Internet m’a tué
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 7 décembre 2009 Lecture : 2 minutes.
Pour ceux qui, comme moi, ont la mémoire de ces journées de braise où le Cameroun de l’entre- deux balbutiait sa démocratie et qui se souviennent du camarade Pius Njawé vendant son Messager à la criée sur les trottoirs de Douala, la nouvelle n’a rien de réjouissant. Mercredi 2 décembre, la trentaine de journalistes du plus ancien des quotidiens privés camerounais se sont mis en grève illimitée pour exiger le paiement de… sept mois d’arriérés de salaire. Pius et moi avons souvent croisé la plume comme on croise le fer, sans que le respect réciproque et ce qui ressemble fort à une amitié confraternelle ne se dispersent au tourbillon de la polémique. J’ai toujours admiré le courage de ce self-made man aussi peu doué pour « faire du fric » que je le suis pour cuisiner, Don Quichotte des rives du Wouri dressé contre les moulins à vent de la censure, excessif, brouillon, inventif, maladroit et malin à la fois, passionné surtout par son métier de chien. Imaginer son désarroi face à une salle de rédaction vide, les poches trouées, incapable de réunir les quelques dizaines de millions de F CFA nécessaires à la relance d’un titre mythique après trente années d’existence chaotique et féconde, est un vrai crève-cœur.
Alors qu’une bonne partie des journaux indépendants du continent s’est fourvoyée, parfois dévoyée, sous la conduite de flibustiers qui ne font guère de différence entre un média et un paquet de lessive, Njawé fait partie de ceux qui s’obstinent encore à vivre leur vocation comme un sacerdoce privé des deniers du culte. Expert en bouclages acrobatiques de fins de mois, sourd aux multiples tentations d’un pouvoir tour à tour méprisant et condescendant, ce drôle de bonhomme au phrasé hésitant a vu au fil des années son lectorat solvable s’épuiser, ses annonceurs se raréfier et ses quarante-cinq employés tutoyer la misère pécuniaire. Le coup de grâce, c’est un gros opérateur de téléphonie mobile qui le lui a donné, en retirant la quasi-totalité de son budget publicitaire pour solde de tout compte d’un article jugé irrévérencieux. On a beau se dire que cet emblème de la « nouvelle presse » d’Afrique centrale qu’est Le Messager paie aussi, quelque part, les carences d’une profession nourrie de rumeurs et de bières fraîches plus que d’informations et de vérifications, il est impossible de se résoudre à voir sombrer ce journal né du rêve citoyen de son fondateur.
« Internet m’a tué », confie avec amertume Pius Njawé, qui déplore ses recettes vampirisées par le meilleur et le pire des médias : la Toile et ses araignées mangeuses d’intelligence. Aujourd’hui, l’ancien garçon de courses de Babouantou passé par la case prison espère encore en une recapitalisation de son petit groupe, avec des mécènes respectueux de son indépendance. Les trouvera-t-il, ces marabouts démultiplicateurs de tontines ? Une chose est sûre : Pius Njawé, qui est un homme de piété, croit aux miracles. Et pour une fois, nous aussi…
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