Félicien Kabuga, l’insaisissable fugitif
Le « banquier » du génocide est toujours en cavale. La pression monte contre Nairobi, accusé d’en faire trop peu pour prouver qu’il a bel et bien quitté le Kenya.
Stephen Rapp, l’ambassadeur extraordinaire des États-Unis en charge des crimes de guerre n’y est pas allé par quatre chemins. Il a affirmé le 16 novembre, à Nairobi, que Félicien Kabuga, l’un des onze suspects rwandais en fuite et recherchés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), se trouvait au Kenya. Avant lui, ses prédécesseurs, Pierre-Richard Prosper et Clint Williamson, avaient tenu le même langage. Pourtant, depuis plusieurs années, les autorités kényanes répètent que le Rwandais n’est plus sur leur territoire. Ce qui a conduit le procureur général du TPIR, Hassan Bubacar Jallow, à saisir, en juin dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU afin que ce dernier force le Kenya à prouver que Kabuga avait réellement quitté le pays.
Proche d’Habyarimana
Selon un responsable du TPIR qui a requis l’anonymat, « depuis l’époque de l’ancien président Daniel arap Moi, les Kényans n’ont jamais joué franc-jeu dans cette affaire. Lorsque Mwai Kibaki est arrivé au pouvoir, il lui a été demandé de coopérer. Il a accepté, mais a finalement donné peu d’informations. Les Kényans ne disent pas toute la vérité ». Officiellement, le TPIR tempère. Le porte-parole Roland Amoussouga reconnaît que « la coopération du Kenya depuis 1997 a permis d’arrêter une dizaine de personnes », dont Jean Kambanda, Premier ministre du gouvernement intérimaire pendant le génocide. L’empressement ne semble pas être le même pour Kabuga…
Poursuivi pour génocide et crimes contre l’humanité, Félicien Kabuga, âgé aujourd’hui de 74 ans, était jusqu’en 1994 un personnage puissant du régime rwandais. Riche homme d’affaires lié par alliance à la famille du président Juvénal Habyarimana, il possédait des plantations de thé de plus de 300 hectares, une minoterie, des complexes immobiliers, des entrepôts… Selon l’acte d’accusation du TPIR, c’est à la fin de l’année 1990, après l’attaque du Front patriotique rwandais (FPR), qu’il entame l’élaboration d’un « plan dans l’intention d’exterminer la population civile tutsie et d’éliminer les membres de l’opposition ». Il prend par la suite les rênes du Comité provisoire du Fonds de défense nationale et du Comité d’initiative de la Radiotélévision des Mille Collines (qui va attiser la haine et inciter au massacre). Mais il demeure surtout le principal financier et bailleur de fonds du parti présidentiel – le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND) – et de la Coalition pour la défense de la République et de la démocratie (CDR). Les trop célèbres machettes utilisées pour tuer auraient été payées de sa poche…
Kabuga serait arrivé au Kenya entre 1997 et 2000, après avoir séjourné notamment en Suisse et en RD Congo. Grâce à sa fortune, évaluée à quelque 20 millions de dollars, il investit dans le pays et jouit de la protection des plus hautes autorités kényanes. À commencer, selon plusieurs sources, par Daniel arap Moi en personne. Le 11 juin 2002, les Américains lancent à Nairobi une campagne médiatique destinée à l’arrestation de Kabuga avec, à la clé, une récompense « pouvant aller jusqu’à 5 millions de dollars ». Mais l’homme d’affaires continue d’échapper à la fois aux enquêteurs du TPIR, à ceux du FBI, aux services de renseignements et à la police kényane… Rapidement, les Américains soupçonnent un membre du cabinet de Moi, Zakayo Cheruiyot, d’avoir aidé le Rwandais à disparaître. Ils n’obtiennent aucune réaction du chef de l’État. Quand Mwai Kibaki arrive au pouvoir en décembre 2002, il confirme dès le mois suivant les soupçons qui pèsent sur Zakayo Cheruiyot. L’homme était complice et, pour cette raison, il ne sera pas repris dans l’équipe présidentielle. Mais la punition s’arrête là et Kabuga court toujours.
Trop puissant pour tomber ?
Félicien Kabuga est-il toujours au Kenya ? Tout le monde le pense, même au Rwanda où, en septembre dernier, Amos Wako, le procureur général de la République, affirmait le contraire. « Si le Kenya soutient que Kabuga a quitté son territoire, peut-on nous dire quand cela s’est-il passé et où il s’est ensuite rendu ? », s’interroge un procureur de Kigali. Au TPIR, on affirme que l’homme a accumulé de larges intérêts financiers au Kenya et qu’il est, entre autres, actionnaire d’entreprises comme Hashi Empex Limited, Ndimo Company, Zadok Transporters et Zadok United. Propriétaire foncier et immobilier, il posséderait également des appartements le long de Lenana Road à Nairobi, un immeuble, un hôtel et des fermes disséminées dans le pays. Trop puissant pour tomber ? Trop généreux auprès de ses protecteurs kényans pour être dénoncé ?
Les autorités kényanes ont tout de même consenti à geler ses avoirs, l’an dernier. Et le TPIR n’entend pas relâcher la pression sur Nairobi, « en utilisant tous les canaux diplomatiques », indique un responsable.
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