L’Afrique centrale à l’heure des choix

Le 10e sommet de la Cemac, prévu le 14 décembre et repoussé à janvier, se tiendra à Bangui. Cette première édition depuis la mort d’Omar Bongo Ondimba doit être l’occasion pour les chefs d’État de régler leurs différends. Et de répondre aux attentes de toute la région.

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Publié le 14 décembre 2009 Lecture : 7 minutes.

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L’Afrique centrale à l’heure des choix

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Ils sont venus, ils sont tous là, comme dans La Mamma d’Aznavour. En ce mardi 16 juin 2009, autour d’un catafalque surchargé de fleurs, les chefs d’État de l’Afrique centrale rendent un ultime hommage au parrain décédé. Omar Bongo Ondimba est mort, et avec lui vient de disparaître l’unique dénominateur commun entre ces hommes que tout sépare hormis l’espace géopolitique tracé au compas par l’ancien maître colonial. Certes, au sein de la communauté des six pays francophones de la Cemac, Bongo Ondimba ne réglait, dans le fond, aucun problème – surtout à la fin de sa vie, tant les arbitrages rendus par un doyen usé avaient fini par être contestés chez ses pairs. Les querelles d’ego, les conflits d’intérêts, Bongo les diluait, les étouffait sous le poids du consensus mou. Mais avec lui le linge sale se lavait en famille et l’omerta était de règle. Et puis, qui aurait eu le front de l’humilier, de le contredire et de lui faire de la peine, lui qui avait à la fois l’âge, la sagesse, la longévité au pouvoir et la richesse ? Au classement combiné de ces quatre facteurs essentiels, le vieux Batéké de la case à malices gabonaise était le meilleur. Paix à son âme.

En ce cent soixante-septième jour de l’année 2009, l’Afrique centrale s’est donc retrouvée, d’une certaine manière, orpheline. Couvercle ôté sur une boîte de Pandore d’où peut jaillir le meilleur comme le pire. Paysage à nu d’une région au potentiel économique énorme mais confrontée à la brutalité de l’argent facile, celui du pétrole – cinq pays producteurs sur six –, ainsi qu’aux aléas d’une culture communautaire de pure façade, politiquement acéphale, où la méfiance entre chefs est la règle et où la mentalité du cueilleur l’emporte encore, hélas, sur celle du bâtisseur. Au lendemain des obsèques du dernier vestige de la maison Foccart, la bataille pour sa succession a donné un premier goût de la désunion. Chacun, parmi les propriétaires de palais présidentiel dans la région (le terme de locataire, habituellement usité en pareil cas, étant ici hors de propos), avait « sa » solution pour le Gabon et « son » candidat pour le trône. Une bataille qui s’est en grande partie jouée sur le terrain des moyens financiers, ceux dont disposait en propre la famille du défunt étant en définitive supérieurs à ceux de tous leurs opposants réunis, et qui a évidemment laissé quelques traces. Désormais, lorsqu’il rencontre ses pairs de la Cemac, Ali Bongo sait qui a parié contre lui et qui a aidé ses adversaires. Autre conséquence évidente et somme toute logique de la disparition du vieux : le scandale de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac). Avec l’affaire des détournements de fonds massifs du bureau de Paris, dont on ne connaît encore que la partie émergée de l’iceberg, c’est tout un système opaque de circuits financiers mis en place depuis trois décennies qui a en quelque sorte explosé sous le nez des chefs d’État. Si la révélation de ce scandale doit tout au travail d’investigation de Jeune Afrique et rien à la manipulation (mais il est vrai que les choses les plus simples à comprendre sont parfois les plus difficiles à admettre), il est clair que certains dans la région s’en sont réjouis et comptent bien en profiter pour mettre un terme à cet étonnant (et désormais obsolète) « consensus de Fort-Lamy », qui assurait au Gabon, à l’époque le plus riche de la communauté, une prééminence de fait dans la gestion passablement occulte des avoirs de la Beac. La probable accession, lors du prochain sommet de Bangui, prévu le 14 décembre et repoussé à janvier, du Gabonais Hugues Alexandre Barro Chambrier au poste de gouverneur, ne doit pas à cet égard faire illusion. Le grand illusionniste du Palais du bord de mer à Libreville n’est plus là, le Fonds monétaire international (FMI) a profité de la crise pour imposer à toutes les parties prenantes (y compris à la France) un minimum de transparence, et du scandale, finalement, peut ressortir une modernisation et une adaptation de la Beac aux exigences de la mondialisation. À condition, bien sûr, que les chefs d’État sachent prendre leurs responsabilités.

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Dans une Afrique hantée par le syndrome des successions dynastiques, la question – mais est-elle pertinente ? – se pose désormais de savoir qui héritera du fauteuil de sage du village, primus inter pares sous le baobab et grand régulateur des petits conflits, qu’occupait Omar Bongo Ondimba. Passage en revue des critères. Le plus âgé ? Ce serait Paul Biya, 76 ans, sans l’ombre d’un doute. Le plus ancien aux affaires ? Alors ce devrait être Teodoro Obiang Nguema (trente ans), mais la Guinée équatoriale n’est pas membre fondateur de l’Udeac, ancêtre de la Cemac, et si l’on inclut la date de la première arrivée au pouvoir, Denis Sassou Nguesso, chef de l’État en février 1979, soit six mois avant son frère de Malabo, tient assurément la corde. Le plus riche ? Obiang Nguema encore, tout au moins par tête d’habitant, à moins que ce ne soit Paul Biya, PIB camerounais oblige. Le plus sage ? Les trois chefs d’État précités, plus Idriss Déby Itno, s’estiment en mesure de revendiquer ce titre, et nul, sauf à être suicidaire, ne se hasarderait à trancher dans le vif. Seules deux personnalités sont hors compétition : le Centrafricain François Bozizé, hôte du sommet de Bangui, parce qu’il sait que son pays a trop besoin de la solidarité des autres pour risquer d’entrer dans la course, et le Gabonais Ali Bongo, trois mois de pouvoir et 50 ans d’âge, « un bleu » en quelque sorte…

Reste à savoir si tout cela, qui tient en haleine quelques sycophantes prompts à vanter les qualités supposées de leurs chefs, a la moindre importance. En réalité, dans le rôle régional qui était le sien, Bongo père n’aura pas de successeur. Non parce qu’il serait irremplaçable, mais les temps ont changé. Le doyennat qu’il incarnait jusqu’à la caricature n’avait plus grand-chose à voir avec une réalité opérationnelle, et son système avait fait plus que son temps, faute entre autres de moyens financiers pour l’alimenter. Qui, parmi les chefs de la région, est volontaire pour reprendre à son compte une charge aussi honorifique que dispendieuse ? Il y a fort à parier que l’équation se pose en ces termes et que la réponse soit : personne… Le règlement (cosmétique) de certains différends dût-il, faute d’arbitrage, en souffrir, c’est plutôt là une bonne chose et un gage de maturité pour toute la zone Cemac. Mais encore faut-il transformer l’essai et que les patrons, désormais privés de leur recours suprême, apprennent à s’entendre entre eux. 

N’en déplaise aux cassandres

Sur ce dernier point, fort heureusement, le pire n’est pas sûr. Même si les comptes électoraux n’ont pas encore été tout à fait soldés entre le Gabon et la Guinée équatoriale, même si N’Djamena, Brazzaville et Libreville convoitent tous trois le tutorat de la Centrafrique – lequel n’est plus forcément à prendre – et même si la crise de la Beac a généré de lourdes suspicions entre capitales sur le thème « à qui profite le scandale », l’ambiance à Bangui sera plus à la rumba qu’au coupé-décalé. Mais l’équilibre demeure fragile, à la merci des excès de zèle des entourages, comme en témoigne la mésaventure que viennent de vivre deux sages de la région, Denis Sassou Nguesso et Paul Biya. Il a suffi qu’un périodique bricolé en banlieue parisienne par un ressortissant camerounais, à la diffusion incontrôlée et au professionnalisme aléatoire, inconnu en dehors des cercles de la diaspora, publie les bonnes feuilles d’un libelle anti-Sassou Nguesso édité à compte d’auteur par un collectif d’opposants pour que les compteurs s’affolent. Ce qui serait passé inaperçu ailleurs devient ici affaire d’État : contre-attaques et même insultes dans les journaux congolais, longue réplique alambiquée de la présidence camerounaise, envoi d’émissaires à Yaoundé et Brazzaville pour calmer le jeu… En Afrique centrale, hélas, l’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant.

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Pourtant, n’en déplaise aux cassandres, la guerre des chefs n’aura pas lieu. Pas plus à Bangui qu’à Troie dans la pièce de Giraudoux, avec la Cemac dans le rôle de la belle Hélène, Sassou, Biya, Obiang et les autres dans ceux d’Hector, d’Ulysse ou de Demokos. Faute de combattants, mais aussi parce que, au vu de certains signes et selon certaines confidences, les chefs d’État semblent cette fois décidés à ne plus offrir à leurs opinions publiques le spectacle d’une intégration en panne, à la traîne des autres regroupements régionaux. Les contacts en ce sens se sont multipliés ces derniers jours, et les dossiers en suspens – Beac, passeports, Air Cemac, etc. – sont au cœur de la visite officielle préparatoire que François Bozizé, hôte du sommet, a effectuée du 7 au 9 décembre chez son voisin, le poids lourd camerounais. Et si le premier sommet sans « lui » était enfin celui de l’âge adulte ?

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