Guerre d’usure…

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Publié le 30 novembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Avez-vous, comme moi, l’impression de vivre dans un monde où, au plus haut de l’échelle du pouvoir, les rôles se sont, depuis quelques mois, inversés ? Je ne pense pas me tromper en le supposant et, en tout cas, vous propose de me laisser vous en parler.

Il y a un an, tout en haut, le président des États-Unis s’appelait encore George W. Bush. Et bien qu’il soit alors sur le départ, c’était l’homme politique le plus antipathique de la terre. Dans la pièce qui se jouait sur l’arène internationale, il tenait le rôle du « vilain » et avait même réussi le tour de force de (presque) nous faire compatir au sort du sanguinaire Saddam Hussein…

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Aujourd’hui, c’est Barack Obama, son successeur, qui est l’homme le plus puissant de la planète.

Aux yeux de la majorité des gens, en cette fin 2009, il est cependant « le sympathique » du jeu, et ce sont ceux qui s’opposent à lui jusqu’à le mettre en échec qui font figure de « méchants ».

Le nouveau président des États-Unis est au pouvoir depuis dix mois, ce qui paraît long. Mais la pièce n’en est qu’à son premier acte. Henry Kissinger, qui n’est plus, depuis très longtemps, un acteur, mais continue d’observer la partie en connaisseur, compare le président Obama à un champion d’échecs qui aurait fait plusieurs ouvertures savantes mais n’en aurait, pour le moment, conclu aucune.

— J’aimerais bien le voir en conclure une, dit Kissinger avec un brin d’impatience.

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À croire qu’il se demandait si l’on n’était pas passé d’un excès à un autre. Beaucoup, en tout cas, le pensent.

George W. Bush n’avait à la bouche que les mots de « croisade », d’ « axe du mal » ; il parlait à tort et à travers de capturer ses adversaires « morts ou vifs » et n’y parvenait pas, de « mission accomplie » qu’il laissera pourtant inachevée en quittant le pouvoir.

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À Barack Obama, on adresse déjà le reproche inverse : d’être trop courtois, trop « homme de dialogue », de s’incliner physiquement devant le roi d’Arabie, et encore plus bas, devant l’empereur du Japon, d’encaisser refus et coups bas sans réagir, de ne jamais élever la voix.

C’est au Moyen-Orient que le char de Barack Obama semble le plus profondément embourbé : ses deux roues paraissent bloquées et l’on ne voit pas comment il va pouvoir les remettre en mou­vement.

Tout se passe comme si ce président américain, qui ne ressemble pas à ses prédécesseurs – il défend les mêmes intérêts mais d’une autre manière –, menait, dans cette région, un double duel qui ressemble à une… guerre d’usure.

Dans son discours délivré au Caire le 4 juin dernier, qui était une adresse au monde musulman, il avait estimé nécessaire de réaffirmer qu’il était chrétien.â©Eh bien, c’est ce chrétien, président de l’hyperpuissance américaine, qui se trouve, contre toute attente, en butte à un double front du refus.

Le premier est israélien et juif. Il est personnifié par Benyamin Netanyahou, Premier ministre d’Israël et chef de la droite de ce pays, soutenu par Avigdor Lieberman, son ministre des Affaires étrangères et leader de l’extrême droite. Forts du soutien de la majorité des Israéliens, ils défendent avec âpreté et savoir-faire les thèses de leur camp et disent à Obama : Non, nous ne ferons pas ce que vous nous demandez et vous n’y pouvez rien !

Le second front est musulman, plus précisément islamiste, conduit par les deux hommes qui se sont installés au sommet du pouvoir iranien : Ali Khamenei, Guide de la révolution, et Mahmoud Ahmadinejad, président de la République, rejettent eux aussi, poliment pour le moment, mais fermement, les offres de dialogue d’Obama. Ils lui disent, en somme : Nous ne croyons pas que vous êtes porteur d’une rupture avec le passé impérial de votre pays. Tant qu’il en sera ainsi, nous ne prendrons pas la main que vous faites semblant de nous tendre.

Nous en sommes là, un an ou presque après l’arrivée de Barack Obama au pouvoir : en dépit des dernières concessions de forme consenties par Netanyahou, c’est le blocage.

On fait du surplace et l’on parle même d’échec pour ce jeune et nouveau président des États-Unis.

Si échec il y a, c’est d’abord pour la région : elle n’est pas sortie des tensions et de l’affrontement ; elle n’en a même pas pris le chemin.

Quant à Barack Obama, s’il n’a pas encore gagné sa guerre d’usure contre Netanyahou-Lieberman, d’une part, et, d’autre part, contre Khamenei-­Ahmadinejad, il ne l’a pas perdue. Il a dit lui-même, dès son entrée à la Maison Blanche, qu’il se donnait deux ans pour amener les Israéliens et les Palestiniens à la solution des deux États, et plus de temps encore pour renouer avec l’Iran.

S’il ne se trompe pas, c’est dans les douze mois qui viennent que, sur ce plan-là, tout va se jouer.

Ce que j’en pense ? Que les peuples concernés sont fatigués de la guerre – et nous avec eux : nous souhaitons tous que se profile, là-bas aussi (enfin !), une ère d’entente et de coopération, fondée sur le moins injuste des compromis possibles.

On le sait : les Israéliens n’ont jamais suivi longtemps et aveuglément un Premier ministre qui prend le risque de leur faire perdre le soutien des États-Unis.

Et nous l’avons vu : les Iraniens ont montré depuis l’élection présidentielle du 12 juin dernier, à eux-mêmes et au monde, qu’ils supportent de moins en moins l’intransigeance jusqu’au-boutiste de leurs chefs actuels.

Les dirigeants d’Israël et ceux de la République islamique d’Iran ne vont pas dans le sens de l’Histoire ; pour une fois, paradoxalement, c’est le président américain qui prône les solutions justes.

Cela étant, cet homme de dialogue et de patience a encore, à mon avis, toutes les chances de gagner la guerre d’usure qu’on lui impose.

Et ce sont ses adversaires qui n’ont que le choix de changer ou d’être changés.

Je parie pour ma part qu’ils seront usés avant lui.

Avant de quitter cette semaine son poste de directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Mohamed el-Baradei, qui s’est beaucoup dépensé pour rapprocher l’Iran des États-Unis, a fait cette confidence en guise de testament : « Il est dans l’intérêt de l’Iran comme des États-Unis d’arriver à un accord. Pour l’Iran, c’est l’occasion de rompre son isolement ; pour Washington, c’est une première étape dans la quête audacieuse d’Obama pour un nouveau Moyen-Orient.

J’espère que l’Iran ne manquera pas cette occasion et acceptera de prendre un risque limité pour la paix. Sinon, nous serons tous perdants. »

Tôt ou tard, il sera entendu. Si ce n’est par ­Khamenei et Ahmadinejad, ce sera par leurs ­successeurs. 

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