A quoi joue Compaoré ?

Pourtant réputé pour son habileté, le président burkinabè, médiateur dans le conflit, a mécontenté l’opposition en présentant un projet d’accord qui semble favoriser la junte au pouvoir. Tactique ou erreur de parcours ?

Publié le 30 novembre 2009 Lecture : 6 minutes.

Un « Ouagadégoût » : c’est, selon la presse guinéenne, le sentiment qui dominait après la rencontre entre les délégations et le médiateur, Blaise Compaoré. Depuis que le chef de l’État burkinabè a remis, le 19 novembre, une « proposition de protocole d’accord global », beaucoup d’observateurs s’interrogent : comment celui qui passe pour un fin tacticien a-t-il pu présenter un texte aussi provocateur ?

Le document laisse en effet la possibilité au chef de la junte, le capitaine Dadis Camara, de présider la transition et de se présenter à l’élection présidentielle. Les représentants du Forum des forces vives – qui regroupe partis politiques, syndicats et membres de la société civile – ont failli s’en étrangler de rage. Sans quelques gestes d’apaisement, concédés in extremis, Compaoré était désavoué. « Il ne respecte pas son mandat, qui est d’obtenir que Dadis ne conduise pas la transition et qu’il ne soit pas candidat, estime Cellou Dalein Diallo, ancien Premier ministre et membre des Forces vives. Faire une médiation, ça ne se résume pas à obtenir un compromis entre deux parties. Il faut d’abord respecter les valeurs démocratiques et les droits de l’homme. »

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De toutes les médiations que le président du Burkina a eu à conduire, celle-ci est certainement la plus délicate. Cela tient à la fois à la nature du problème (sortir d’un putsch pour aller vers des élections), aux protagonistes (une junte jusqu’au-boutiste face à une classe politique divisée), enfin, au contexte (une armée indisciplinée et prête à tout pour conserver ses prébendes).

Il n’empêche, la première proposition de Compaoré fait la part belle à la junte. « Nous ne soutenons personne, nous avons un objectif : que la Guinée ne sombre pas dans la guerre civile », se défend l’un de ses conseillers. « Paraître favorable à la junte, c’est le seul moyen d’obtenir des concessions des militaires. Nous préférons frustrer au début ceux qui n’ont pas d’armes plutôt que les autres », commente un proche du dossier.

Aucune discrétion

Mais à l’évidence, il y a eu un peu de précipitation. D’habitude, la méthode Compaoré est plus prudente. Elle consiste à discuter les points les plus litigieux un par un et à mettre les choses noir sur blanc dès qu’un consensus minimal a été obtenu. Cette fois, le président a choisi de balancer un projet d’accord, censé faire la synthèse des recommandations des deux parties, dès la deuxième rencontre. « Il manque, on le sent, un Salif Diallo ou un Djibril Bassolé », estime Sidya Touré, ancien Premier ministre guinéen et membre des Forces vives.

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Salif Diallo, alternativement au gouvernement ou dans les coulisses de la présidence burkinabè, fut pendant des années une sorte de super ministre des Affaires étrangères. Il est aujourd’hui… ambassadeur en Autriche. Le colonel Bassolé, ministre de l’Intérieur puis des Affaires étrangères, a participé activement à la plupart des missions de bons offices de Compaoré. Devenu médiateur pour l’ONU et l’Union africaine au Darfour, il tempère, en observateur avisé : « Il est normal, au début, d’adopter des positions un peu extrêmes. Quand nous avons proposé le premier texte aux Ivoiriens, nous avons aussi frôlé le clash. C’est toujours la même méthode. Le processus sera long et délicat. Il doit se faire dans la discrétion. » Or, dans cette affaire, cela n’a pas toujours été le cas. À peine les deux parties prenaient-elles possession du texte que le document était publié sur Internet. « Ces gens-là ne savent pas ce qu’est un huis clos », se plaint un diplomate. Certains membres des délégations commentaient les propositions de Compaoré devant la presse, alors qu’ils n’avaient pas entièrement lu le document…

Côté burkinabè, on estime que les propositions ne sont pas aussi favorables à la junte qu’il y paraît. Le Premier ministre, qui serait issu des Forces vives, aurait en effet beaucoup de pouvoir : chef de l’exécutif, il ne pourrait être révoqué par le président, dont les attributions seraient finalement limitées.

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Une argumentation qui ne convainc pas l’opposition. « Les Burkinabè fricotent avec le CNDD [Conseil national pour la démocratie et le développement]. Si le médiateur continue sur cette voie, nous allons le récuser », lance François Fall, un autre ancien Premier ministre guinéen. Certains accusent le colonel-major Gilbert Diendéré, chef d’état-major particulier à la présidence du Faso, d’être un proche du chef de la junte. « Dadis a beaucoup d’admiration pour lui. Il avait même choisi Diendéré comme surnom pendant sa formation militaire. Quand celui-ci est allé à Conakry, il a été reçu avec tous les honneurs », rapporte un journaliste guinéen.

Planche à billets

Diendéré, mais aussi plusieurs hommes de confiance du président Compaoré se sont succédé ces derniers mois auprès de Dadis. Pour autant, aucun aujourd’hui ne fait les louanges de ce dernier tant il semble inspirer de méfiance. La « milice » à ses ordres, dans laquelle on trouve des Forestiers (du même groupe ethnique que lui), ainsi que des anciens du Liberia et de la Sierra Leone, compterait 2 000 à 3 000 hommes. Dadis a les moyens militaires et financiers de résister aux pressions. « Dans son bureau, c’est un défilé permanent de compagnies minières. Il a de l’argent. Le danger est qu’il se transforme en chef de guerre somalien. Isolé, dans un pays déglingué mais prospère… », explique un proche de Compaoré. « La planche à billets tourne à plein régime, et la Banque centrale est désormais installée de fait au camp Alpha-Yaya, où la junte s’est repliée », commente Sidya Touré.

Les Forces vives ne sont pas non plus épargnées par les critiques. « Les politiciens ont salué l’arrivée de Dadis au pouvoir et, dans les premiers mois, ils se sont bousculés dans son bureau pour se débiner les uns les autres. Ce sont eux qui ont appelé les chefs d’État de la région pour lui trouver des soutiens. Chacun espérait le récupérer. Dadis est ce qu’il est, mais il n’est pas idiot », rapporte l’un des négociateurs.

Pour le moment, les dirigeants de l’opposition sont soudés autour d’un objectif : se débarrasser de Dadis. Même si, par extraordinaire, ils y arrivaient, il n’est pas sûr qu’ils rafleraient la mise : le pouvoir pourrait facilement tomber dans les mains d’un autre militaire.

Certes, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a exigé que Dadis ne se présente pas à la présidentielle, mais elle n’a guère les moyens de le contraindre. Avant de recevoir les délégations guinéennes à Ouagadougou, Blaise Compaoré s’est rendu à Abuja pour présenter son plan au chef de l’État nigérian, Yar’Adua, président en exercice de la Cedeao, qui l’a entériné.

L’exemple d’Aziz

Encore une fois, les positions de principe s’accommodent mal des réalités du terrain. « Chaque fois qu’on lui parle de se retirer de la course, Dadis cite l’exemple d’Aziz en Mauritanie. C’est un précédent fâcheux », indique un proche du dossier. Mohammed Ould Abdelaziz, auteur d’un coup d’État en août 2008, a pu, malgré les pressions de la communauté internationale, se présenter un an plus tard à la présidentielle, qu’il a remportée, après avoir démissionné peu avant le scrutin.

À une différence près : le président mauritanien, lui, n’a pas fait tirer sur la foule… Le 28 septembre, à Conakry, plus de 150 personnes sont mortes et des dizaines de femmes ont été violées par des militaires. Aujourd’hui, les Forces vives reprochent à Compaoré de n’avoir pas pris la mesure de ce drame. « Bien sûr, nous en tenons compte. Mais nous ne pouvons dévoiler toutes nos cartes. Faites-nous confiance, cette médiation peut aboutir », répète Alain Yoda, le ministre burkinabè des Affaires étrangères.

Les deux camps ont remis au président Compaoré leurs contre-propositions, et il devrait les recevoir à nouveau, à la mi-décembre. En attendant, l’opposition entend maintenir la pression et promet de « paralyser le pays », en multipliant les journées « ville morte ».

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