Faim d’identités
En France, Martine Aubry s’est demandé si les Français n’étaient pas plus préoccupés par leurs fins de mois que par l’identité nationale. La question peut se poser autrement. Est-ce la question de l’identité nationale qui cristallise l’angoisse diffuse des Français sur leurs « fins de mois difficiles » ? Ou ces dernières les amènent-elles mécaniquement à penser à leur identité nationale ? Je m’explique. Dans le premier cas, le sentiment d’être menacé dans leur spécificité culturelle pousserait les Français à désigner les étrangers comme boucs émissaires de la crise, du chômage et du libéralisme économique sauvage qui les menacent. Dans le second, certains Gaulois, persuadés que les immigrés viennent manger leur pain et profiter de leurs acquis sociaux, en arriveraient à croire que leur identité nationale est en péril. Mais on voit que, même en approfondissant un peu la réflexion de la secrétaire générale du Parti socialiste français, cela ne fait pas vraiment avancer le schmilblick…
La Suisse croit protéger son identité nationale en interdisant les minarets. Elle pense que leur présence suffit à faire vaciller la Confédération et présage l’envahissement des mahométans. La question de son entrée ou non dans l’Union européenne, la menace qui pèse sur le secret bancaire, la peur du lendemain, tout cela ne se traduit qu’à travers le rejet du musulman, de l’étranger. Mais le Suisse, a priori, n’a pas de fins de mois difficiles. Sauf qu’il ne peut pas à la fois vouloir refuser certains étrangers et servir de planque à leurs dollars. Tant il paraît évident que l’« identité bancaire » du pays fait partie intégrante de son identité nationale.
L’Égypte s’est levée comme un seul homme contre l’Algérie pour défendre son équipe nationale et, quelque part, son identité. Au nom des Pharaons et d’Oum Kalthoum, elle a traité les Algériens de barbares et de terroristes. Ce faisant, l’Égypte ne s’est pas rendu compte qu’elle a terni l’image de celui qui est à l’origine de son prestige dans le monde arabe : Gamal Abdel Nasser, le chantre du panarabisme. C’est-à-dire de l’identité arabe.
L’Algérie, dépitée, a brandi son identité berbère en guise de bouclier. Des Tunisiens et des Marocains l’ont soutenue. Exit les querelles fratricides, le différend algéro-marocain sur le Sahara occidental… La mémoire de Massinissa et celle de la Kahena ont été exhumées. Là où des politiques s’échinent depuis des années, sans succès, à unifier le Maghreb, le foot a réussi à cristalliser une certaine identité, même partiellement…
Pendant qu’Algériens et Égyptiens continuaient à se vilipender, les Français ont dû se dire : « Toutes ces violences… Vous voyez pourquoi nous tenons à notre identité ! » Il est vrai que les Irlandais étaient rentrés à Dublin sans lever la main sur un Français… malgré celle de Thierry Henry ! Pourtant, ce qui fait l’identité de l’équipe française, c’est qu’elle compte dans ses rangs plus d’un fils d’immigré. Quant aux Égyptiens et aux Algériens, ils ne tarderont pas à comprendre qu’il vaut mieux penser aux fins de mois difficiles et à la carence de logements qu’à la fierté nationale. C’est chez eux que Martine Aubry devrait prêcher…
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