Michael Joseph : « Nous ne resterons pas un simple opérateur dans le mobile »

À 63 ans, le directeur général symbolise la réussite de l’opérateur kényan qu’il dirige depuis 2000. Pionnier du m-banking en Afrique avec M-Pesa, le groupe se lance dans l’Internet haut débit, étend son réseau 3G et contribue au déploiement du câble.

Publié le 14 décembre 2009 Lecture : 5 minutes.

JEUNE AFRIQUE : Dans ce contexte de crise, quel bilan faites-vous de l’année 2009 ?

Michael Joseph : L’année a été plutôt bonne pour Safaricom, malgré des problèmes de ­sécheresse au Kenya, l’inflation des produits alimentaires et le reste. Notre situation financière s’est améliorée et notre chiffre d’affaires a augmenté de 18 %. Nous avons plus d’abonnés et gagné plus de parts de marché en termes de recettes, même si nous constatons un léger recul en termes quantitatifs. 

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Comment avez-vous surmonté la récession  ?

Nous avons su rester concentrés et garder nos abonnés. Grâce à nos services et à nos produits, ils continuent de dépenser de l’argent chez nous. Nous sommes vus comme une entreprise kényane très offensive et sommes très présents dans les zones rurales. Il y a deux semaines, nous avons lancé un système de tarification dynamique, dont le prix change toutes les heures en fonction du lieu où vous vous trouvez. Nous avons su garder un élan. 

Ce succès est-il lié à M-Pesa, votre service de m-banking ?

M-Pesa y est pour beaucoup. Le service compte 7,9 millions d’abonnés, et 10 millions de dollars sont transférés chaque jour, à raison de 40 dollars en moyenne par transaction. Nous faisons une marge de 20 %. M-Pesa est rentable. Mais son succès passera toujours par le volume de transactions réalisées. Pour nous, c’est surtout un produit de fidélisation, qui conforte notre image de marque et apporte une valeur ajoutée autre que celle du profit à court terme. 

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M-Pesa est-il protégé par un brevet ?

Non. Au départ, c’est un appel à projet qui a été lancé en Grande-Bretagne par le Département de développement international britannique (DFID), qui offrait une subvention de 1 million de livres pour renforcer les services financiers auprès des non-bancarisés. Nick Hughes, un ancien de chez Vodafone, a convaincu le groupe de soumissionner et d’inventer un produit adapté à la microfinance qui utilise le téléphone mobile. Vodafone a remporté le concours et engagé à son tour 1 million de livres. Les 2 millions de livres ont été investis pour développer le logiciel. Lorsqu’il a fallu le tester, seul Safaricom a accepté. C’était en 2006. Nous l’avons testé au Kenya comme un produit de microfinance. Et l’on s’est vite rendu compte que limiter M-Pesa à la microfinance était une erreur et qu’on pouvait faire beaucoup plus. J’ai donc décidé de nous lancer à l’échelle nationale, en mars 2007. Nous avons atteint 1,2 million de clients dès la première année, et ça a décollé à partir de là. Vodafone détient donc les droits de propriété intellectuelle sur M-Pesa, et Safaricom lui paie une sorte de redevance. 

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Au Kenya, les banques ont-elles été hostiles ?

Très hostiles, au départ, surtout les banques traditionnelles. Il y a un an, elles ont même tenté de nous faire fermer en faisant pression sur le ministre des Finances. Mais fermer un service de 6 millions de clients devenait difficile. Maintenant, beaucoup de banques nous courtisent, en particulier les ­petites. Aujourd’hui, vous pouvez transférer de l’argent de votre compte M-Pesa vers votre compte bancaire et vice versa très facilement. Les banques se joignent à nous parce qu’elles ne peuvent pas nous évincer. Nous voulons fournir des services aux Kényans exclus du système financier. 

Peut-on verser des salaires avec M-Pesa ?

Oui, de façon ponctuelle, comme dans les plantations de café ou de thé. Nous travaillons aussi avec le gouvernement pour le versement d’allocations et autres prestations sociales. C’est un service parfait pour les petites sommes. Pendant la crise qu’a vécue le Kenya en 2008, les organisations caritatives ont envoyé beaucoup d’argent aux camps de réfugiés via M-Pesa. L’Unicef et la Croix-Rouge kényane font appel à nous pour leurs dons. Prendre en charge les salaires des fonctionnaires serait un défi. Mais on y viendra, au paiement des salaires, à l’achat de biens et de services… Dans l’ouest du Kenya, il y a même des bars où vous ne pouvez plus commander une bière si vous ne réglez pas avec M-Pesa. À force de se faire braquer, ils n’encaissent plus d’argent liquide. 

Le marché des transferts d’argent à l’international vous intéresse-t-il ?

Oui. Nous sommes partis du Royaume-Uni, d’où l’on peut désormais envoyer de l’argent vers le Kenya. M-Pesa y est disponible dans les agences Western Union. Deux de nos distributeurs ont aussi ouvert une boutique à Londres et à Glasgow. Les transferts de fonds à l’international contribueront à imposer M-Pesa dans le monde. Les Kényans de l’étranger transfèrent 150 millions de dollars par an vers leur pays. Nous ciblons le marché informel, les Kényans qui vivent à la marge, sans doute en situation irrégulière. Ils évitent les agences Western Union et préfèrent passer par M-Pesa. Surtout que nous sommes nettement moins chers : 7 livres de commission pour 300 livres transférées. Mais comme les transactions à l’international sont plafonnées, on ne peut utiliser M-Pesa au-delà d’un certain montant. 

Avez-vous connu des problèmes régle­mentaires ?

Nous avons toujours travaillé en étroite collaboration avec les autorités de régulation, c’est l’une des clés du succès de M-Pesa. Au Kenya, le régulateur a mis du temps avant de se satisfaire de ce que nous faisions. La tenue de registres est au cœur de ses préoccupations, comme l’identification des clients et la lutte contre le blanchiment. Au Royaume-Uni, il faut être homologué pour effectuer des transferts de devises, et disposer d’une autorisation de la Banque d’Angleterre pour convertir des livres en shillings. 

Visez-vous d’autres pays où lancer les transferts à l’international ?

Logiquement, dans ceux où il y a des Kényans. L’Ouganda sera sans doute la prochaine cible, puis les pays voisins, le Rwanda et la Tanzanie. Si l’on pouvait se lancer aux États-Unis, ce serait bien, beaucoup de Kényans y vivent. Comme au Moyen-Orient, à Dubaï notamment. 

Quel impact a eu l’arrivée de Seacom et des câbles cette année ?

Le principal avantage est lié à l’optimisation de la bande passante. La navigation a gagné en rapidité. L’utilisation de notre réseau de données par les entreprises s’est beaucoup améliorée. Lorsque nous nous sommes raccordés au câble Seacom, notre activité data a doublé du jour au lendemain. En nous connectant au réseau Teams, dont nous détenons 22,5 % du capital, la capacité a de nouveau doublé. Le prix n’a pas baissé de 90 %, comme tout le monde le prédisait. Mais il va certainement baisser de 70 % pour les entreprises qui se fournissent en gros auprès de nous et de 20 % à 25 % pour les particuliers. 

Ces câbles signent-ils la fin du satellite ?

Il y aura toujours besoin de communication par satellite en Afrique, surtout dans les pays enclavés. C’est aussi une question de redondance, le temps de vérifier que ces câbles sont bien fiables et sécurisés. Puis réduire au fur et à mesure notre réseau par satellite. Et diminuer nos coûts, puisque pour l’heure nous payons pour deux choses. 

Comment voyez-vous 2010 ?

Nous n’allons pas rester un simple opérateur mobile, mais devenir une vraie société de télécommunications. Acquérir deux sociétés wimax, participer à Teams, étendre notre réseau 3G… Tout ce que nous avons fait en 2009 nous a préparés à être un acteur de poids sur le marché du transfert de données par mobiles l’an prochain. Notre stratégie de développement sera nettement axée là-dessus en 2010. Nous voulons porter l’activité data, 17 % des recettes aujourd’hui, à 25 % dans les deux ans. Safaricom a encore beaucoup à faire au Kenya, et je ne veux pas dévier mon regard de la cible. 

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