Quelle justice après le génocide ?
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), siégeant à Arusha, en Tanzanie, a tenu quantité de sessions pour juger ceux qui ont été considérés comme les responsables du génocide de 1994. Celles-ci ayant été filmées, on dispose aujourd’hui de plus de 30 000 heures d’images des procès.
Le film de Christophe Gargot, D’Arusha à Arusha, ne se contente pas de profiter de ce matériau pour réaliser un simple documentaire à base d’archives. Car un tel projet aurait consisté à nous proposer de juger la justice internationale sans nous donner réellement les moyens de nous interroger sur sa nature – une « justice des vainqueurs », comme on l’a maintes fois dit à propos du Tribunal de Nuremberg ? Ni sur sa mission – créer une justice universelle chargée des crimes contre l’humanité ? –, ni sur la qualité de son fonctionnement – satisfaisant pour les victimes comme pour les accusés ?
Radio des Mille Collines
Christophe Gargot multiplie les angles et les points de vue et rend impossible toute compréhension réductrice du sujet. Il alterne les images fournies par les caméras du TPIR (installées au plafond) et celles qu’il a tournées lui-même (à hauteur d’homme) dans l’enceinte du tribunal. Il multiplie les séquences qui permettent de resituer l’objet des débats dans son contexte. Il diffuse, par exemple, des extraits des émissions haineuses de la tristement célèbre Radio des Mille Collines. Il se focalise sur des cas emblématiques, en particulier celui du colonel Bagosora, poursuivi comme le « cerveau » du génocide. Il montre en parallèle le fonctionnement de la cour d’Arusha et celui de la « justice populaire » (les fameux gacaca) devant laquelle comparaissent au Rwanda des hommes accusés d’avoir participé aux tueries, et confronte certains de ces hommes aux images du TPIR.
Ce film apparaît ainsi comme une exception dans le paysage très fourni des longs-métrages consacrés à la tragédie de 1994, qui font presque tous assaut de bons sentiments. Il traite avec aussi peu d’idées préconçues que possible les questions complexes que soulèvent le génocide et son traitement par la justice internationale : A-t-il été « planifié » ou seulement « préparé » ? La justice peut-elle faire émerger de ses débats une sorte de morale universelle ? Fait-elle une œuvre de réconciliation ou seulement de punition ? Que l’on sorte de la projection avec plus de questions que de réponses explique pourquoi ce film ne plaît guère aux institutions internationales ou gouvernementales concernées, qui estiment avoir tout résolu au mieux. Mais aussi pourquoi les spectateurs se sentent mieux informés.
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