Algérie-Egypte : le match continue
La tension entre les deux pays n’est toujours pas retombée après la rencontre de Khartoum et la qualification pour le Mondial des Fennecs aux dépens des Pharaons. Mais si, à Alger, on se garde de mettre de l’huile sur le feu, au Caire, le pouvoir a choisi de souffler sur les braises.
Article publié dans le n° 2551 du 29 novembre au 5 décembre
Si l’euphorie de la qualification au Mondial sud-africain est quelque peu retombée en Algérie, avec un retour au train-train quotidien (loi de finances 2010, grève dans l’éducation, insécurité routière…), la déception de l’élimination est encore vive en Égypte. Et les déclarations tonitruantes des Moubarak, père et fils, ne sont pas pour calmer les esprits. Au point que les médias égyptiens se sont crus autorisés à entretenir un climat de haine sans précédent à l’égard des Algériens.
Alaa Moubarak, fils aîné du raïs, a ouvert les hostilités en accusant « le président Bouteflika d’avoir dépêché des commandos d’islamistes repentis pour s’attaquer aux supporteurs égyptiens à Khartoum ». Deux jours plus tard, c’est le président lui-même qui en remet une louche. « Nul ne touchera impunément à la dignité des Égyptiens », clame-t-il, le 22 novembre, devant le Parlement. Gamal, dauphin putatif, enfonce le clou. « Ceux qui ont orchestré les événements de Khartoum se trompent s’ils pensent que cela se passera sans frais. Ils devront subir la colère de l’État égyptien, toutes institutions confondues, et celle du peuple. Nous n’écartons aucune option. » Dans la foulée, Fathi Sourour, président du Parlement, convoque les députés pour une séance extraordinaire avec un seul ordre du jour : l’évaluation de la situation post-Khartoum. Ahmed Nazif, Premier ministre, dirige un Conseil du gouvernement en présence d’Omar Souleimane, patron des services de renseignements. Un vrai conseil de guerre.
Les médias, publics et privés, se lâchent. Talk-shows et autres émissions interactives versent dans l’appel au meurtre. Étudiants, travailleurs ou résidents algériens en Égypte sont terrorisés. Dans le campus de l’université du Caire, les étudiantes algériennes ne quittent plus leur chambre et sont ravitaillées par leurs camarades irakiennes et palestiniennes. Les appels à la raison sont noyés par la vindicte populaire et officielle. Pas même Al-Azhar n’ose un sermon rappelant que les protagonistes du match sont tous musulmans.
Algériens « moins-que-rien »
Que reproche-t-on exactement aux supporteurs algériens, désormais appelés en Égypte les « moins-que-rien » ? D’avoir bousculé des membres de la délégation de Gamal Moubarak (artistes, cinéastes, chanteurs, bref, la jet-set cairote) et de s’en être pris à des supporteurs égyptiens. Bilan : selon les Soudanais, 4 blessés ; selon les Égyptiens, 21 blessés, « légers », précise le ministre de la Santé de Moubarak.
À Alger, on s’abstient de commenter officiellement les injures et les actes d’hostilité (le drapeau algérien a été brûlé par des représentants du… Barreau égyptien). Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur, préfère évoquer l’attaque contre le bus de l’équipe algérienne, déplorant le manque de coopération des services de sécurité égyptiens sollicités avant le match du Caire. Sur le plan économique, ce sont deux proches du président Bouteflika qui réagissent. Hamid Temmar, ministre de l’Industrie, assure que « le retrait annoncé des investisseurs égyptiens [près de 5 milliards de dollars, NDLR] n’aura aucun impact sur l’économie nationale ». Son collègue Chakib Khelil, ministre des Mines et de l’Énergie, renchérit : « Il n’y aura aucun problème pour remplacer la main-d’œuvre égyptienne [10 000 ressortissants du pays des pyramides exercent dans différents secteurs en Algérie, NDLR] par des travailleurs nationaux ou asiatiques. » Comme il ne fait plus bon être algérien sur les bords du Nil, l’Union des agences de voyages (350 membres) considère l’Égypte comme une destination à risque et rompt tous les contrats en cours avec les tour-opérateurs locaux. Un sacré manque à gagner, Le Caire étant la seconde destination prisée par les touristes (particulièrement dispendieux) algériens, après Tunis, avec près de 300 000 visiteurs par an.
Mythe de l’amour de la patrie
S’il est concevable qu’un match de football puisse déchaîner les passions, il est rare que cela provoque autant de haine, affectant durablement les relations entre deux peuples.
Vainqueurs sur le plan sportif, les Algériens se gardent d’envenimer le débat, mais n’en pensent pas moins. Quant à l’hystérie antialgérienne en Égypte (il est question de traduire Bouteflika devant la Cour pénale internationale de La Haye… pour terrorisme), elle est entretenue par les plus hautes instances du pays : le clan des Moubarak. Pour le Washington Post, le régime a réussi à canaliser la vague de colère d’un « peuple affamé et réprimé » en ressuscitant le mythe de l’amour de la patrie, une patrie spoliée d’une victoire annoncée. Quant à la chaîne d’information américaine CNN, elle a diffusé un reportage sur les appels au lynchage des Algériens avec cette analyse : « Le problème n’est ni la défaite sportive ni l’Algérie, mais l’expression d’une frustration généralisée contre un régime corrompu qui s’apprête à se régénérer. Cette affaire est révélatrice d’un grand malaise : en Égypte, la stabilité semble factice. »
La crise diplomatique entre l’Algérie et l’Égypte connaît de curieux développements. Ainsi, les services d’Avigdor Lieberman, le très controversé chef de la diplomatie israélienne, ont appelé les deux pays… à la retenue. Moins étonnant : l’inénarrable Mouammar Kadhafi, « roi des rois d’Afrique », « Guide » de la Jamahiriya et médiateur planétaire devant l’Éternel, propose sa médiation. Pendant ce temps-là, pèlerins algériens et égyptiens foulent ensemble la terre sainte de La Mecque. Aucun incident n’y a été déploré. Ouf, on respire…
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