Le parcours d’un jusqu’au-boutiste
Recherché pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, Ignace Murwanashyaka, président des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), est depuis le 17 novembre entre les mains de la justice allemande.
En kinyarwanda, tous les patronymes, souvent composés de deux ou trois éléments, ont une signification. Celui du désormais ancien leader des FDLR n’échappe pas à la règle. Murwanashyaka veut dire « celui qui se bat pour un objectif ». Un nom de guerre ? Non, c’est le vrai nom – tout à fait prédestiné – de cet homme de 46 ans, docteur en économie, qui a réussi, en quelques années, à faire l’unanimité contre lui. Y compris dans son propre camp. Dur, radical, extrémiste ? Parlant sous anonymat, un membre fondateur des FDLR balaie de la main tous ces qualificatifs : « Murwanashyaka n’est rien de tout cela ! C’est tout simplement un entêté qui ne comprend pas grand-chose à la politique et, par conséquent, n’a pu assumer convenablement la charge que nous lui avions confiée. »
Installé en Allemagne depuis 1989, après une formation au Rwanda puis au Zaïre, Ignace Murwanashyaka achève ses études dans son pays d’accueil. C’est seulement en 2000, quand il obtient l’asile politique, qu’il commence à jouer un rôle visible dans les structures mises en place par les Hutus exilés au Congo, parmi lesquels d’anciens militaires des Forces armées rwandaises, des miliciens Interahamwes opposants au nouveau régime rwandais, et même des personnes ayant joué un rôle dans le génocide de 1994. Auquel il n’a pas été du tout mêlé, étant à cette époque hors du pays.
L’ascension de Murwanashyaka, « très actif contre le Front patriotique rwandais depuis les années 1990 », se déroule en trois étapes. D’abord, il arrive au Katanga (sud de la RD Congo) en mai 2001 en passant par la Zambie. Pendant un mois, il reçoit une formation militaire à Likasi. « Il nous a laissé l’impression de quelqu’un de combatif, déterminé à aller jusqu’au bout », confie un témoin de l’époque.
La « dette » de Kabila
Deuxième étape, mai 2001, au congrès de l’ensemble des organisations hutues à Lubumbashi. Murwanashyaka, qui dirige son propre parti, le Rassemblement démocratique rwandais, est là. Son bras droit est Straton Musoni (arrêté en même temps que lui, le 17 novembre). À ce congrès, il est question pour les combattants rwandais – qui s’étaient engagés depuis 1998 dans l’armée de Laurent-Désiré Kabila contre les troupes de Kigali et de Kampala, avec la promesse d’être « raccompagnés jusqu’au Rwanda après la victoire » – de voir la réalité en face et d’abandonner l’illusion d’une conquête du pouvoir par la force. Le choix de la lutte politique s’impose au terme du congrès. Murwanashyaka est nommé adjoint au commissaire chargé des affaires extérieures. Quant à Musoni, il devient commissaire à la mobilisation. Fin 2001, après les accords de Pretoria entre les différentes parties belligérantes en RD Congo, il leur est demandé de quitter le front et de se regrouper à Kamina (sud de la RD Congo) pour consacrer la fin de la lutte armée.
La troisième étape dans l’ascension d’Ignace Murwanashyaka commence début 2002. À l’issue d’un congrès extraordinaire des FDLR à Kinshasa, il est élu président. « Mais c’est un président de façade, commente un de ceux qui ont contribué à son élection. Notre structure était telle qu’un président ne pouvait rien décider. » L’homme se rend régulièrement dans la capitale congolaise.
Mais 2002 est une année difficile pour les FDLR. Les autorités congolaises déclarent la présence de ses dirigeants indésirable. Ignace Murwanashyaka quitte alors Kinshasa, en juillet 2002. Ses amis se volatilisent dans la nature tout en prenant la précaution de lui confier une valise satellitaire « pour rester en contact avec ceux du terrain », en particulier des militaires dont le seul objectif est de rester coûte que coûte sur le territoire congolais, y compris par la force. Parmi eux, l’actuel commandant suprême du mouvement, le général-major Sylvestre Mudacumura. Cet ancien de l’armée rwandaise, soupçonné d’avoir pris part au génocide de 1994, devient le meilleur allié de Murwanashyaka, pour qui la guerre est maintenant l’unique option face à Kigali.
En 2005, la communauté italienne Sant’Egidio initie la négociation entre les FDLR et le gouvernement congolais, qui aboutit, fin mars, à une déclaration signée par Murwanashyaka, qui engage alors son mouvement à cesser la lutte armée, condamne le génocide et ses auteurs, ainsi que les crimes commis dans la région des Grands Lacs. En réalité, il s’agit d’un double jeu.
Saper les efforts de paix
Il met en effet tout en œuvre pour saper systématiquement les efforts visant à résoudre pacifiquement le conflit. Lorsqu’il refuse, par exemple, de rendre compte aux autorités congolaises comme à la Mission des Nations unies au Congo (Monuc) de sa mission de sensibilisation des combattants au désarmement dans l’est de la RD Congo en 2005. Jusqu’à ce jour, il reste convaincu que la RD Congo, qui avait recouru aux services d’une division entière des FDLR pour combattre le Rwanda, a une dette à payer.
L’entêtement de Murwanashyaka ne sera pas sans conséquence : le Conseil de sécurité de l’ONU finit par l’inscrire, en 2005, alors qu’il est encore en Allemagne, sur la liste de personnes recherchées. Interdit de voyager, il réussit néanmoins à entrer clandestinement en RD Congo en passant par l’Ouganda. Entre-temps, l’Allemagne, dont son épouse est ressortissante, lui a retiré son statut de réfugié politique. Et lorsqu’il regagne ce pays en avril 2006, muni d’un passeport ougandais, il est brièvement arrêté pour violation des lois sur l’immigration.
L’arrestation d’Ignace Murwanashyaka pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et trafic d’armes aura sans doute un impact sur ce qu’il reste des FDLR (environ 4 500 hommes selon la Monuc). Avec cet affaiblissement de la chaîne de commandement, en plus de la pression de l’armée congolaise et de la Monuc, les jusqu’au-boutistes sont dans l’impasse. L’ex-leader, toujours détenu à Karlsruhe, la ville où il a été arrêté, n’a été réclamé ni par Kinshasa ni par Kigali. Il sera jugé par la justice allemande.
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