Turquie : à la recherche du plan perdu
Décidé à résoudre enfin le « problème kurde », le gouvernement AKP a mis au point une série de dispositions dont, craignant les réactions des ultranationalistes, il ose à peine préciser le contenu !
En Turquie, ils sont entre 12 millions et 15 millions, dont 12 000 réfugiés en Irak du Nord. Les premiers vivent pour l’essentiel dans l’Est et le Sud-Est anatolien ou s’agglutinent à la périphérie des grandes villes. Et rêvent qu’on leur accorde de vrais droits politiques et culturels. Les seconds vivent dans les montagnes, les armes à la main ou entassés dans des camps. Et espèrent rentrer, un jour, au pays.
Tous ces Kurdes – ou presque – veulent la paix. Ils ont perdu plus de 36 000 des leurs pendant les pires années de la guerre civile (1984-1999). Aujourd’hui encore, des combats sporadiques secouent l’Anatolie et, dans le Kurdistan irakien, l’aviation turque bombarde les bases des séparatistes du PKK.
Abdullah Öcalan, leur chef, croupit en prison depuis 1999. Bête noire des Turcs, il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Malgré sa réputation de stalinien, ses partisans lui vouent un véritable culte. L’espoir d’obtenir quelques aménagements de peine l’incite à plus d’aménité. En octobre, à sa demande, une poignée de guérilleros ont quitté leur refuge irakien, avec femmes et enfants, et se sont rendus aux autorités turques.
Du bout des lèvres
Öcalan répondait ainsi au « plan kurde » proposé, en août, par le gouvernement AKP. Mais la question est si sensible que ni Recep Tayyip Erdogan, le chef du gouvernement, ni Besir Atalay, le ministre de l’Intérieur, n’en ont précisé le contenu. Comme pour se justifier, ils ont invoqué la lassitude de l’opinion, les souffrances des mères kurdes et des mères des 6 000 soldats turcs tués dans cette guerre, tout en insistant sur la nécessité de développer l’Anatolie, où la pauvreté fait le lit de la violence.
Les 12 et 13 novembre, au Parlement, le mot « kurde » n’a jamais été prononcé, et l’on a fait mine d’englober d’autres minorités (Lazes, Circassiens, etc.) dans le projet, comme pour en atténuer la portée. Seul le DTP (parti pro-kurde) a soutenu l’AKP – du bout des lèvres, car ils se disputent le même électorat. Le reste de l’opposition (extrême droite et gauche ultranationalistes) s’est déchaîné, accusant le gouvernement de « céder à des terroristes ». À l’instar de l’armée, elle a fixé des lignes rouges. Pas question d’une amnistie générale ni d’amender ou de changer la Constitution issue du coup d’État militaire de 1980, qui fait de la Turquie un État unitaire avec une seule langue, le turc.
L’impasse est totale, le gouvernement ne disposant pas de la majorité des deux tiers nécessaire à ce changement. Face à cette force qui fait bloc contre lui et dont il connaît les ressources (un projet de coup d’État a été éventé, en juin), il a dû se rendre à l’évidence : il ne pourra agir que par voie réglementaire, pour des réformes limitées.
Cinq mille disparus
Parmi ces dernières figurent l’autorisation pour les villes et les villages kurdes de retrouver leur nom d’origine, la libéralisation de l’usage de la langue kurde dans l’enseignement et les médias (qui compléterait des dispositions peu ou mal appliquées) ainsi que sur la scène politique (des dizaines d’élus ont été traînés devant des tribunaux, ces dernières années, pour s’être exprimés en kurde).
La création d’une commission chargée de traiter les plaintes pour atteintes aux droits de l’homme et d’élucider la disparition de 5 000 personnes dans les années 1990 risque de rester un vœu pieux. Quant aux réductions de peine destinées à inciter les combattants du PKK à déposer les armes, beaucoup doutent de leur efficacité. Elles ne répondent pas à leurs revendications de base : amnistie générale et reconnaissance des droits des Kurdes dans la Constitution. Parmi les objectifs affichés figurent aussi le démantèlement du camp de Makhmour (Irak du Nord), avec l’aide de l’ONU, et le rapatriement en Turquie de ses 6 000 habitants. Ce n’est pas pour demain.
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