontre de ses militants et électeurs, mais voyage très peu à l’étranger. Son dernier séjour en villégiature date de 1996. Elle s’était offert une semaine de vacances en Grèce pour « recharger ses accus ». Elle a aussi participé à de nombreuses missions de représentation parlementaire. La dernière en date ? À Beyrouth, en octobre 2009, pour participer à une rencontre dédiée au rôle politique de la femme dans le monde arabe. Née dans un pays où le combat démocratique n’est pas un long fleuve tranquille et où les citoyennes sont encore considérées comme des mineures à vie, Louisa Hanoune ne veut pas baisser les bras : elle croit dur comme fer que l’Algérie est prête à installer une femme au palais d’El-Mouradia. Au cours de sa campagne pour la présidentielle d’avril 2009, elle a entamé tous ses meetings électoraux en posant la même question à l’assistance : « Êtes-vous prêts à élire une femme à la présidence de la République ? » Et sans attendre la réponse, enthousiaste, de son auditoire, elle enchaînait en décrivant les premières mesures qu’elle prendrait immédiatement après son élection. Naïve, Louisa Hanoune ? Pas sûr. « L’Algérie est moins conservatrice qu’on ne le pense, assure-t-elle. Elle a été à l’avant-garde du combat contre le colonialisme. Elle est capable d’être la première à mettre à sa tête une femme pour peu que cette dernière défende les intérêts des travailleurs, des jeunes et des retraités. »
Louisa Hanoune, une solution alternative au système algérien actuel ? Ceux qui ironisaient sur ses 100 000 voix à la présidentielle de 2004 rient beaucoup moins aujourd’hui.
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