Enquête : Laurent Nkunda et la raison d’Etat
Depuis son arrestation et son assignation à résidence au Rwanda, il y a dix mois, le rebelle congolais attend une hypothétique comparution. Mais devant quel tribunal ?
Kabuga, colline culminant à 800 m d’altitude dans la banlieue est de Kigali, est une petite ville plutôt tranquille. C’est ici que vit Laurent Nkunda. Une grande maison entourée d’arbres, quatre à cinq pièces, ni fauteuils ni canapés, mais des chaises en bois de fabrication locale. La résidence est gardée par une douzaine de militaires, dont deux officiers. Tous en civil. Nkunda, l’unique prisonnier, n’a le droit de communiquer avec personne, à l’exception de sa proche famille. Voilà maintenant plus de dix mois que l’ancien chef rebelle congolais a été assigné à résidence ici.
Tout a commencé en janvier 2009. Au moment où se déroulent à Nairobi des pourparlers directs entre les représentants du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et ceux du gouvernement congolais, le chef militaire du mouvement rebelle, Bosco Ntaganda, annonce, le 5 janvier, sa rupture avec Laurent Nkunda. Ce coup de théâtre n’est pas le fait du hasard : Ntaganda a été retourné à la suite de négociations secrètes entre Kinshasa et Kigali.
Du Nord-Kivu à Kigali
Au cœur de ces réunions décisives se trouvent quelques personnages clés. Côté congolais, il y a principalement le général John Numbi Banza, inspecteur général de la police, et le député Katumba Mwanke, deux hommes très proches du président Joseph Kabila. En face d’eux, le général James Kabarebe, chef d’état-major de l’armée rwandaise, et le général de brigade Jack Musemakweli, responsable du renseignement militaire. But de ces rencontres : mener des actions militaires conjointes contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) installées depuis une dizaine d’années dans les provinces congolaises du Nord- et du Sud-Kivu (Est) et mettre également un terme aux ambitions de Laurent Nkunda, le chef rebelle congolais dont les hommes font trembler la région. L’opération « Umoja wetu » (« Notre unité ») sera déclenchée le 20 janvier. Quatre jours plus tôt, le 16 janvier, le commandement militaire du CNDP annonçait la fin des hostilités contre l’armée congolaise.
C’est dans ces conditions que Laurent Nkunda reçoit un coup de fil de James Kabarebe, qui l’invite à Gisenyi, dans l’ouest du Rwanda, pour des discussions sur la nouvelle donne. Nkunda a-t-il compris que le glas vient de sonner pour lui ? Espère-t-il encore changer le cours des événements ? Toujours est-il qu’il quitte ses terres du Rutshuru, dans le Nord-Kivu, le 22 janvier. À 20 heures, il arrive à Gisenyi en compagnie de quelques fidèles. Trois heures plus tard, il se retrouve en face de Kabarebe dans une villa. L’entretien dure jusqu’à 3 heures du matin. Le chef d’état-major de l’armée rwandaise essaye de convaincre son hôte de se retirer de la scène, expliquant que Kabila ne veut pas travailler avec lui dans la nouvelle guerre contre les FDLR. Mais, cela, Nkunda ne peut l’accepter. Quand les deux hommes se séparent, l’atmosphère est tendue.
Le lendemain, le 23 janvier, la nouvelle de son arrestation est annoncée dans les médias. L’ancien homme fort du CNDP, qui n’a pas écouté la radio, l’apprend de la bouche de sa femme, Elisabeth Maheshe Nkunda. Les événements se précipitent ensuite : l’arrestation devient officielle et Nkunda, sans téléphone portable, est coupé du monde. Gardé au secret à Gisenyi, il ne sera transféré à Kabuga que le 26 mai. Une source rwandaise proche du dossier affirme que James Kabarebe voulait même, au début de sa mise aux arrêts, le livrer sans délai aux autorités congolaises, avant d’en être dissuadé.
Il écoute la radio tôt le matin
Quelques mois plus tard, Elisabeth Maheshe Nkunda, qui n’a plus vu son mari depuis le 23 janvier, porte plainte contre le gouvernement rwandais pour détention illégale. La requête est déposée le 16 mars par un collectif d’avocats dirigé par le Canadien Stéphane Bourgon. Mais la procédure s’enlise lorsque le tribunal de grande instance de Gisenyi demande à Stéphane Bourgon, qui n’a jamais rencontré son client, de préciser le nom de l’accusé. C’est ainsi qu’une nouvelle plainte est déposée contre le général James Kabarebe. Depuis avril, la procédure est bloquée. Car, selon les explications de Richard Rwihandagaza, avocat de Nkunda jusqu’en avril dernier, « la comparution de Kabarebe devant une juridiction militaire exigerait celle de Nkunda. Apparemment, les autorités rwandaises ne veulent pas d’un tel engrenage ». Ou comment éviter d’ouvrir la boîte de Pandore…
En attendant, sa famille – c’est-à-dire sa femme et deux de ses six enfants – est autorisée à lui rendre visite. « Quand j’entre dans cette maison, je suis obligée de déposer mes téléphones sur une table. Mais je parle à mon mari sans témoins », confie Elisabeth Maheshe Nkunda. S’il n’a pas de téléphone, Nkunda est toutefois au courant de tout ce qui se passe dans le monde : il écoute la radio dès 5 heures du matin, regarde la télévision et lit les journaux que sa femme lui apporte. Son quotidien semble même très bien réglé : il se lève dès l’aube, écoute les informations, quitte sa chambre entre 10 heures et 11 heures pour prendre l’air dehors, déjeune à 13 heures avec les deux officiers (les repas sont préparés par les gardes), regagne sa chambre à 14 heures pour la sieste, en sort à 16 heures pour une partie de volley-ball ou de football avec ses gardiens, dîne à 20 heures avant de retrouver sa chambre deux heures plus tard. Pasteur évangélique, Nkunda lit la Bible, écoute aussi de la musique religieuse et regarde sur un lecteur de DVD des pièces de théâtre congolaises. Ne portant plus de tenue militaire, il est souvent en survêtement. D’après sa femme, il écrit beaucoup. C’est en août, deux jours avant la rencontre entre Joseph Kabila et Paul Kagamé à Goma, qu’il a reçu la dernière visite d’un officiel rwandais : le général Jack Musemakweli, qui s’en réfère directement à James Kabarebe. Le dossier Nkunda est également suivi par le colonel Joseph Nzabamwita de l’External Security Organisation (ESO), qui en rend compte à Emmanuel Ndahiro, le patron des services de renseignements.
Un proche du dossier affirme que Laurent Nkunda « est bien traité humainement », mais qu’il est « déprimé, car il ne s’attendait pas du tout au revers qu’il a subi et dépérit à vue d’œil ». Pour Elisabeth Maheshe Nkunda, « c’est un prisonnier fatigué qui veut savoir ce qu’on lui reproche et combien de temps il vivra dans ces conditions. Il n’est pas déprimé. Il a plutôt le sentiment d’être torturé moralement. La solitude lui pèse. Il reste persuadé que les Rwandais l’ont trahi ». Plus d’une fois, il lui a été demandé de choisir un pays d’accueil. Mais Nkunda ne veut pas entendre parler d’exil. Il préfère se retrouver dans l’un des camps où vivent des réfugiés tutsis congolais. « Pour fomenter des troubles ? Il n’en sera jamais question ! », tranche un officiel rwandais. Une chose est sûre : il a perdu le sourire.
Quel avenir pour l’enfant terrible du Nord-Kivu ? Sera-t-il extradé vers son pays comme l’exigeait Kinshasa il y a quelques mois ? Ou sera-t-il tout simplement retenu au Rwanda jusqu’à ce qu’on l’oublie ? Rien n’est simple dans cette affaire, même si l’option « relégué aux oubliettes » serait pour beaucoup la plus simple. D’un côté comme de l’autre, il est question de raison d’État. « Nous avons dit aux Congolais de comprendre que cette affaire a des répercussions sur notre politique intérieure », explique un responsable rwandais. « Étant d’ascendance rwandaise, Nkunda a, comme le stipule notre Constitution, automatiquement la nationalité rwandaise. Donc, nous ne pouvons l’extrader sans provoquer la colère de nombreux Congolais d’ascendance rwandaise qui vivent dans notre pays et qui sont dans le même cas que lui », conclut-il. À Kinshasa, un ancien ambassadeur congolais ne dit pas le contraire : « La Constitution du Rwanda fait de Nkunda un citoyen de ce pays. Nous ne pouvons donc pas le réclamer au Rwanda. Notre seule préoccupation reste l’intégration régionale. »
Parler à Kagamé
De toute façon, Kinshasa semble s’intéresser peu à son cas. Dans l’entourage du président congolais, on explique : « Ici, nous ne parlons pas beaucoup de cette affaire. Le chef de l’État n’y croit pas. Je ne l’ai jamais vu emballé, même lorsque le gouvernement a entrepris des démarches pour obtenir l’extradition de Nkunda. Cette extradition l’aurait embarrassé pour plusieurs raisons. D’abord que faire de l’ancien rebelle : le mettre en prison, le laisser en liberté et l’expliquer à la population ? Si les Rwandais nous envoyaient Nkunda, ce serait un cadeau empoisonné et il y aurait un piège quelque part. »
Stéphane Bourgon, l’avocat canadien, doit déposer avant le 26 novembre une nouvelle requête à la Cour suprême pour obtenir la libération de son client. « Je vais expliquer que Nkunda était un gage de stabilité, pas d’instabilité », commente l’avocat. Une fin de non-recevoir a été réservée à ses deux dernières requêtes déposées en septembre et en octobre devant l’auditorat militaire et la Haute Cour militaire. « Quand un tribunal refuse même de recevoir une requête sans qu’il y ait eu audience, c’est inquiétant », déclare Stéphane Bourgon. « En cas d’échec devant la Cour suprême, je poursuivrai l’aspect judiciaire le plus loin possible, renchérit-il. Comme ultime recours, je sensibiliserai les ambassades étrangères à Kigali. Mais j’espère aussi pouvoir rencontrer le président Paul Kagamé, qui est un homme de dialogue. Je lui ai écrit plusieurs fois. Je ne sais pas s’il a reçu mon courrier notifié par voie d’huissier. » En attendant, Elisabeth Maheshe Nkunda et ses enfants vivent actuellement à Nyamirambo, un quartier populaire de la capitale rwandaise. Si elle ne se fait pas beaucoup d’illusions, la femme de Laurent Nkunda garde espoir : « Les États-Unis finiront par faire quelque chose », lâche-t-elle, énigmatique.
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