Quand Amazigh Kateb chante Kateb Yacine

Le fils du dramaturge tourne la page Gnawa Diffusion avec un premier album solo.

Publié le 3 décembre 2009 Lecture : 3 minutes.

Le 17 octobre. Date de sinistre mémoire. En 1961, sous l’autorité du préfet Maurice Papon, de nombreux travailleurs algériens participant à une manifestation du FLN pour protester contre le couvre-feu qui leur est imposé sont assassinés à Paris par les forces de l’ordre.

Près de cinquante ans plus tard, c’est cette date qu’a choisie Amazigh Kateb, ancien leader du groupe Gnawa Diffusion et fils du célèbre dramaturge algérien Kateb Yacine, pour lancer son premier album solo, intitulé Marchez noir, en Algérie et en France. Au cours d’une soirée discrète au Babel Café, à Ménilmontant, entouré d’amis et d’intervenants, il a associé la sortie de son disque à un nécessaire travail de mémoire. « C’est un épisode important lié à l’histoire de nos deux pays et qui a longtemps été passé sous silence. Comme la guerre d’Algérie, que l’on a longtemps appelée “les événements”, de manière hypocrite. »

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Les relations entre la France et l’Algérie comptent parmi les sujets récurrents abordés par le chanteur, natif d’Alger, qui a suivi son père en France à la fin des années 1980. « Le 17 octobre, c’est aussi une occasion de rendre hommage aux porteurs de valises, ces Français qui ont aidé le FLN et participé au combat pour l’indépendance de l’Algérie. »

Paris ouvrier et bidonvilles

Pour Amazigh Kateb, c’est au cœur de ce Paris ouvrier et dans les bidonvilles de la périphérie que se trouvaient les germes de la chanson algérienne qui allait l’inspirer. « Parmi les victimes du massacre, il y avait sans doute les premiers artistes de la chanson algérienne. Des travailleurs, jeunes, sans famille à charge, qui se retrouvaient dans les cafés pour chanter l’exil, et qui se cotisaient pour presser des vinyles à 100 ou 200 exemplaires. On en trouve aujourd’hui encore chez les brocanteurs. »

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Sur un plan plus personnel, ce n’est sans doute pas un hasard si ce premier album solo est arrivé quelques jours avant l’anniversaire des vingt ans du décès de son père. Mort à Grenoble le 28 octobre 1989, Kateb Yacine a laissé un fils de 17 ans un peu désemparé, après une adolescence marquée par le déracinement. L’héritage était lourd à porter pour le gosse impétueux et rebelle qui a néanmoins fini par reprendre, après tant d’années, deux textes de son célèbre père : Bonjour et L’Africain. « Il m’a fallu beaucoup de temps pour parvenir à me plonger réellement dans ses textes », expliquait-il il y a deux ans, à Roubaix, où il retravaillait la pièce Mohamed, prends ta valise ! avec guembri (instrument à corde des Gnawas) et DJ.

« J’ai enfin abordé son œuvre avec sérénité, sans complexes. Auparavant il me manquait le recul, la liberté. Je n’avais peut-être pas encore fait mon deuil. Aujourd’hui, je me replonge une nouvelle fois dans les écrits de ses 20 ans. » Cette œuvre qu’il redécouvre à chaque lecture, Amazigh en parle avec une passion intacte : « Kateb Yacine a travaillé sur le cheminement de l’écriture, c’est une écriture du voyage. Il était avant tout dramaturge, même si c’est son unique roman, Nedjma, qui l’a fait connaître. »

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Autoproduction

Kateb Yacine a utilisé le théâtre comme un moyen pour aller vers les gens et vulgariser sa pensée. Notamment durant les années de l’Action culturelle des travailleurs, une troupe « tout terrain » qui jouait dans « les fermes et les douars, en trois langues : arabe dialectal, français et berbère », raconte le fiston.

Du 26 au 29 octobre, Amazigh Kateb a participé à un hommage organisé à Guelma, dans l’Est algérien, d’où son père était originaire. Il devait tourner à travers le pays avec son groupe, début décembre, et se rendez à Oran, Alger, Béjaïa, Sétif… Et surtout Sidi Bel Abbès où son père, jugé trop remuant par le régime, fut mis au placard, en 1978, à la tête du théâtre régional. C’est là qu’Amazigh a découvert guitare et clavier électriques, lors d’une répétition du groupe Raïna Raï.

Si Marchez noir se place dans la continuité de Gnawa Diffusion – on y retrouve deux compagnons de longue date, Mohamed Abdennour (oud, guitare) et Amar Chaoui (percussions) –, le chanteur donne ici plus de place aux textes, dans un album entièrement autoproduit.

« C’est un peu le rêve de tout producteur, et même le rêve premier de toute la classe ouvrière, garder la maîtrise totale de sa production. Il se trouve que, dans la musique, on a parfois la chance de pouvoir le faire, quand on a quelques économies et qu’on veut rester libre. C’est la base de ce métier. » Comme son nouveau spectacle, l’album s’ouvre, avec le morceau « Bonjour », sur un alexandrin signé de la main de Kateb Yacine : « Voici le coin de boue / Où dormait mon front fier. » 

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