Du silence et des réfugiés

Le réalisateur d’Au loin des villages a filmé le quotidien de Tchadiens ayant fui la guerre. Un documentaire bouleversant et sans pathos.

Renaud de Rochebrune

Publié le 2 décembre 2009 Lecture : 2 minutes.

Article publié dans Jeune Afrique n° 2550 du 22 au 28 novembre

Difficile d’imaginer un film plus sobre. Après le générique, pendant lequel on entend une galopade, l’action d’Au loin des villages se résume pour l’essentiel à des plans fixes, le plus souvent pour mettre le spectateur face à des personnages qui témoignent des violences subies au Tchad. Plus rarement, on verra de minuscules scènes de la vie quotidienne dans un camp de réfugiés, à la frontière du Soudan, plus précisément du Darfour. La galopade du générique, on le comprend après-coup, est celle de miliciens. Soutenus par les autorités de Khartoum, ils ont chassé de leur terre ancestrale des milliers de paysans dajos, en attente dans un habitat précaire d’une improbable paix.

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Cimetière virtuel

Dans ce long-métrage, le Suisse Olivier Zuchuat, auteur d’un documentaire sur le cercle vicieux de la dette à partir de l’exemple du secteur cotonnier au Mali (Djourou, une corde à ton cou), filme avec une économie de moyens radicale la situation de ces réfugiés. Et réussit à captiver l’attention du spectateur, à lui faire ressentir à la fois ce qu’est une situation de guerre et l’attente insupportable des exilés. Il a su apporter considération et dignité aux personnes auxquelles il donne la parole, se refusant à tout commentaire et pathos. D’où l’impossibilité de fuir le regard et les mots de ceux que l’on voit à l’écran et l’intense émotion qu’ils suscitent.

Une séquence étonnante est particulièrement représentative de ce mode de réalisation. Le cinéaste a en effet eu l’idée de filmer sans jamais l’interrompre le « discours » d’un homme rescapé par miracle de l’assaut meurtrier de son village. Pour dire ce qu’il a vécu, il égrène pendant de longues minutes les quarante-six noms de ceux qui ont été tués. Cela pourrait, cela devrait être fastidieux. Mais voir cet homme construire ainsi une sorte de cimetière virtuel pour ces victimes qui n’ont pu être enterrées s’avère tout simplement très beau. Et bouleversant.

Même dans un documentaire, le meilleur moyen d’enregistrer le réel n’est pas de tenter de le reproduire ou de le raconter tel quel. Mais de le créer grâce à la sensibilité du cinéaste et au respect dont il fait preuve face à ses personnages. Voilà pourquoi il n’y a pas tant de différence, quand il s’agit d’une œuvre digne de ce nom, entre les films de fiction et les documentaires. Dans les deux cas, il s’agit, par un acte artistique, de « certifier le réel », selon la belle formule de Jacques Audiard (Un prophète). Et non pas de prétendre le restituer objectivement.

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