Lévi-Strauss vu d’Afrique
Journaliste et chercheur en sciences sociales, Bamako, Mali
Publié le 23 novembre 2009 Lecture : 2 minutes.
Personne comme lui n’aura façonné l’anthropologie moderne, et, plusieurs fois par semaine, son ombre plane dans les amphis de sciences sociales de Dakar, Abidjan, Yaoundé et Bamako, où l’anthropologie et la sociologie fournissent le plus gros contingent d’étudiants. Et pour cause : Lévi-Strauss a réussi une heureuse synthèse de Durkheim et de Malinowski. L’école structurale qui enrichit la linguistique a également innervé la nouvelle ethnographie avec, notamment, l’œuvre immortelle que sont Tristes tropiques. Hélas, l’Afrique, à laquelle Lévi-Strauss a rendu d’énormes services, ne lui ouvrira pas son panthéon. Parce que ce qu’il a dit d’elle, nous le savions déjà : la parenté a une structure et une fonction. Qui ne connaît pas, chez nous, le rôle et la place du père et de la mère, de l’oncle et du neveu ? Et que vaut donc une science qui, au lieu de nous apprendre ce que nous ignorons, nous rebat les oreilles avec ce que nous savons déjà ?
La nouvelle génération ne se souviendra peut-être pas que c’est à ses compatriotes et à leur arrogance que l’académicien s’adressait. Il leur parlait d’ailleurs au pire moment. Les Apaches, les Sioux et les Cheyennes étaient fusillés à bout portant dès qu’ils sortaient de leurs réserves ; on exterminait les Aborigènes à coup d’alcool plombé ; on cravachait les Africains au nom de l’infériorité de leur civilisation. Lévi-Strauss a choisi ce moment pour ébranler les certitudes de l’Occident et changer son regard sur des sociétés flanquées des épithètes condescendantes de « primitives » ou d’« indigènes ». Mais il savait qu’il avait vaillamment inséminé l’anthropologie sociale, une discipline parricide qui porta plus aux nues Dupire, Shrinivas ou Goody que ses propres géniteurs.
Lévi-Strauss est déjà si haut dans l’arbre généalogique des influences que nos cadets ne se souviendront pas de lui. C’est là que réside sa tragédie. Les Anglo-Saxons virent en lui un génial touche-à-tout au carrefour de la philosophie, de la linguistique, de l’ethnographie et de la littérature. Brillant, certes, dans tout ce qu’il produisit, mais un peu shallow, c’est-à-dire superficiel. Et pour l’Afrique, son nom restera celui d’une marque de jean. Injuste et pathétique pour un esprit du siècle !
