France : l’homme qui aimait trop les sondages

Nicolas Sarkozy pourrait-il gouverner sans l’aide des instituts spécialisés ? Pas sûr, à en juger par le nombre et le coût – exorbitant en ces temps de crise – des enquêtes d’opinion commandées par ses services.

Publié le 3 décembre 2009 Lecture : 4 minutes.

Les hommes politiques réputés les plus intelligents ont décidément l’étrange génie de se causer de grands embarras pour de médiocres motifs. Ainsi de la fâcheuse affaire des sondages de l’Élysée. Elle éclipse l’effort, pourtant méritoire, de transparence des dotations présidentielles voulue par Nicolas Sarkozy avant qu’il n’en devienne la victime. En décidant d’étendre pour la première fois les compétences de la redoutable Cour des comptes au contrôle de son budget, dans l’intention sans doute d’atténuer le mauvais effet de la forte augmentation de ses crédits et de sa propre rémunération, l’hyperprésident a déclenché la polémique qui le frappe de plein fouet aujourd’hui. Les magistrats ont épinglé au moins quinze études d’opinion facturées à la présidence et « identiques » à celles publiées dans la presse. Ils en dénoncent le « caractère exorbitant » : près de 1,5 million d’euros pour la convention inédite passée entre l’Élysée et Publifact, le cabinet d’études de Patrick Buisson.

Ce journaliste politique est devenu l’un des conseillers les plus écoutés du chef de l’État depuis qu’il fut le seul, en 2005, à lui prédire l’échec du référendum européen. Quand on a la chance de disposer d’un pareil « nez » en politique, on fait tout pour se l’attacher. En 2008, Publifact a facturé à l’Élysée 134 études ou ­enquêtes auprès des différents instituts pour un montant de 1,3 million d’euros sur un total de commandes de sondages de 3,3 millions d’euros.

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L’éventail en est des plus divers : politoscopes, questions d’actualité, popularité de personnalités, « déçus de Nicolas Sarkozy » (sic), suppression du jour férié du 8 mai, et jusqu’à la minute de silence dans les écoles en hommage au dernier « poilu » de la Première Guerre mondiale. On y trouve, bien entendu, d’innombrables « baromètres », certains estampillés « confidentiel », sur la popularité du président, ses déplacements et ses initiatives, ainsi qu’une énigmatique « opinion Jeux olympiques » voisinant avec des études sur le retour de la France dans l’Otan. « Il n’est pas sain que l’Élysée soit le principal client des instituts », fait remarquer François Bayrou, le président du Modem, tandis que la gauche crie à la manipulation de l’opinion aux frais des contribuables.

Au centime près

L’opposition n’a pas obtenu la commission d’enquête parlementaire qu’elle réclamait au nom de son nouveau « droit de tirage » – une par an –, accordé par la récente réforme du Parlement, où l’UMP entrevoit plutôt en l’occurrence un exercice de tir à vue contre le chef de l’État. Pareille ingérence serait contraire à la séparation des pouvoirs. Quant à l’enquête, elle a déjà été menée par la commission des finances de l’Assemblée nationale « avec une précision et une complétude sans précédent » – et c’est un socialiste, Jean Launay, le rapporteur de ladite commission, qui l’affirme. De fait, on n’a jamais autant appris sur le train de vie de la présidence et de son chef. Au centime près.

Dans cet inventaire que n’eût pas imaginé Jacques Prévert, on trouve, pêle-mêle, des frais d’intendance, de réceptions et de réunions de travail, qui ont triplé ; des dépenses de téléphonie mobile et d’accompagnement audiovisuel ; des équipements informatiques, qui mobilisent à eux seuls la moitié des investissements ; des coûts de transport pour emmener partout dans le monde, en avion civil ou militaire, ce président qui ne tient pas en place ; et pour les amateurs de pittoresque, une armoire froide, des climatiseurs, une remorque automobile, du mobilier de jardin…

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À l’inverse de ses prédécesseurs, qui étaient à peine mieux payés que des préfets de région et devaient constamment faire la manche dans les ministères et les entreprises nationales pour boucler leurs fins de mois, Sarkozy a fixé lui-même sa rémunération. Il gagne 19 508,21 euros net par mois, dont une « indemnité de fonction » de 4 226 euros. Crise oblige, l’Élysée s’efforce de donner l’exemple de l’économie. Les effectifs ont diminué de 9 % depuis le début de l’année (de 1 057 à 1 031). Un centre de vœux électroniques a permis de réduire le nombre de cartes de visite. On a rogné sur tous les postes : chauffage, électricité, envoi de courrier par estafette…

Tous les fournisseurs sont mis en concurrence sous la nouvelle surveillance d’un conseiller d’État. Et ça paie : 100 000 euros gagnés sur les marchés, 27 % d’économies sur le tri des pétitions. Tout un chapitre du budget concerne la « moralisation des dépenses » : les bénéficiaires des logements de fonction du quai Branly paient désormais leurs charges locatives ; quant à Nicolas Sarkozy, le rapporteur nous assure qu’il règle directement sur ses propres deniers ses dépenses personnelles et rembourse les menus achats dont on lui aurait fait l’avance « pour des raisons pratiques », ainsi que les frais de traiteur pour ses réceptions ou déplacements à titre privé.

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Coup de hache

Entre toutes ces vertueuses initiatives plus ou moins symboliques, on retiendra surtout le sévère coup de hache dans les crédits alloués aux enquêtes d’opinion, qui seront en 2010 amputés des deux tiers pour tenir compte des objections de la Cour. À l’exception des analyses électorales et des baromètres de popularité toujours riches d’enseignement et d’une grande qualité de commentaires, trop de sondages risque de tuer les sondages. Le pouvoir a-t-il si peu confiance dans son jugement et son action qu’il lui faille à tout bout de champ consulter les Français sur la bonne façon de les gouverner ? Sans pour autant réussir à les convaincre de faire remonter le chef de l’État dans les courbes de popularité s’ils ont décidé de le faire descendre, aux accents triomphants d’une opposition provisoirement requinquée.

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