Des banques d’Afrique centrale en plein doute
La mise sous administration provisoire de filiales du groupe Commercial Bank illustre la fragilité du système bancaire de la zone. Il lui faut réagir pour résister à l’offensive des banques nigérianes, marocaines et francophones d’Afrique de l’Ouest.
Pour les acteurs bancaires de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (Cemac), c’est un nouveau coup de tonnerre dans un secteur qui n’en finit plus de trembler. Hier présenté comme un fleuron du secteur bancaire d’Afrique centrale, Commercial Bank a vu en septembre, puis le 5 novembre, ses trois filiales bancaires et son établissement financier placés sous administration provisoire par la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac). Et alors même qu’Yves Michel Fotso, le fondateur, s’était prévalu auprès de la Cobac, fin septembre, de l’appui financier du Cameroun pour se renflouer. Un soutien sans effet sur la décision de la commission. Provoquant le désarroi parmi les 600 personnes que le groupe emploie au Cameroun, en Centrafrique et au Tchad.
Aussitôt, les conseils d’administration ont été écartés, tout comme l’ont été les organes de direction. Les actionnaires, et en premier lieu Yves Michel Fotso, conservent encore leurs titres de propriété, mais pour combien de temps ? « À l’issue de la période d’administration provisoire, explique un avocat, soit les banques seront cédées, soit leurs actionnaires les conserveront, mais à la condition de les recapitaliser. »
Pour l’homme d’affaires camerounais, considéré il y a une décennie comme un modèle dans la région, c’est le nouvel épisode d’une série de mises en cause après son passage à la tête de la compagnie aérienne Camair. Pour ses confrères banquiers, c’est un élément de plus dans la liste des difficultés du secteur. En quelques années, le gouffre s’est creusé avec les groupes bancaires d’origine ouest-africaine. En trois ans, Ecobank a multiplié par quatre son total de bilan en dollars, pour dépasser les 8 milliards en 2008. Dans le même laps de temps, un autre acteur ouest-africain, Bank of Africa (BOA), a multiplié par près de cinq ses bénéfices en euros.
Un dangereux cocktail
BGFIBank, poids lourd bancaire de la Cemac, est loin d’atteindre ces performances : le groupe gabonais était en 2008 près de deux fois plus petit que BOA et six fois plus qu’Ecobank. Même s’il est difficile de tirer des conclusions similaires pour Afriland, celui-ci ne publiant pas de résultats consolidés, il est clair que le camerounais pèse moins que ses concurrents ouest-africains. Quand BOA est installé dans onze pays africains, qu’Ecobank l’est dans vingt-huit, Afriland ou BGFIBank ne dépassent pas les cinq implantations… Pis, les groupes de la Cemac sont désormais largement concurrencés sur leur propre terrain : Ecobank est implanté dans tous les pays de la Cemac à l’exception de la Guinée équatoriale ; le nigérian United Bank for Africa est d’ores et déjà présent au Cameroun et au Tchad.
Faiblesse des fonds propres, mauvaise maîtrise des risques dans des économies peu diversifiées, prêts consentis aux « amis », le dangereux cocktail qui menace les banques de la Cemac est bien connu. Dans l’affaire Commercial Bank, la Cobac estime ainsi que les crédits accordés aux nombreuses sociétés du groupe Fotso ont été trop importants, faisant peser un risque élevé sur la solidité du groupe. Il faudrait porter les fonds propres (qui étaient à – 1,35 milliard de F CFA en décembre 2008) à 4,85 milliards de F CFA (7,4 millions d’euros) à fin 2011 et lancer un emprunt d’au moins 7 milliards de F CFA (10,7 millions d’euros) pour remettre à flot le groupe.
Un consultant, ancien banquier dans la région, poursuit : « Dans cette zone, les groupes bancaires sont très influencés par un homme ou un groupe familial. Cela empêche souvent la modernisation et l’adoption de règles de bonne gouvernance. » Dans le panorama bancaire de la Cemac, des filiales de banques françaises peu dynamiques côtoient quelques banques ou groupes locaux qui n’ont pas encore démontré leur capacité à véritablement se développer à l’international. Si le premier compte à son tour de table l’agence de développement néerlandaise FMO, il est majoritairement détenu par un seul homme, entrepreneur multicasquette, Paul Fokam. Quant à BGFIBank, son actionnariat, beaucoup plus éclaté, est davantage politique qu’économique. Coté en Bourse, Ecobank est en revanche détenu par 180 000 actionnaires, dont plusieurs grandes institutions de développement comme la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale. Alors que son développement tenait encore il y a peu à un seul actionnaire et dirigeant, Paul Derreumaux, BOA a su faire sa révolution et trouver en la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE) un partenaire de renom et un actionnaire puissant.
Rivalités entre les États
« Mais ce n’est pas l’unique problème que connaît la zone Cemac, tient à souligner l’un de ceux qui ont participé à la création du groupe Commercial Bank. Les États y sont très jaloux de leurs prérogatives nationales et, même avec des autorisations en bonne et due forme, vous n’êtes jamais certain de pouvoir exercer dans tel ou tel pays. » Comment expliquer autrement que par cette vive jalousie entre États que le gabonais BGFIBank n’ait toujours pas de filiale bancaire au Cameroun ? Ou qu’Afriland n’en ait pas au Gabon ? Alors que, en quelques années, un jeune groupe comme celui de Banque Atlantique a réussi à tisser son réseau dans toute la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), les groupes bancaires de la Cemac préfèrent désormais regarder vers la RD Congo, l’Angola ou le Soudan, voire l’Afrique de l’Ouest, plutôt que vers les autres pays de la Cemac…
« Pendant longtemps, cette zone a été considérée comme le bon élève, explique un banquier ouest-africain. On a découvert qu’il n’en était rien. En Afrique de l’Ouest, la commission bancaire de l’UEMOA a un poids réel. » En Afrique centrale, en revanche, la Cobac semble intervenir trop tard pour certains, mal à propos pour d’autres. Plusieurs affaires récentes ont souligné l’instabilité juridique qui règne dans la zone, posant de nombreuses questions quant à l’organisation du secteur bancaire régional, le poids des États, celui des différentes institutions judiciaires et celui de la Cobac… Alors que la gestion de la Commercial Bank faisait l’objet de doutes depuis plusieurs années, pourquoi avoir donc tant tardé ? En Afrique de l’Ouest, les comptes de la Banque Atlantique étaient considérés comme comportant certains risques. Son principal actionnaire, Koné Dossongui, a été poussé par les autorités monétaires à mieux organiser et à séparer ses différentes activités d’homme d’affaires. Ce, afin de conforter la solidité du groupe.
Arrivée de nouveaux acteurs
Le paysage bancaire de la Cemac semble toutefois changer peu à peu. L’arrivée de nouveaux acteurs, comme Ecobank ou Attijariwafa Bank, en est un signe. Les groupes bancaires locaux semblent quant à eux de plus en plus conscients des défis de demain. Dès 2007, le groupe Commercial Bank annonçait son ouverture à la SFI et à la Banque européenne d’investissement. Mais les 10 millions d’euros que ces deux institutions souhaitaient investir au capital de Capital Financial Holdings, le holding luxembourgeois créé en 2005 par Yves Michel Fotso, ne l’auront jamais été. Depuis plusieurs années, la FMO et Paul Fokam travaillent à l’amélioration de la gouvernance et des méthodes de gestion au sein des filiales d’Afriland. Et une nouvelle étape vient d’être franchie avec la création d’un holding en Suisse. Baptisé Afriland First Group SA, il regroupera sous peu toutes les participations bancaires de Paul Fokam, ouvrant sans doute une nouvelle ère de développement pour ce groupe. BGFIBank n’en est pas là, mais la reconfiguration des forces à la suite du décès d’Omar Bongo Ondimba pourrait donner un coup d’envoi à cette réorganisation. Alors que Commercial Bank semble devoir rejoindre Amity Bank dans la liste des banques locales cédées à des banquiers étrangers à la Cemac, l’évolution des établissements de la zone paraît inéluctable. À moins que personne ne tienne à conserver de solides groupes bancaires locaux.
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