Beyrouth by night

Restaurants, terrasses de café, bars de jazz, boîtes de nuit, casinos… Feutrée ou torride, mondaine ou populaire, l’ambiance est garantie dans la capitale nocturne du bassin euro-méditerranéen. Visite guidée.

Publié le 2 décembre 2009 Lecture : 5 minutes.

« Comparer Beyrouth by night à Marrakech, c’est comme comparer Paris à Limoges. » Mon guide libanais, chrétien orthodoxe, a une expérience franco-marocaine et l’assurance nationaliste. Sa ville natale, son Beyrouth, c’est la capitale nocturne du bassin euro-méditerranéen. Le tour de chauffe commence rue Gemmayzeh, au Bar Louie. Une scène internationale de jazz et de blues où se sont produits Steve Philips, Nicole Mitchell ou encore Jack Gregg. Musique acoustique, décor chaleureux, barman professionnel et volutes de fumée : bienvenue dans les années 1950 et l’authentique ambiance club. Dehors, la rue s’anime d’un autre concert : celui des klaxons dont la maîtrise doit être enseignée dans les écoles de conduite libanaises. Petit détour par la place de l’Étoile, dans le centre-ville historique, près de la place des Martyrs, dont la rénovation a été confiée à la très puissante société Solidere, fondée par feu Rafic Hariri. Lardées de terrasses, les rues piétonnes aux façades clinquantes ont remplacé les derniers vestiges de l’architecture coloniale qui avaient survécu à la guerre. Des femmes voilées, venues d’Arabie saoudite ou du Golfe, papotent en buvant du Diet Pepsi, pendant que les hommes tirent goulûment sur des narguilés d’où s’exhalent d’entêtants parfums sucrés. Au même titre que les cendriers, les fèves ou les mezzes, la pipe à eau est omniprésente sur les tables en plein air.

22 h 30, retour à Gemmayzeh. Lamborghini, Ferrari, Aston Martin, Bentley et 4×4 allemands roulent pare-chocs contre pare-chocs. Andreas, le patron allemand du Torino Bar, est de mauvaise humeur. Son établissement, considéré comme la base de départ de tous les authentiques noctambules beyrouthins, est, ce soir, infesté de touristes. « Non, ici ce n’est pas un Disneyland », peste-t-il, quand on évoque la réputation nocturne de sa ville. Dehors, sur le trottoir, trois soldats français de la Force intérimaire des Nations unies au Liban en uniforme et en goguette jettent un œil. Trop de monde au Torino, ils se rabattent en formation serrée sur un bar plus discret et commandent des Almaza, la bière nationale. Même fardée des paillettes de la nuit, la menace d’un nouvel embrasement militaire s’invite dans toutes les conversations. Il est temps de manger. À La Piazza, dans le quartier chrétien d’Echrafiyeh, un décor toscan tout droit sorti de Cinecitta nous accueille. Dans les assiettes, des fettucine alla vongole, et, sur scène, Francis Eliya, « le célèbre ténor libanais », dévore Verdi. « Tous les soirs, ici, c’est Bayreuth à Beyrouth », lance une quinquagénaire vêtue et maquillée comme si elle était au Palais Garnier.

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Night-clubs très spéciaux

Collision des mondes et des civilisations. Une mobylette pétaradante avec homme barbu, femme voilée et garçonnet hilare accroché au guidon manque de renverser notre amie mondaine au sortir du restaurant. Elle ouvre la porte de son Audi Q7 : « Il faut que vous nous rejoigniez au Casino du Liban, salle des Ambassadeurs. » C’est plus une convocation qu’une invitation. Nouveaux embouteillages sur la corniche, mais l’ambiance n’est pas celle d’un périphérique. Les autoradios hurlent à enceintes déployées. Seules les motos à l’échappement débridé et aux pilotes échevelés, car sans casque, parviennent à faire respecter leur capital de décibels. Pas de radars ni d’alcootests, l’autoroute du nord à huit voies, qui dessert également Damas, a des allures de circuit de grand prix. Après un crochet par Byblos, le port phénicien millénaire reconverti en Saint-Tropez du Levant, l’arrivée au Casino du Liban est digne d’un des meilleurs James Bond. Perché au-dessus de la baie de Maalmetein, à 15 km de Beyrouth, l’établissement fête cette année son demi-siècle d’existence. L’escalier monumental, coiffé d’un tapis rouge, est emprunté tous les soirs par les élégantes de tout le Moyen-Orient au bras de leurs fortunés compagnons. Pour ces messieurs, qui ont laissé les clefs de leur limousine au « valet » – le voiturier en livrée –, le cigare est de rigueur.

Au bar panoramique, le pianiste caresse les touches de son Steinway, et les bouchons de champagne fournissent les percussions. Avec le personnel, l’anglais est de mise, mais les inscriptions restent en français. Dans la gigantesque salle des machines à sous, impossible de converser : le crépitement des pièces est assourdissant. Un septuagénaire s’est endormi sur la selle de son bandit manchot, c’est sa compagne qui, assise à la machine voisine, presse distraitement le bouton clignotant du jackpot tout en scrutant son propre écran. L’ambiance est plus feutrée au Cercle d’or, le restaurant cercle de jeux ou à la Martingale, qui passe pour être une des meilleures tables du Liban.

Minuit. En contrebas du casino, sur la corniche, les néons crépitent. Les « super night-clubs » accueillent leurs premiers clients. Ces établissements, également implantés dans le centre de Beyrouth, s’identifient comme « super » car ils sont la plaque tournante de la prostitution au pays du Cèdre. Dans la centaine d’établissements spécialisés que compte le pays, le décor est à peu près le même : sur la piste de jeunes femmes blondes très légèrement vêtues se trémoussent à tour de rôle. Les clients observent, sirotent des verres à 20 dollars ou des bouteilles à 300 dollars et, quand leur choix est arrêté, ils font signe au serveur pour inviter une « artiste » à leur table. Ukrainiennes, Moldaves, Roumaines proposent leur prestation pour 100 à 300 dollars, mais uniquement le lendemain à l’hôtel. Sortir accompagné d’une « artiste » d’un super night-club, « c’est interdit, parce que c’est la loi », explique un serveur du Voodoo, dont l’enseigne rouge clignote entre deux immeubles en construction. Pour « être plus efficace » dans son rôle d’entremetteur, ce serveur utilise un pointeur laser pour interpeller les danseuses et leur désigner leur probable partenaire du lendemain.

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« Le meilleur est pour la fin »

L’heure tourne, les muezzins lancent le premier appel à la prière, mais si les mosquées drainent les fidèles des banlieues populaires, la nuit ne s’arrête jamais à Beyrouth. Les fêtards les moins fortunés se retrouvent au Barbare pour avaler un sandwich de grillades, tandis que les autres peuvent commencer leur after dans un sky bar, comme le très tendance White, qui occupe 1 000 m2 d’une terrasse dominant la place des Martyrs et la corniche de Beyrouth. Mon noctambule de guide ne veut pas se coucher et prétend que « le meilleur est pour la fin ». Il entend m’emmener rue Gouraud au Beyond the Green Door, le club branché de Beyrouth. Nous poussons donc la porte verte pour voir ce qui s’y cache derrière. Rythmes technos, DJ international, cocktails Uranium ou Ahmadinejad, insolentes soirées privées qui tournent le religieux en dérision, minijupes et décolletés pigeonnants : dans le QG de la jeune bourgeoisie francophone, ce sont toutes les frontières de la géopolitique régionale qui sont bousculées, tous les codes qui sont transgressés. C’est bien la nuit, quand le grondement des guerres s’étouffe, que cède le barrage des conventions d’une paix jeune et fragile. 

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