Maroc, Tunisie : plus de peur que de mal ?

Les nombreux mégaprojets lancés par les Émiratis vont connaître un coup d’arrêt, voire être annulés. Mais les milieux financiers et bancaires se veulent rassurants.

Publié le 14 décembre 2009 Lecture : 5 minutes.

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L’annonce de la crise à Dubaï ne semble pas inquiéter outre mesure les milieux financiers et bancaires au Maroc. « Sur la place boursière nationale, compte tenu de la faible présence des capitaux arabes, il devrait y avoir peu d’effets directs, indique Karim Amara, directeur de la Division des études économiques et financières du groupe Banque centrale populaire. Il n’y aura sans doute pas de “surréactions” étant donné que l’activité boursière est actuellement en repli et enregistrera, selon toute probabilité, sa deuxième année de performances négatives. » Même son de cloche du côté de Sud actif groupe finance (Sagfi), qui chapeaute MSIN, l’une des premières sociétés boursières du pays. Selon son président, M’hamed Sagou, « les conséquences seront modestes, voire nulles au niveau de la Bourse ».

Beaucoup de questions

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Sur les investissements directs étrangers (IDE), le repli spectaculaire est déjà observé depuis quelques mois, les difficultés de Dubai World ne faisant qu’accentuer le scepticisme quant à une reprise des investissements émiratis au Maroc. Un scénario qui pose avec acuité la question de l’accompagnement des financements au Maroc. De 3,24 milliards de dirhams (environ 282 millions d’euros) au premier semestre 2008, faisant des Émirats le deuxième investisseur au Maroc derrière la France, les IDE émiratis ont en effet chuté à 576,8 millions de dirhams au premier semestre 2009, soit une baisse de 82,2 %, selon les chiffres de l’Office des changes.

Pour l’heure, les interrogations demeurent sur la poursuite des travaux du projet immobilier Amwaj, à Rabat, par Sama Dubai, la branche internationale de développement et d’investissement du groupe Dubai Holding. En raison de la crise économique et immobilière mondiale, Sama Dubai, actionnaire à 50 %, avait annoncé la suspension temporaire des travaux en début d’année. Le chantier, seconde séquence du mégaprojet d’aménagement de la vallée du Bouregreg, est estimé à 2 milliards d’euros, dont la moitié a été financée par Sama Dubai. « À ma connaissance, la filiale du conglomérat n’a pas annoncé qu’elle souhaitait se retirer de ce projet. Et, même dans ce cas, les Émirats arabes unis se seraient engagés à prendre la place de Dubaï, rassure Mohamed Berrada, président du centre de recherches juridiques, économiques et sociales Links et ancien ministre des Finances. La plupart de ces grands projets sont extrêmement rentables, ont été négociés avec des prix du terrain très avantageux. Si un investisseur se retire, d’autres organismes internationaux et marocains sont prêts à prendre le relais immédiatement. »

Pour Jean-Christophe Batlle, directeur général d’Euler Hermes Acmar, filiale marocaine du leader mondial de l’assurance-crédit, « Abou Dhabi n’a absolument pas intérêt à ce que Dubaï et les Émirats soient frappés de discrédit. Il a le cash nécessaire pour venir épauler le petit frère […]. Mais il est peu probable que Dubaï consacre une partie des liquidités disponibles à de nouveaux projets sur le Maroc ou ailleurs. »

En Tunisie, aucune des filiales de Dubai World n’est engagée. Le pays n’est donc pas censé subir les effets des difficultés financières du conglomérat émirati. C’est ce que soutiennent les milieux concernés dans la capitale tunisienne. Mais on ne peut pas dire pour autant que la Tunisie soit totalement à l’abri. En effet, deux filiales de Dubai Holding – Sama Dubai et Tecom-DIG – y ont de gros intérêts. En outre, une filiale de Dubai World, Emaar Properties (immobilier), avait en vue un mégaprojet touristique dans le pays. Et comme l’émir de Dubaï, Cheikh Mohamed, contrôle à la fois Dubai Holding et Dubai World, la boucle est bouclée : les mégaprojets émiratis, y compris ceux lancés par des groupes privés, sont fortement exposés aux effets de la crise.

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Les déboires de Tecom-DIG

« La plupart de ces projets dans la région, confie un banquier de la place, devraient être annulés et pas seulement suspendus, comme le disaient jusque-là leurs promoteurs. Dans le cadre des restructurations en cours et pour rembourser leurs dettes, ceux-ci vont devoir sacrifier en premier lieu leurs projets et actifs à l’étranger. » « Suspendus » depuis mars à la suite de difficultés financières, les travaux pour la construction d’une ville nouvelle, baptisée La Porte de la Méditerranée, sur les berges du Lac Sud de Tunis, devraient donc être définitivement abandonnés par Sama Dubai, qui n’a d’ailleurs pratiquement rien dépensé à ce jour, les 900 hectares de terrain ayant été acquis au dinar symbolique le mètre carré et l’État tunisien ayant financé les infrastructures de base. À moins d’un miracle, il sera donc difficile à Sama Dubai de mobiliser les 25 milliards de dollars qu’il estime nécessaires à la réalisation de ce projet en quatorze étapes sur une période de quinze ans.

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Pour les mêmes raisons, Tecom-DIG, qui n’a pas été en mesure de mobiliser les fonds pour acquérir les 16 % de participations manquantes lui permettant de contrôler 51 % du capital de ­Tunisie Télécom, le principal opérateur de télécommunications du pays, aurait informé le gouvernement tunisien qu’il envisageait de céder ses 35 % de parts, ­acquises pour près de 2,5 milliards de ­dollars. Emaar affiche toujours, et ce depuis 2006, ses plans pour la construction de Marina al-Qoussour, un mégacomplexe touristique balnéaire à ­Hergla, près de Sousse, pour un investissement estimé à quelque 2 milliards de dollars, mais aucune concrétisation n’a suivi. Al-­Maabar, un groupe privé émirati, a annoncé en 2008 ses plans pour un complexe touristique et immobilier dénommé Bilad al-Ward (« le pays des roses ») entre la plage de Raouad et la ville de l’Ariana, près de Tunis, mais les fonds, estimés à 10 milliards de dollars et dont une partie devait être levée sur les marchés financiers, ne semblent pas avoir été mobilisés.

Le seul mégaprojet venu du Golfe qui semble tenir la route est celui du groupe émirati privé Abou Khater. Les travaux de génie pour la construction de la première tranche d’un complexe immobilier dénommé Tunis Sports City se poursuivent aux abords de la route reliant la capitale à la banlieue huppée de La Marsa. C’est peu par rapport aux attentes suscitées chez les Tunisiens par la ruée des investisseurs du Golfe. Déjà, en 2007, un officiel chargé du dossier estimait le total des investissements « golfiques » attendus à 60 milliards de dollars et le nombre des emplois induits à plusieurs centaines de milliers, suscitant une fièvre du Golfe qui s’est aussi ­traduite par une ruée en sens inverse vers l’eldorado émirati. À tel point qu’une liaison aérienne quotidienne Tunis-Dubaï a été ouverte. La plupart des 12 000 Tunisiens résidant dans l’émirat s’adonnent à des activités commerciales, profitant d’une plaque tournante régionale devenue aussi une place financière de premier choix. D’autres y ont gagné beaucoup d’argent grâce à la bulle immobilière, mais ils ont enregistré de grosses pertes depuis qu’elle s’est dégonflée. 

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