La course folle à l’innovation

Sur un marché à la croissance fragile, les opérateurs redoublent d’imagination pour diversifier leur offre et enrichir leurs contenus. Transferts de données, M-Banking, accès à Internet… Le mobile est bien plus qu’un simple téléphone. Surtout en Afrique.

Publié le 1 décembre 2009 Lecture : 5 minutes.

La croissance s’essoufle, s’alarment les milliers de professionnels réunis pour le salon Africacom, les 11 et 12 novembre derniers, au Cap. C’est grave, Docteur Telco (le terme désigne les opérateurs télécoms dans le jargon du secteur) ? L’activité accuse plutôt une baisse de régime. Si la croissance ralentit depuis 2008, la performance est toujours à deux chiffres en 2009 (+ 26 %). À la fin du mois de juin, l’Afrique comptait 412,4 millions d’abonnés, soit 90,8 millions de plus en un an.

Il n’empêche, l’heure n’est plus à la pleine euphorie, avec des marges opérationnelles et des chiffres d’affaires moins flamboyants, un Arpu (revenu moyen par abonné) qui devrait décliner jusqu’en 2013… Dans ce contexte, les opérateurs de téléphonie mobile n’ont pas le choix. Ils doivent se montrer plus offensifs dans la course aux services à plus forte valeur ajoutée. Et être le plus innovants possible. Depuis deux ans, priorité est donnée à la diversification de l’offre. Avec ce double challenge : offrir la gamme de services la plus pointue possible tout en s’adaptant à un marché de masse avec des tarifs compétitifs.

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Systèmes d’alertes par SMS pour avertir de la fin du crédit d’appels, loteries à distance… Les opérateurs rivalisent d’idées. Jusqu’à instaurer un système de tarification dynamique, comme Orange au Botswana : des SMS préviennent de plages horaires à tarifs promotionnels. L’opérateur optimise l’utilisation de son réseau et en évite ainsi la saturation.

Fidéliser les clients

L’innovation gagne en sophistication. Des projets concernant la santé (M-Health) ou l’agriculture sont en phase pilote. Collecte de données, prévention, formation, conseil… le potentiel est là. MTN, en partenariat avec Google et la Grameen Foundation, a lancé « Farmers Friend » en juin 2009. Disponible en Ouganda, le service fournit des conseils aux agriculteurs. Dans le même pays, Google teste son moteur de recherche AppLab (conçu à l’initiative de Grameen) accessible par SMS : informations météo, agricoles, sportives… De son côté, le ghanéen Bright Simons a lancé MPedigree au Ghana, au Nigeria et au Rwanda pour lutter contre la contrefaçon des médicaments. Il suffit d’envoyer par SMS le code d’identification figurant sur l’emballage du médicament pour en vérifier l’authenticité.

Au nombre des innovations, le M-Commerce tient la tête d’affiche. La palme en revient à Safaricom avec M-Pesa, lancé en 2007 au Kenya. Aujourd’hui, l’opérateur commence à en tirer quelques bénéfices. De son côté, Chris Gabriel, directeur général Afrique du groupe Zain, revendique 10 millions d’usagers pour Zap (dont 1 million de clients réguliers), le système de M-Commerce développé par le groupe. Une nouvelle activité que Zain veut également utiliser pour fidéliser sa clientèle.

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Car, pour rester dans la course, les opérateurs prêtent davantage attention à la relation client et font travailler leur matière grise pour fidéliser notamment les abonnés qui jonglent d’une carte SIM à l’autre en fonction des promotions des différents opérateurs.

Tout est donc fait pour séduire l’utilisateur. Ainsi du groupe libanais Comium en Côte d’Ivoire, qui opère sous deux marques : Koz et Comium. À chacune sa gamme de clients. Envie d’envoyer un bouquet à sa dulcinée ? Il suffit d’appeler le service de « conciergerie » de Comium, qui cible les hauts revenus. À Koz, tous les autres.

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C’est une évidence, le mobile ne sert plus seulement aux appels. Les poids lourds panafricains, Vodafone, MTN, Zain et Orange notamment, qui ont trusté les clients aux Arpu les plus élevés, font tout pour les conserver dans leur giron. « Nous avons été les premiers à lancer l’iPhone en Afrique », précise Marc Rennard, responsable Afrique chez Orange. Un produit de niche plébiscité par les clients professionnels mais aussi par de jeunes urbains pourtant moins dotés. Idem pour le BlackBerry et autres smartphones. Certains sont prêts à sacrifier des mois de salaire pour s’offrir ces bijoux de technologie.

Davantage de valeur ajoutée

Les opérateurs doivent donc faire le grand écart pour répondre aux besoins différents de deux types de clientèle : ceux qui consacrent plusieurs centaines de dollars par mois à leur budget télécoms, et les plus démunis (avec un Arpu mensuel qui peut glisser à 2 dollars).

Si le paysan africain n’a pour l’heure pas besoin de surfer sur la Toile, la clientèle professionnelle et les urbains boostent le développement de l’offre data (transfert de données par mobile) et Internet. Safaricom compte tirer du data 25 % de ses revenus en 2010, contre 17 % aujourd’hui. « Aujourd’hui, la plupart des licences sur le marché sont globales, souligne Guy Zibi, fondateur d’AfricaNext. Des opérateurs obtiennent des licences à plus forte valeur ajoutée, notamment avec la transmission de données. » Idem pour Internet. On ne parle plus seulement 2G, mais 3G, wimax et LTE, la norme de quatrième génération. Safaricom a vu le nombre de ses clients 3G tripler entre 2008 et 2009, passant à 1,6 million. Zain vient de confier à Aircom International la mutation de son réseau 2G vers la 3,5G au Ghana. La tendance est à l’intégration et à l’acquisition de fournisseurs d’accès Internet (FAI). En Côte d’Ivoire, MTN a racheté en 2008 le FAI Afnet et Arobase Telecom (fixe, semi-mobile, Internet). En ligne de mire, la convergence. Orange s’est lancé dans le triple play (téléphone, Internet, TV) au Sénégal. Et c’est sans compter la mise en service des câbles sous-marins promis d’ici à 2011 qui vont doper la large bande disponible, à ce jour insuffisante. En attendant, les opérateurs ont bien saisi l’intérêt d’offrir du contenu. MTN s’est associé à l’indien IMImobile pour offrir un flux de contenus à ses abonnés et compte bien miser sur l’effet Coupe du monde de football en 2010. À quand le boom de la vidéo ? Zain propose la télévision sur mobile depuis 2004 à Bahreïn. « Dans un avenir proche, l’Afrique a plus besoin de services pratiques et d’utilité publique que de multimédia », juge Matt Reed, analyste chez Informa Telecoms. Un avis que ne partage pas Devine Kofiloto, consultant chez Teleplan Consulting : « Je suis sûr que ça peut marcher. Mais il faut faire les investissements nécessaires. »

Vaste programme, à l’heure où les opérateurs tâchent de serrer les boulons des dépenses. Comment se développer à moindre coût ? On parle de plus en plus d’externalisation, de mutualisation des investissements et de partage des infrastructures. En juin 2009, Zain a confié à Ericsson la gestion de son réseau au Nigeria. En termes de partage des infrastructures, le Nigeria, qui s’est doté d’un cadre réglementaire dès 2007, fait figure de modèle. En septembre 2009, la Banque africaine de développement (BAD) a approuvé un prêt de 30 millions de dollars au nigérian Helios, spécialisé dans la colocation d’infra­structures télécoms. Orange collabore avec MTN au Cameroun et avec Safaricom au Kenya. « Pour durer, pas moyen de faire autrement », tranche Devine Kofiloto. Mais les résistances demeurent. Difficile d’envisager un concurrent comme un partenaire. Pourquoi un leader déjà doté d’un réseau solide le partagerait-il ? Pas sûr qu’il ait envie de faciliter l’accès au réseau et donc le développement des petits acteurs et nouveaux entrants. « Les mentalités doivent changer », soupire un expert. Et les autorités de régulation de se saisir de la question.

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