Et si Roman s’appelait Mohamed ?
A l’heure où ces lignes sont écrites, la justice suisse s’apprête à libérer, sous caution, Roman Polanski. Vous le savez, l’arrestation du cinéaste avait divisé la classe politique et les intellectuels français. Deux camps se sont affrontés. D’un côté ceux qui trouvaient honteux de s’en prendre à un artiste de son niveau, à l’Artiste, pour des faits qui remontent à trente ans. Ces partisans répétaient à l’envi que Roman a assez payé, qu’il a beaucoup souffert, que sa mère est morte dans les camps de concentration. Et que, la victime ayant renoncé aux poursuites, ce n’était pas la peine d’en rajouter. Ils précisaient que son œuvre, magnifique, avait conquis le monde. Donc, de grands esprits comme lui ne méritent pas d’être traités comme le commun des mortels. Le deuxième camp, plus à cheval sur les principes, était d’un avis contraire : grand artiste ou pas, Polanski n’en était pas moins coupable. Il devait se soumettre au verdict de la justice. Il y avait eu viol de mineure, et ce n’était pas rien !
Les silencieux, dont je fais partie, ont agi selon un adage arabe : « N’achève pas la bête qui tombe et sur laquelle s’acharnent les couteaux. » Il fallait attendre l’occasion de parler sans blesser, attendre que la bête se relève pour poser les questions qui agacent. Et si Roman s’appelait Mohamed ? Genre artiste de renom arabe, Prix Goncourt afghan, génie de l’écran en terre d’islam. Que se serait-il passé si l’un de ces musulmans avait troussé contre son gré une collégienne appelée Fatma ? Cela aurait provoqué un tollé général. L’imaginaire collectif occidental n’aurait fait qu’un quart de tour ! « Normal, aurait dit ma copine Françoise. Il est mahométan, ce sont des pratiques courantes chez vous, c’est dans la race. Les mecs se marient bien à des filles de cet âge sans jamais déclarer qu’ils les violent, n’est-ce pas ? Y a qu’à lire les bouquins, les filles se font tâter la cuisse au biberon et divorcent avant d’avoir leurs règles. Réfère-toi à la dernière fatwa de cet horrible imam marocain, dont j’ai oublié le nom, qui autorise à épouser les gamines de 9 ans. » Et son voisin islamophobe de renchérir : « C’est écrit dans le Coran et la sunna. Prenez leur Prophète. Elle avait quoi comme âge, Aïcha, hein ? 13 ans. En plus, ils sont capables de nous faire admettre que la gamine est consentante car, dans ces pays-là, monsieur, les femmes ne peuvent que se la boucler. » Et patati, et patata ! Jusqu’à rendre haïssable mon artiste mahométan.
À moins qu’un malin appartenant à cette catégorie qui se fiche de l’âge légal des fillettes, genre psychanalyste ethnique, ne vienne à trouver la chose concevable au nom du « référentiel » religieux et de la tradition locale : « C’est dans leur culture, voyons ! Il y a sans doute des raisons à cela. » À quoi je joue ? Certes pas à excuser Roman ou Mohamed. Mais à montrer à quel point les jugements sont soumis à des grilles de lecture différentes. À rappeler que la bêtise est universelle et que, dans la politique du deux poids deux mesures, les Arabes et les Africains n’ont pas toujours tort de relever la suspicion dont ils font l’objet. Enfin, à chuchoter cette petite vérité oubliée par tous : quels que soient les rôles, ce sont souvent les hommes qui tiennent le haut du pavé, et les victimes l’étage inférieur. Celui des femmes.
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