Fazul, le Comorien de Ben Laden

Comment un gamin « réservé et respectueux » élevé par un imam libéral est devenu le numéro un d’Al-Qaïda en Afrique de l’Est.

Publié le 30 novembre 2009 Lecture : 4 minutes.

Fazul Abdullah Mohammed est partout et nulle part. À Moroni, sa photo avec une tête de gamin plus vraiment ressemblante, assortie d’une mise à prix – 8 millions de dollars offerts par les États-Unis –, est placardée aux murs et diffusée dans les médias. Sur le site rewardsforjustice.net, qui recense les trente terroristes les plus recherchés au monde, il figure en bonne place aux côtés d’Oussama Ben Laden, son mentor.

Fazul est un fantôme, insaisissable, recherché partout mais inconnu dans son pays. « C’était un gamin quand il a quitté les Comores. Il ne s’était jamais fait remarquer. Ce n’était pas un militant. Un peu comme tous ces étudiants qui partent et font leur vie ailleurs, et dont on apprend plus tard qu’ils sont devenus quelqu’un », analyse le journaliste Kamal Eddine Saindou, qui s’est intéressé à son parcours.

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Séjour au Pakistan

Fazul, né il y a trente-sept ans à Moroni, n’est pourtant pas un expatrié ordinaire. Depuis quelques semaines, il est présenté comme le numéro un d’Al-Qaïda en Afrique de l’Est. D’après Long War, une revue américaine spécialisée dans la lutte contre le terrorisme, il aurait hérité de ce titre à la mi-­septembre, après la mort du Kényan Saleh Ali Saleh Nabhan, tué lors d’un raid américain quelques jours plus tôt. « Cette intronisation aurait eu lieu dans la ville de Kismayo, dans le sud de la Somalie, en présence du chef de [la milice islamiste] Al-Shabab », indique Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R, Paris).

Comment ce jeune Comorien éduqué par un imam – son père – prêchant un islam libéral a-t-il atteint un tel niveau hiérarchique au sein de la nébuleuse Al-Qaïda ? Le silence de ses proches, qui refusent d’évoquer un fils ou un frère parti depuis longtemps, n’aide pas à percer le mystère.

Petit, Fazul jouait au foot et aimait danser. Rien que de très normal. « Il était brillant, respectueux et très calme », voire « réservé », se remémore un de ses premiers maîtres coraniques. Un ancien de ses camarades de classe cité par le Combating Terrorism Center (CTC), un centre d’expertise new-­yorkais qui retrace avec force détails la vie de Fazul, se souvient toutefois de ses critiques à l’encontre de la France et du président comorien de l’époque, Ahmed Abdallah. Cela n’en fait pas une graine de terroriste…

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Certains lient sa radicalisation à l’influence de Soidik Mbapandza, son dernier maître coranique. Prédicateur wahhabite réputé pour ses positions extrêmes, Mbapandza est considéré par les États-Unis comme l’un des principaux vecteurs de l’islam radical aux Comores. Le collège qu’il dirige, à l’enseignement très rigide, a bénéficié un temps du soutien financier de la fondation saoudienne Al-Haramain, à laquelle un rapport des autorités comoriennes datant de 2004 prêtait une volonté « de procéder à des recrutements » en vue « d’actes illicites », et qui a été interdite en 2005 aux Comores à la demande de Washington.

Mais l’engagement de Fazul prend réellement forme au Pakistan. Kamal Eddine Saindou dit de lui qu’il n’a pas « cherché » la lutte armée, mais qu’il a « été embarqué ». « S’il n’avait pas été au Pakistan, il ne serait jamais devenu terroriste. » Parti à Rawalpindi en 1990 pour étudier la médecine, il file rapidement à Peshawar, puis en Afghanistan. « C’est là qu’il fait la connaissance de Ben Laden », rapporte Rodier, et qu’il est formé au maniement des armes et à la confection d’explosifs. En 1991, il envoie une lettre à son frère dans laquelle il lui informe qu’il a rejoint Al-Qaïda.

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S’ensuivent des années d’errance. La Somalie, le Soudan où il côtoie de nouveau Ben Laden, le Kenya, les Comores furtivement… Il enchaîne les missions – ce qui ne l’empêche pas de prendre pour femme une jeune Comorienne avec qui il aura trois enfants, qui le suivront dans son périple.

Le 7 août 1998, Fazul révèle son existence aux polices du monde entier (et aux Comoriens) en participant aux attentats des ambassades américaines de Nairobi et Dar es-Salaam (224 morts, 4 500 blessés). Selon le FBI, Fazul a joué un rôle d’intermédiaire dans ces attentats. Quelques semaines après, les Américains débarquent à Moroni, interrogent sa famille et fouillent sa chambre. Désormais, Fazul est dans le viseur.

Entre 1999 et 2001, il change d’horizon. Habile et polyglotte (il parlerait cinq langues), il négocie au nom d’Al-Qaïda avec le président du Liberia, Charles Taylor, qui le reçoit régulièrement, selon le FBI. La nébuleuse investit alors des millions de dollars dans le business des « diamants du sang ».

Tribunaux islamiques

En 2002, le jeune Comorien se réfugie sur l’archipel kényan de Lamu, dans un village de 2 000 âmes où il fait fonction d’imam sous une fausse identité. Le temps de se faire oublier… Puis il reprend la lutte : l’année suivante, il retourne à Mogadiscio. Selon le CTC, en 2006, il occupe une position importante au sein du régime des Tribunaux islamiques. Et grimpe dans la hiérarchie d’Al-Qaïda. Insaisissable, doué pour les déguisements, selon le FBI, le Comorien remplace ses supérieurs au fil de leur « élimination ». Lui-même survit à plusieurs tentatives d’assassinat orchestrées par les États-Unis. Il échappe également à la police kényane, à deux doigts de l’arrêter le 2 août 2008 dans le nord du pays.

Alors que Ben Laden veut faire de la Somalie le nouveau front du djihad, Fazul aurait déclaré, lors de son accession au titre de numéro un, vouloir étendre le mouvement à Djibouti, au Kenya et à l’Éthiopie. Mais pas aux Comores, son pays, où il semble ne plus jamais devoir revenir. « Il y a peu de chances qu’on le revoie chez nous », dit un ancien camarade. Sauf en photo, sur des affiches rouges collées aux murs comme au temps du Far West, sur lesquelles il semble n’avoir jamais quitté l’adolescence. 

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