Chakib Benmoussa : « Plus l’Etat transfère ses pouvoirs, plus le besoin d’Etat se fait sentir »
Il y a un an, Mohammed VI annonçait le lancement d’une dynamique de régionalisation avancée et graduelle. Le gouvernement travaille plus que jamais à la mise en œuvre de ce processus, dont les provinces du Sud devraient avoir la primauté.
Quand l’Afrique réinvente ses villes
Jeune Afrique: Le Maroc va accueillir à Marrakech la 5e édition du sommet Africités, du 16 au 20 décembre. Quels en sont les enjeux ?
Chakib Benmoussa : Ce sommet est avant tout l’occasion d’échanges, de partage d’expériences entre les acteurs réunis : ministres en charge du développement local, élus, universitaires, experts, ONG… Aujourd’hui, avec la crise, le monde se cherche, il a besoin de régulations, et la voix des collectivités locales, souvent plus proches des réalités du terrain parce qu’elles travaillent sur l’économie réelle et non sur l’économie virtuelle, est une voix qui a besoin de se faire entendre.
La crise a-t-elle des effets sur les finances des collectivités locales marocaines, et quelles sont les marges de manœuvre ?
L’augmentation des ressources des collectivités s’est faite à un rythme plus élevé que celui de la croissance économique du pays. En 2009, elles vont encore augmenter, mais les prévisions 2010 tablent sur une stagnation. Le travail de réforme des collectivités locales mené ces dernières années pourrait permettre de compenser, voire d’apporter des ressources complémentaires.
La modification de la charte communale en 2008, ainsi qu’un ensemble de textes sur la fiscalité et les finances locales ont permis de consolider les pouvoirs des communes et d’améliorer leur efficacité. Cela impliquait un travail sur la gouvernance, pour clarifier les responsabilités et veiller à ce que les contre-pouvoirs fonctionnent. Cela impliquait aussi l’amélioration des ressources propres des communes et leur utilisation plus rationnelle. Il n’y a pas eu d’augmentation de la charge fiscale, mais la recherche d’un meilleur rendement.
Aujourd’hui, les capacités d’endettement ne sont pas toujours pleinement utilisées, et, même quand les ressources financières existent, il y a tout un travail à faire sur les ressources humaines et sur l’introduction de mécanismes nouveaux, de type partenariats public-privé, qui permettent de gagner en efficacité.
Quelles sont les différences entre grandes villes et communes rurales ?
Elles portent sur la nature des problèmes posés, mais aussi sur les capacités humaines et de réalisation. C’est la raison pour laquelle nous avons opté pour un accompagnement fort de l’État. Que ce soit pour construire des routes, réaliser l’électrification ou amener l’eau potable, des programmes nationaux ont été initiés et la contribution des collectivités locales rurales à ces programmes n’est souvent que symbolique. Pour les routes en zone rurale, par exemple, la contribution est de 15 %, et, lorsque cette contribution n’est pas possible localement, la direction générale des Collectivités locales utilise alors des fonds de péréquation.
Dans un discours prononcé en 2008 à l’occasion de la Marche verte, le roi a manifesté son souhait d’une régionalisation avancée et graduelle. Qu’est-ce que cela signifie ?
Les régions, bien que renforcées en 1996, ne disposent aujourd’hui que d’un pouvoir de décision. Il s’agit d’aller vers des pouvoirs élargis, de renforcer leurs moyens, d’imaginer un nouveau mode d’élection de leurs instances…
La démarche annoncée par Sa Majesté passe par la mise en place d’une commission, qui doit retenir un modèle de régionalisation au terme d’un large débat, sachant que nous sommes sur des sujets extrêmement complexes en termes de gouvernance. Il s’agit de transférer des pouvoirs aux régions et, donc, de les prendre quelque part. Il s’agit aussi de faire en sorte qu’elles disposent de moyens propres. Il s’agit, enfin, de développer des mécanismes de solidarité. C’est l’ensemble de ces questions qui doit être examiné afin de parvenir à un schéma de régionalisation consensuel.
N’y a-t-il pas un risque de déséquilibre dans le développement économique des régions ?
C’est ce qui rend complexe le processus de régionalisation suivie par le Maroc. Il convient de renforcer les prérogatives et les moyens des différentes régions, tout en préservant l’unité nationale et en sauvegardant les principes de solidarité. Des mécanismes de péréquation doivent pouvoir se mettre en place afin de soutenir les régions les plus faibles. C’est un équilibre délicat, que chaque pays résout en fonction du niveau de maturité de ses institutions.
Et pour les provinces du Sud ?
Dans le cadre de l’initiative d’autonomie pour les provinces du Sud, le Maroc a proposé une régionalisation plus poussée, en soulignant que cette initiative devrait se réaliser dans le cadre d’une solution politique définitive de la question du Sahara avec l’ensemble des parties concernées et dans le respect de l’intégrité territoriale du royaume et de son unité.
Les deux démarches peuvent être complémentaires si le processus politique sous l’égide de l’ONU avance. Mais, à défaut d’un accord sur la question du Sahara, la régionalisation élargie s’effectuera dans un cadre strictement maroco-marocain, avec une priorité qui sera accordée aux régions du Sud.
L’initiative d’autonomie donne de nombreuses prérogatives aux provinces du Sud, peut-on imaginer que cette dynamique s’applique aux autres régions du Maroc ?
La dynamique générale est un renforcement des régions, et l’autonomie est une forme de régionalisation extrême. Ce niveau extrême serait réservé aux provinces du Sud, dont le contexte historique est particulier. Le niveau de régionalisation avancée serait entre la régionalisation actuelle et l’autonomie. La question est de savoir où l’on met le curseur.
Quels sont les montants annuels transférés aux provinces du Sud ? L’autonomie signifierait-elle la disparition de l’aide de l’État central ?
L’autonomie ne signifie pas la fin de la solidarité. L’autonomie signifie des prérogatives propres. Elle signifie qu’il y a lieu de développer des ressources autonomes, mais dans le cadre d’un État unitaire, où la solidarité entre les régions doit être préservée.
Aujourd’hui, les provinces du Sud sont défiscalisées. Les ressources des collectivités locales de ces provinces proviennent d’un mécanisme de péréquation. Par ailleurs, pour la réalisation d’infrastructures, l’État intervient aussi à travers de nombreux programmes sectoriels. Ces mécanismes devraient pouvoir se poursuivre.
Les importants investissements réalisés dans les provinces du Sud l’ont été dans un cadre de rattrapage, il n’y a pas de logique comptable. Au moment de leur récupération, les régions du Sahara étaient largement sous-équipées. Aujourd’hui, elles ont retrouvé un niveau de développement comparable à celui du reste du pays. Et parfois même supérieur, en termes d’indicateurs de développement humain.
La déconcentration accompagne forcément ces réformes, y a-t-il des résistances ?
La déconcentration est nécessaire et doit se faire en parallèle. Plus nous décentralisons, plus il y a transfert de pouvoir et plus il y a besoin que l’État soit présent à un niveau de proximité pour garantir l’unité. Sur les problématiques régaliennes, comme la sécurité, ou sur les problématiques de mise en cohérence et de synergie de l’ensemble des acteurs, la déconcentration demeure une composante essentielle de la nouvelle gouvernance territoriale.
Elle nécessite certainement un effort de l’ensemble des départements ministériels. Sa Majesté a appelé à la mise en place d’une charte de la déconcentration et, en cela, a exprimé la nécessité de renforcer le processus existant.
Au cours des derniers mois, treize nouvelles provinces ont été créées. La création de ces provinces va accélérer le processus de déconcentration et rapprocher les populations concernées des centres de décision de l’État.
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