Tunisie : la dernière marche

Réélu pour un cinquième mandat de cinq ans, le président Zine el-Abidine Ben Ali s’est fixé un objectif ambitieux : faire entrer la Tunisie dans le club des pays développés d’ici à 2014.

Publié le 30 novembre 2009 Lecture : 5 minutes.

« Je veux que la Tunisie rejoigne le cortège des pays développés. » Réélu le 25 octobre pour un cinquième – et théoriquement dernier – mandat de cinq ans, Zine el-Abidine Ben Ali a exprimé cette vision, thème central de son programme électoral pour la période 2009-2014, à l’occasion de sa prestation de serment, le 12 novembre : « Nous avions choisi le slogan ambitieux “Ensemble, nous relevons les défis” pour en faire un puissant stimulant, pour nous tous, afin d’acquérir les aptitudes et les capacités qui permettront à notre pays de rejoindre le cortège des pays développés. » Pour concrétiser son rêve de devenir le premier pays africain développé, la Tunisie doit, dixit Ben Ali, mettre au « niveau des standards internationaux » les indicateurs de développement, « qu’ils soient politiques, sociaux, économiques ou culturels ». 

Chiffres de l’ONU à l’appui

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Mais comment devient-on un pays développé ? Il n’existe pas de conventions internationales fixant les conditions de passage du stade d’un pays en voie de développement ou émergent à celui de pays développé. Ni l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui regroupe la trentaine de pays industriellement avancés dans l’hémisphère Nord, ni le groupe de la Banque mondiale ne proposent de définitions et de critères permettant d’en établir une typologie économico-politique précise.

Ben Ali s’est fixé cette ambition en s’appuyant sur les analyses des agences spécialisées de l’ONU relatives à l’évolution du PIB moyen par habitant et en parité de pouvoir d’achat (PPA) calculée par la Banque mondiale, et sur l’indice du développement humain (IDH), dont le classement par pays est réalisé par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). D’après ces analyses, disait-il en 2006 à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’indépendance, la Tunisie devrait rejoindre le peloton des pays qui ont les indicateurs les plus élevés en matière de développement humain à l’horizon 2009. Entre-temps, la crise économique mondiale a éclaté et ralenti la croissance, ce qui a contrarié toutes les prévisions. Mais les espoirs sont toujours permis.

Dans le rapport 2009 du Pnud, parmi les 177 pays classés selon leur IDH sur une échelle allant de 0 (exécrable) à 1,00 (excellent), 70 États ont un niveau d’IDH de 0,800 ou plus, seuil leur permettant de figurer parmi les pays à IDH élevé. La Tunisie est actuellement classée dans la catégorie des pays à IDH moyen, occupant le 98e rang avec un IDH de 0,769, devançant, en Afrique du Nord, l’Algérie (104e), l’Égypte (112e), le Maroc (126e) et la Mauritanie (137e). D’ici à cinq ans, elle aura rejoint le groupe des pays à IDH élevé.

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L’autre critère pour rejoindre les pays développés réside dans le niveau de vie mesuré par le PIB moyen par habitant et celui en parité de pouvoir d’achat (PPA). Selon les statistiques du Fonds monétaire international (FMI) datant d’octobre 2009, le PIB moyen par tête est de 3 955 dollars en 2008, 3 794 dollars en 2009, et les prévisions l’estiment à 4 908 dollars en 2014. Or pour entrer dans le club des pays à revenu élevé il faut un PIB par habitant supérieur à 8 000 dollars. La Tunisie est donc encore loin du compte. De même qu’est insuffisante la progression du revenu en PPA par habitant : 8 002 dollars en 2008, 8 285 dollars pour 2009 et une prévision de 11 109 dollars en 2014.

En fait, ces critères de niveau de développement humain et de pouvoir d’achat, bien qu’ils soient importants, sont insuffisants et surtout controversés. Ils sont d’une fiabilité très inégale parce qu’ils ne prennent pas en compte, entre autres, les écarts de richesse ou l’état des libertés publiques. 

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« Ligne jaune »

En matière politique, et d’après ce que l’on sait au stade actuel, le programme présidentiel pour 2009-2014 s’inscrit dans la continuité des principes généraux développés pour les mandats précédents. Sauf que, dans son discours d’investiture, Ben Ali a très nettement et longuement tracé une ligne jaune dont on risque fort d’entendre parler durant le quinquennat qui commence. Ses détracteurs politiques, qui s’expriment parfois avec véhémence dans des médias étrangers, sont en effet priés de ne pas franchir cette ligne sous peine de poursuites judiciaires. « Pour nous, a souligné Ben Ali, l’opinion contradictoire constitue une réalité évidente, voire indispensable pour enrichir la vie publique et conforter l’entente sur les constantes et les principes que notre peuple a librement choisis et que nous nous sommes tous engagés à adopter et à défendre, et au premier rang desquels je citerais l’attachement et la fidélité à la patrie et à elle seule. » Rappelant que « l’amour de la patrie fait partie intégrante de la loi », il ajoute en conséquence que « le vrai patriote est celui qui répugne à porter son différend avec son gouvernement hors des frontières nationales pour chercher à ternir l’image de son pays et s’abriter sous la puissance de l’étranger. Semblable comportement est répréhensible moralement, politiquement et légalement ». En revanche, aux partis politiques qu’il a spécialement qualifiés de « nationaux » (considérés comme « patriotiques »), Ben Ali promet une augmentation du montant des subventions de l’État pour leur permettre de contribuer à « l’encadrement des citoyens » et de publier leurs journaux.

Dans la pratique, ces subventions, versées seulement aux partis représentés au Parlement à la proportionnelle des sièges, iront quasi totalement au parti au pouvoir et aux mouvements faisant partie de la mouvance présidentielle, qui, ensemble, occupent 212 des 214 sièges à la Chambre des députés. Sur le plan médiatique, Ben Ali, tout en formulant le vœu que les journalistes expriment les réalités et les préoccupations de la société avec « sincérité et audace », déclare qu’« il n’est point de tabou autre que ce qui contrevient aux prescriptions de la loi et aux règles de l’éthique professionnelle ». 

« Une étape délicate »

Au pouvoir depuis vingt-deux ans, Ben Ali semble être conscient des défis qui l’attendent pour faire entrer la Tunisie dans le club des pays avancés. « Les expériences qui ont émaillé l’Histoire, dit-il, ont montré que dans ce monde qui est le nôtre rien ne se fait gratuitement, et que le progrès des peuples n’est pas une offrande sans contrepartie… » Il voit en l’avenir « une étape délicate dans laquelle il n’y aura pas de place pour l’hésitation, la routine, l’incapacité, l’insuffisance ou le moindre effort, mais qui exigera, bien au contraire, l’intelligence, le savoir, l’audace et le maximum d’efforts et de labeur ». Le plus dur est devant nous.

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