La ville, enfer ou bénédiction
Tantôt vitrines économiques et culturelles, tantôt terreau d’inégalités et juxtaposition de taudis, dont l’expansion est des plus anarchiques, les agglomérations africaines parviendront-elles à maîtriser leur croissance ?
Quand l’Afrique réinvente ses villes
Les villes grignotent du terrain. Jusqu’à 800 hectares par an à Kinshasa ou à Lagos. Cette voracité est certes disparate, mais elle implique des problématiques communes en matière d’organisation, d’habitat, de développement social et économique.
Si l’Afrique reste le continent où le niveau d’urbanisation est le plus faible (39 %), elle est celui où la croissance urbaine, qui touche tous les pays et les capitales comme les villes moyennes, est la plus forte (jusqu’à 7 % par an). D’une manière générale, les autorités n’ont pas su maîtriser les problèmes liés à cette urbanisation trop rapide. Suscitant de la part des observateurs moult constats et visions cauchemardesques : bidonvilles tentaculaires, rues défoncées, embouteillages monstres, vacarme, insalubrité, insécurité, l’habitat informel et la spéculation foncière bravant encore trop souvent les risques industriels ou naturels (inondations, instabilité des sols). « Quand on regarde aujourd’hui une ville africaine, il y a comme un étalage de la pauvreté », déplore l’architecte sénégalais Pierre Goudiaby Atepa.
Pourtant, ces villes qui se transforment génèrent de plus en plus de revenus – en moyenne, 80 % du produit national brut des pays – et font preuve d’un exubérant dynamisme. Il faut dire que l’âge moyen des urbains est de 18 ans, avec tout ce que cela suppose de créativité et de ressources humaines. Bien géré et valorisé, ce facteur jeunesse peut être un atout exceptionnel.
Un mouvement irréversible
Compte tenu des migrations et, surtout, de la croissance démographique, la population urbaine explose, mais la plupart des États et des collectivités locales continuent de ne pas gérer l’occupation des sols. Plus des trois quarts des territoires urbains sont occupés de façon anarchique, en particulier en périphérie des villes, où habitat informel et bidonvilles s’installent et se développent sans être raccordés à aucun service de base, dans des zones parfois dangereuses, au risque d’être éradiqués du jour au lendemain. D’où l’urgence, pour les pouvoirs publics comme pour les habitants, que les États et les municipalités réglementent, sécurisent et fassent payer le foncier, afin de créer un marché qui valorise à la fois le sol et les constructions – logements, bureaux, commerces, infrastructures, espaces verts…
Les taux d’accès aux services de base tels que l’électricité, l’eau et l’assainissement restent faibles. Moins de deux Africains sur cinq disposent d’eau potable et moins de 10 % des urbains ont accès à un réseau d’égout. Dans le registre « cadre de vie », salubrité et environnement, on pense aussi, évidemment, à la gestion des déchets. Les villes du Maghreb et, au sud du Sahara, Ouagadougou, Yaoundé, Bata ou encore Accra, ont pris le problème à bras-le-corps et les progrès qu’elles ont obtenus sont le résultat d’une réelle volonté politique. À côté de ces bons élèves qui ramassent, trient, recyclent, enfouissent, combien de métropoles africaines – telles Brazzaville ou sa voisine Kinshasa, désormais surnommée « Kin-la-poubelle » – se sont laissé déborder et gangrener par les tas d’immondices et autres bouillons de culture qui défigurent jusqu’aux quartiers les plus chic… La capitale kényane, Nairobi, détient le record avec Dandora : la plus grande décharge à ciel ouvert d’Afrique.
L’échelon le plus pertinent
Pourtant, les institutions internationales, comme l’ONU et la Banque mondiale, reconnaissent que l’urbanisation a une forte influence sur le développement économique et le recul de la pauvreté. Convaincues qu’ils sont l’échelon le plus pertinent pour relever les défis du développement durable, elles appuient désormais nombre de projets locaux et se rapprochent des collectivités locales africaines – villes, districts, provinces, régions – qui, depuis une quinzaine d’années, se sont structurées et viennent mettre de l’ordre dans le chaos urbain.
Dans les systèmes où elles ont pris le plus d’avance, comme au Maroc, au Burkina, au Cameroun ou en Afrique du Sud, celles-ci s’imposent, peu à peu, comme des acteurs majeurs du développement urbain. Et si la plupart des États gardent encore trop de prérogatives décisionnelles et financières en la matière, le transfert des compétences de planification urbaine et de développement local aux collectivités territoriales révèle une réelle efficacité. De Rabat à Durban, les agglomérations qui se sont dotées d’un plan de développement et se sont donné les moyens de le réaliser retrouvent une identité, un patrimoine naturel, historique et culturel, mais aussi un nouveau souffle économique. Notamment à travers la façon dont elles peuvent intégrer la mobilité, avec des réseaux de transports qui répondent aux besoins des habitants et des acteurs économiques, ou encore les nouvelles technologies, de la téléphonie mobile à l’Internet haut débit.
L’urbanisation gagne du terrain et c’est par elle que, en grande partie, se construisent les pays. C’est par elle aussi que la population veut accéder à un meilleur niveau de vie et entrer définitivement dans la modernité. Encore faut-il que les États, mais aussi leurs concitoyens, donnent à leurs villes les moyens d’assumer et d’assurer leur croissance.
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