Madagascar : une économie sous pression
Depuis janvier, près de 230 000 Malgaches auraient perdu leur emploi. Et la situation risque d’empirer si aucun accord politique n’est trouvé entre les prétendants au pouvoir.
Depuis qu’elle a perdu son emploi, Hanitra vit dans l’angoisse. « Déjà avant, ce n’était pas simple », dit cette femme de 39 ans, mère de trois enfants et dont le mari, Jean-Hervé, salarié dans un commerce, peine à ramener de quoi nourrir la famille. « Mon employeur a fermé après les pillages de janvier. Depuis, je passe mes journées à m’inquiéter. Le matin, je ne sais même pas si j’aurais du riz à donner à mes enfants le soir », se désole-t-elle. Ces derniers mois, le lot quotidien des habitants des bas quartiers d’Antananarivo, habitués à vivre au jour le jour, a touché la classe dite « moyenne » du centre-ville, et à laquelle appartenait Hanitra jusque-là.
Les organisations des Nations unies qui siègent à Antananarivo estiment à 228 000 le nombre d’emplois perdus depuis le début de l’année – un drame dans un pays qui compte 18,8 millions d’habitants, et dont les chiffres officiels, très contestés, faisaient état avant la crise d’un taux de chômage de 5 %. Dans une note de synthèse sur la situation économique et sociale de Madagascar rédigée en octobre, le Pnud révèle que « les emplois du secteur tertiaire ont été les plus affectés par la crise (78,5 % des pertes d’emploi) », loin devant le secondaire (21,1 %) et le primaire, le seul relativement épargné.
Annulations de commandes
« L’économie malgache titube, c’est le moins que l’on puisse dire ! » estime un consultant très remonté contre « les politiciens de tous bords incapables de dépasser leur ego ». Spécialisé dans le conseil aux entreprises (notamment étrangères) qui souhaitent investir à Madagascar, il est bien placé pour constater qu’aujourd’hui « plus personne ne veut investir 1 dollar dans le pays ». Depuis le mois de février, son cabinet a perdu la moitié de ses employés. « Au début, on avait mis en place un système de chômage technique tournant. Mais l’absence d’activité nous a obligés à licencier. » S’il se défend de soutenir le président déchu, ce consultant confesse qu’« avec Ravalomanana, il y avait une lueur d’espoir ».
La croissance, depuis cinq ans, ne cessait de progresser : + 4,9 % en 2006, + 6,3 % en 2007, + 7,1 % en 2008… Cette année, la loi de finances prévoyait un taux de croissance de 7,5 %. Mais, selon différentes estimations, « elle serait négative en 2009 », indique la note du Pnud. Déjà sensiblement freinée par la crise financière internationale à partir du troisième trimestre 2008, l’économie malgache a été mise en lambeaux par la crise politique qui a éclaté en début d’année.
Outre les pillages, qui ont abouti, fin janvier, à la destruction de plusieurs unités de production et à la perte de nombreux emplois, essentiellement dans la capitale, le Groupement des entreprises de Madagascar (GEM), principal syndicat patronal du pays, a enregistré de nombreuses annulations de commandes. Selon une autre étude menée par le club Développement éthique, 514 entreprises auraient, entre janvier et octobre, envoyé à l’administration des déclarations de chômage technique, contre 210 en 2008 et 47 en 2007…
Quelques niches ont été épargnées, parmi lesquelles les télécommunications, boostées par l’arrivée du haut débit – le câble sous-marin Lion a officiellement relié l’île le 7 novembre. L’exploitation minière (ilménite, nickel, cobalt), dont les zones d’extraction sont éloignées des centres urbains, a elle aussi échappé au tsunami. Pour le reste, la quasi-totalité des secteurs d’activité a subi les conséquences des joutes politiques.
Chute de la consommation
La production industrielle a chuté, selon les secteurs, de 25 % à 80 %. « Les industries locales ont fait l’effort de maintenir au mieux l’emploi », signale Hery Ranaivosoa, président du Syndicat des industries de Madagascar (SIM). Mais elles n’ont pu éviter des licenciements. Seul motif de satisfaction pour le SIM : « Contrairement à la crise de 2002, les infrastructures n’ont pas été touchées. »
Même constat mi-figue mi-raisin dans le secteur touristique. Alors que le nombre de visiteurs était passé de 277 000 à 375 000 entre 2005 et 2008, il a considérablement chuté lors du premier semestre de cette année (134 000 touristes, contre 231 000 lors des six premiers mois de 2008, selon l’Office national du tourisme). Si aucune société n’a mis la clef sous la porte, le recours au chômage technique est important.
L’artisanat et le transport, qui représentent des viviers d’emplois, ont été plus touchés encore, indique-t-on au GEM. Et que dire du commerce ? « C’est la catastrophe. On n’a plus de clients. Mon chiffre d’affaires a chuté de 80 % », témoigne Danil, propriétaire d’un magasin d’électroménager dans le centre de la capitale. « Depuis le début de la crise, on note une forte baisse de la consommation des ménages, […] variant de 31 % à 37 % en moyenne », confirme la note du Pnud, selon laquelle « toutes les catégories de ménages sont concernées ».
Dans cette avalanche de mauvaises nouvelles, l’accord signé par les quatre principales mouvances politiques à Addis-Abeba, le 6 novembre, représente une lueur d’espoir. « Il était moins une ! » s’est exclamé un entrepreneur après l’annonce de la signature.
Quelques jours plus tôt, l’Union européenne avait menacé, en cas d’échec des négociations, de suspendre son aide de 630 millions d’euros – ce qui aurait pu provoquer la faillite de l’administration. Très dépendant de l’Aide publique au développement, qui représente 75 % de son budget d’investissement, l’État malgache n’a en effet plus beaucoup de réserves. Et pour cause : le Pnud estime la baisse des aides publiques à 40 % cette année par rapport à ce qui était prévu.
Plus grave, selon le milieu patronal : si les mouvances ne s’étaient pas entendues, le pays aurait très certainement été exclu de l’Agoa (African Growth and Opportunity Act) – autant dire du marché américain, qui représente 85 % des exportations du textile malgache. « S’il n’y a pas d’avancée d’ici au 31 décembre, Madagascar ne sera plus éligible. Cela signifiera que les produits exportés vers les États-Unis seront taxés entre 10 % et 35 %, contre 0 % aujourd’hui. Il n’y aura plus de commandes », indiquait en octobre John Hargreaves, vice-président du Groupement des entreprises franches et partenaires (GEFP).
Plus de 20 000 emplois menacés
« Nous ne saurons qu’à la mi-décembre si nous sommes encore éligibles à l’Agoa », précise-t-il. En cas de réponse négative, plus de 20 000 emplois directs pourraient disparaître, selon le Pnud – « sans compter les milliers d’emplois indirects », rappelle John Hargreaves.
Ce dernier se veut confiant. Selon lui, l’accord d’Addis-Abeba est « positif » et devrait convaincre les Américains. À condition que les mouvances politiques s’accordent sur la constitution d’un gouvernement. Mais en attendant, le chômage technique s’annonce pour 15 000 à 20 000 salariés. La production est en effet paralysée depuis plusieurs semaines. « Il faut six semaines pour acheminer les commandes vers les États-Unis ; il faut ajouter deux semaines pour préparer la commande : cela fait deux mois. Aujourd’hui, les sociétés américaines ne peuvent plus prendre le risque de commander des produits qui seront peut-être taxés à l’entrée dans le pays, indique le vice-président du GEFP. Nous avons déjà constaté des pertes de production importantes, qui s’étendront dans les trois premiers mois de l’année, même si nous sommes confirmés dans l’Agoa. » Il faudra des mois, ensuite, pour regagner la confiance des clients et des investisseurs.
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