Comment Dadis a survécu

Le 3 décembre, Moussa Dadis Camara fait l’objet d’une tentative d’assassinat dont il réchappe miraculeusement . Le général Sékouba Konaté assure depuis l’intérim, mais une chasse aux traîtres est lancée: exactions, pillages, violences en tout genre… La Guinée s’enfonce dans le chaos.

Publié le 19 décembre 2009 Lecture : 6 minutes.

La Guinée souffre. La Guinée tangue. Et s’enfonce peu à peu dans le chaos. L’incertitude règne depuis le 3 décembre dernier et la tentative d’assassinat de Moussa Dadis Camara, le président autoproclamé du pays, suivie de son évacuation vers un hôpital militaire de Rabat, au Maroc.

Si Sékouba Konaté, le numéro trois de la junte qui s’est emparée du pouvoir le 23 décembre 2008, assure l’intérim, les Guinéens ne se sont jamais autant sentis livrés à eux-mêmes.

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Au crépuscule, Conakry, la capitale, prend des allures de ville fantôme. Comme aux pires moments des soulèvements populaires de janvier-février 2007 (qui avaient fait 120 morts), les Conakrykas désertent Kaloum, le quartier administratif et des affaires, dès 17 heures. Dans un tohu-bohu indescriptible rythmé par des coups de klaxon et des scènes de panique, ils se jettent dans des taxis et des magbanas (bus de fortune) pour rejoindre leurs domiciles de Hamdallaye, Cosa, Bambeto, Kaporo, Nongo… avant la nuit. Les tirs sporadiques à l’arme automatique font craindre une escalade à tout moment.

Un lourd climat d’insécurité, une absence totale d’État et un nombre d’actes violents sans précédent font du pays un véritable Far West. Affrontements entre militaires et policiers, arrestations arbitraires, règlements de comptes, pillages… tout y passe, au nom de la traque des « traîtres » qui ont tiré sur le chef de la junte.

Deux balles dans le dos

Le 7 décembre, des hommes du « shérif » Moussa Tiégboro Camara, le très redouté ministre chargé des Services spéciaux, de la Lutte contre la drogue et le grand banditisme, vident leurs chargeurs sur des policiers de la commune de Ratoma, à la périphérie de la capitale. L’incident, qui a fait une dizaine de morts, est survenu à la suite d’une banale dispute. Tombés en panne sèche, les sbires de Camara ont voulu s’emparer d’un véhicule de police en patrouille. L’altercation qui s’est ensuivie a dégénéré en bain de sang.

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Le même jour, dans l’après-midi, le remuant quartier de Cosa, dans la haute banlieue de Conakry, est le théâtre d’une terrible expédition punitive. Des « bérets rouges » conduits par Claude Pivi, alias « Coplan », le ministre d’État chargé de la Sécurité présidentielle, sèment la terreur. Des passants molestés, des domiciles privés mis à sac sous prétexte de perquisitions pour retrouver les « traîtres », Elhadj Djoubairou Bah, l’imam de la mosquée du quartier, arrêté, un homme abattu de deux balles dans le dos alors qu’il tentait de fuir en voyant le pick-up des bérets rouges stationner devant son domicile… Son tort ? On a soufflé aux militaires qu’il serait l’un des féticheurs attitrés d’Aboubacar « Toumba » Diakité, l’aide de camp de Dadis qui a ouvert le feu sur ce dernier, le 3 décembre.

Devenu depuis ce jour l’homme le plus recherché de Guinée – le gouvernement a promis 200 millions de francs guinéens (près de 27 000 euros) et une villa à toute personne qui aidera à le retrouver –, Toumba est celui qu’il ne fait pas bon avoir connu ou approché. Son domicile a été saccagé, tous ses proches qui ont pu être retrouvés ont été arrêtés ou éliminés.

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Le 5 décembre, plusieurs de ses fidèles (l’adjudant-chef Mohamed 2 Camara, alias « Beugré », commandant du camp Koundara, son adjoint Mohamed Soumah, le sous-lieutenant Mabinty Soumah et le gendarme Alpha Baldé) ont été arrêtés à Pamlap, à la frontière avec la Sierra Leone. Une vidéo des tortures qu’ils ont subies est aujourd’hui entre les mains de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme. Quelques heures après son incarcération au camp Alpha-Yaya-Diallo, « Beugré » a trouvé la mort. Officiellement, c’est un suicide.

La traque des « traîtres » ouvre la porte à toutes les dérives. Celle du soldat Toumba alimente tous les fantasmes. Une folle rumeur le donne un jour réfugié à l’ambassade de France, le lendemain sain et sauf hors du pays, d’où il aurait fui déguisé en femme. Des témoins soutiennent mordicus l’avoir vu débarquer dans la nuit du 5 au 6 décembre au Tango, un bar prisé du centre-ville. « Il est arrivé vers 2 heures du matin avec des hommes lourdement armés, rapporte l’un d’entre eux. Ils ont acheté quatorze caisses de bière avant de repartir en trombe à bord de pick-up équipés de mitraillettes. »

Son chauffeur et son garde du corps se jettent sur lui pour le protéger

Comment diable un homme que l’on décrit aussi entouré peut-il disparaître dans une presqu’île de Kaloum bouclée, et dont il n’a vraisemblablement pas pu sortir ?

Une seule chose est sûre : la Guinée bascule dans l’anarchie depuis ce 3 décembre où Moussa Dadis Camara a perdu patience. Retranché au camp Koundara contrôlé par son ami Beugré, Toumba, qui savait qu’il avait été désigné par ses anciens amis comme le seul responsable du massacre du 28 septembre, refusait de répondre aux coups de fil de Dadis et de se rendre au camp Alpha-Yaya-Diallo, près de l’aéroport, où le chef de la junte le sommait de le rejoindre.

Le 3 décembre à la mi-journée, Toumba attaque le PM3 de la gendarmerie. Entré en rébellion et soucieux de garnir sa troupe, il libère des éléments qui y sont détenus et les emmène à Koundara, devenu de facto une nouvelle junte dans la junte. Informé, Dadis quitte Alpha-Yaya-Diallo à 17 h 15, escorté de dix pick-up remplis de bérets rouges. Direction Koundara, au bout de la presqu’île de Kaloum. Il trouve son ex-obligé au milieu de ses hommes, le tire autoritairement par la manche et lui lance : « Tu dois revoir les enquêteurs de l’ONU. Personne n’a dit que tu étais coupable. Va répondre aux questions comme le ministre de la Défense et moi-même l’avons fait. » « Et ton neveu Marcel [lui aussi impliqué dans la tuerie du 28 septembre], ne va-t-il pas lui aussi les rencontrer ? » rétorque Toumba. Alors que le ton monte, ce dernier recule pour dégainer et tirer à bout portant. Le chef de la junte s’écroule, touché à la tête et à l’épaule. Toumba tente de l’achever, mais son chauffeur et l’un de ses gardes du corps, Joseph Mokembo, se couchent sur lui pour le protéger. Ils sont mortellement blessés.

Malgré les tirs nourris, une dizaine de bérets rouges réussissent à ramasser Dadis, qui baigne dans son sang, à l’installer, inanimé, dans un pick-up, et à filer vers l’hôpital militaire du camp Samory-Touré, à moins de 1 kilomètre de là. Puis ce qui reste de sa garde rapprochée le transporte par hélicoptère sur la base militaire de Yimbaya, à l’autre bout de la ville, pour le mettre hors de portée de Toumba et de ses hommes.

Informé par Kélétigui Faro, le secrétaire général de la présidence guinéenne, le chef de l’État sénégalais Abdoulaye Wade dépêche six médecins militaires à Conakry et propose d’envoyer un avion évacuer Dadis à Dakar. Médiateur du dialogue politique interguinéen, le président burkinabè Blaise Compaoré s’active au même moment pour trouver une terre d’asile médicale à Dadis. Le lendemain, à 11 h 10, un avion décolle de l’aéroport de Gbessia avec, à son bord, outre des médecins, Dadis et Moussa Tiégboro Camara, lui aussi blessé.

Tour des garnisons

Rentré en urgence du Liban où il se trouvait en mission, le 4 décembre, Sékouba Konaté a pris les rênes du pays. D’ordinaire enclin à pousser un tiers sur le devant de la scène pour mieux tirer les ficelles, il ne pouvait plus se dérober : Mamadouba Toto Camara, le numéro deux de la junte, avait précédé Dadis de plusieurs jours au Maroc pour y recevoir des soins médicaux.

Le 9 décembre, Konaté fait le tour des garnisons de Conakry et tient un discours de fermeté. Le nouveau président par intérim prend peu à peu le pouvoir dans un contexte lourd de dangers, pour lui-même et pour la Guinée. 

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