Moncef Dhouib
 : « Seul le one-man show sauvera le théâtre tunisien ! »

À l’occasion des Journées théâtrales de Carthage qui ont eu lieu du 11 au 22 novembre, le réalisateur Moncef Dhouib explique pourquoi il délaisse le cinéma pour le théâtre. Un art qu’il veut rendre populaire.

Fawzia Zouria

Publié le 24 novembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Originaire de Sfax, Moncef Dhouib est connu pour ses films – Le Sultan de la médina et La télé arrive –, mais surtout pour ses pièces de théâtre, dont Makki et Zakia, jouée en 1993 par le très populaire Lamine Nahdi, a fait de lui un auteur à succès. Depuis, il a récidivé avec Fi hak essardouk n’raicho et Madame Kenza, deux one-man shows ancrés dans la Tunisie profonde et flirtant avec le pamphlet social. Artiste populaire pour les uns, populiste pour les autres, engagé pendant des années dans moult procès de droits d’auteur avec son ex-acteur fétiche, Lamine Nahdi, Moncef Dhouib se consacre désormais uniquement au quatrième art. Son public est au rendez-vous, que ce soit sous les lambris des théâtres officiels ou dans les plus petites bourgades, où le dramaturge se déplace en camionnette pour présenter ses spectacles, au prix dérisoire de 1 dinar (0,52 euro) le ticket.

JEUNE AFRIQUE : Après avoir réalisé deux films, vous vous êtes orienté vers le théâtre, pourquoi ?

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MONCEF DHOUIB : Parce que le cinéma tunisien est mort et qu’il ne me reste plus que le one-man show pour empêcher le théâtre de mourir aussi. Il me fallait prendre le maquis. C’est-à-dire : mettre le compteur à zéro ; me libérer du carcan des aides, des célébrations, des festivals à dates régulières ; m’opposer à toutes les contraintes, qu’elles soient administratives ou inhérentes au métier (lieu, technique, mise en scène). Je n’ai plus besoin de réquisitionner 80 projecteurs, je joue sur un plateau nu, avec un texte et un acteur, je peux travailler en pleine brousse ou sur la terrasse d’un immeuble, c’est ce que j’appelle un théâtre révolté, parce qu’il sort de nulle part et n’a besoin de personne. Prendre le maquis, c’est se décider à devenir adulte, à ne plus être un artiste assisté.

Qu’est-ce qui vous a décidé à prendre cette option ?

Le fait que j’aie dû dépendre des subventions, des délais, des sponsors, et que j’aie accumulé les dettes avec mon film Le Sultan de la médina. Je me suis rendu compte, par ailleurs, que sur les vingt scénarios que j’ai écrits au cours de mes trente ans de carrière je n’avais réalisé que deux films. J’ai calculé qu’à ce rythme, si je devais attendre que la commission du ministère de la Culture se réunisse, qu’elle décide et qu’elle intervienne sur le propos, je devrais attendre vingt ans pour pouvoir réaliser tous mes projets. Alors je me suis dit : « Libère-toi, vole de tes propres ailes. »

N’est-ce pas plutôt faire cavalier seul afin d’être l’unique bénéficiaire du succès ?

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Je n’ai aucune honte à faire cavalier seul si ce que je produis plaît au public. J’estime, en revanche, que celui qui n’a pas de public n’a pas sa place. Je ne fais pas partie de ceux qui s’installent dans les théâtres avec une mentalité de propriétaire immobilier et qui s’amusent à agrandir la scène aux dépens de l’espace prévu pour les spectateurs. Le théâtre populaire a pourtant commencé avec ces gens-là, qui ont fait le gros des troupes de Gafsa et du Kef ! Ils étaient alors dans le refus du théâtre bourgeois. Aujourd’hui, ils adoptent le comportement contre lequel ils s’étaient révoltés : ils se sont « installés ». J’ai préféré, quant à moi, introduire le théâtre populaire.

Et ça marche ?

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Pour vous donner un exemple : la première de Madame Kenza a eu lieu le 15 septembre 2008 devant 400 spectateurs. Le 15 septembre dernier, je l’ai donnée devant 8 000 personnes sur la scène de l’amphithéâtre de Carthage. À ce jour, 100 000 spectateurs l’ont vue. Et cela sans un sou de subvention ni le moindre sponsor étatique ou privé, seulement avec la formule guichet-public. On dit que je fais du théâtre « boudourou », le degré zéro de la création, je m’en fiche. Le public demande du plaisir et, depuis Makki et Zakia, en 1993, je ne fais que lui en offrir.

La formule du one-man show ne convainc pas toujours la critique…

La critique qui ne comprend pas le one-man show est celle-là même qui dénigre le rap ou le mezoued, pourtant si populaires. Elle prétend que le one-man show est une mode. Pas du tout ! Depuis quinze ans, le genre enregistre le même succès, et c’est un phénomène social qui dure. Elle insinue que c’est une solution de facilité. Non. Il y a une philosophie derrière le one-man show et la nudité de la scène. Je laisse aux autres le soin de faire un théâtre académique et de décor. Et je me déclare contre le théâtre officiel et installé.

Reprocheriez-vous aux pouvoirs publics d’aider les gens du théâtre ?

Je dis simplement que les subventions ont fini par créer une génération d’artistes assistés. S’il y a subvention, elle doit aller aux jeunes et à ceux qui font des recherches dans le domaine. Ma devise est la suivante : le théâtre sans public est mort, le théâtre sans subvention ne l’est pas. D’ailleurs, mon spectacle Madame Kenza raconte la façon dont on crée des gens assistés. C’est l’histoire d’une mère affectueuse qui en fait trop pour son fils et qui finit par le transformer en quelqu’un d’irresponsable. Elle s’enchaîne à un bâtiment officiel pour lui trouver un travail et convoque l’administration, l’école, la famille pour comprendre pourquoi tout ce monde a échoué à faire de son rejeton un bon citoyen, démontrant comment elle-même fabrique, avec de l’amour, un assisté.

Qu’est-ce que le public aime dans votre théâtre ?

Le réalisme. Celui du quotidien et de l’accent. La proximité et le phénomène miroir qui ne fait pas de distorsion. Dans la mesure où la télé a confisqué la tragédie en retransmettant en direct des guerres et des chefs d’État pendus et qu’elle s’est accaparé le drame amoureux avec les feuilletons, la comédie considérée jusque-là comme un sous-genre est revenue sur le devant de la scène. Elle a en outre l’avantage d’établir une relation économique claire avec le public : ce dernier la paie pour rire, elle doit s’en acquitter sans détour.

Outre le contenu, avez-vous une autre recette pour le succès ?

La communication réinventée. Pour ma pièce, qui doit passer à Paris, n’ayant pas les moyens de louer des espaces publicitaires, j’ai collé des affichettes dans tout Tunis avec cette mention : « Parlez-en à vos amis de Paris ». J’ai eu recours aussi à Facebook, un outil extraordinaire, parce que gratuit et convenant parfaitement à mon théâtre. Résultat, le directeur du Dejazet m’a appelé pour me faire part de son étonnement : il a tout vendu alors même qu’il n’a mené aucune campagne de publicité. Je lui ai répondu : « C’est ce qu’on ­appelle le téléphone arabe ! »

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