Compaoré : profession médiateur
Hier le Togo et le Niger, aujourd’hui la Côte d’Ivoire et la Guinée… Le chef de l’État burkinabè n’en finit plus de courir au chevet de ses voisins secoués par les crises. Au point d’en oublier son pays ?
Fidèle à sa réputation d’homme élégant, le chef de l’État burkinabè porte toujours des costumes parfaitement ajustés. C’est dans cette tenue qu’il a accueilli le 19 novembre les protagonistes de la crise guinéenne dans sa capitale. L’allure fière, le mot rare, la voix basse et le ton courtois : le Blaise Compaoré version 2009 n’a plus grand-chose à voir avec le jeune capitaine qui, en 1987, « rectifiait » la révolution. Ni avec celui qui, dans les années suivantes, envoyait des hommes aux côtés de Charles Taylor au Liberia. Il n’est plus tout à fait non plus celui qui, en 2004, hébergeait des rebelles ivoiriens prêts à se lancer à l’assaut d’Abidjan.
Son passé tourmenté et ce parcours atypique ne l’empêchent pourtant pas d’être aujourd’hui l’un des hommes les plus influents d’Afrique de l’Ouest. À 58 ans, il a acquis une légitimité qui fait de lui l’arbitre de presque tous les conflits de la sous-région.
À Ouagadougou, en cette fin d’année 2009, les délégations défilent. Les Guinéens sont arrivés pour un deuxième round de négociations, après avoir été reçus au début de novembre. Les Ivoiriens, eux, sont attendus prochainement pour une réunion du Cadre permanent de concertation (CPC).
Pour trouver des solutions, Blaise Compaoré voyage beaucoup. Début octobre, il était à Abuja dans le cadre d’une réunion de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Le 16 novembre, il y retournait pour évoquer le cas guinéen avec le président nigérian Yar’Adua. Entre ces deux déplacements, il a trouvé le temps d’aller à Khartoum. Un rapide aller-retour le 31 octobre pour soutenir les efforts de son ancien ministre et homme de confiance, Djibril Bassolé. Autre dossier en attente sur son bureau : celui du Togo, où se prépare l’élection présidentielle du début de 2010.
C’est d’ailleurs au Togo, en 1993, que Blaise Compaoré a endossé pour la première fois son costume de facilitateur. « Il fallait quelqu’un en qui le président Eyadéma avait confiance, quelqu’un qui pouvait lui parler et qu’il écouterait », se souvient Djibril Bassolé.
Lune de miel avec Abidjan
Le dossier suivant est arrivé sur la table du président du Faso un an plus tard, en 1994. Niger, crise touarègue. Il lui faut une année de discussions pour aboutir à un texte qui met fin aux affrontements armés. Les rebelles, confortablement installés dans des hôtels climatisés, ne précipitent pas les pourparlers. « Ils avaient tendance à prendre leur temps. Il a fallu que l’on tape du poing sur la table, que l’on restreigne l’accès au bar et au téléphone, pour que les discussions avancent », se souvient avec amusement un familier du dossier.
Le plus beau trophée du tableau de chasse reste la Côte d’Ivoire. Même si la crise n’est pas encore soldée, le Burkinabè a réussi là où la France et l’Afrique du Sud avaient échoué. « Il connaît tous les protagonistes depuis longtemps », explique son ministre des Affaires étrangères, Alain Yoda, interviewé par Jeune Afrique. Il a côtoyé Henri Konan Bédié ; il est proche d’Alassane Dramane Ouattara ; il a soutenu et même financé Laurent Gbagbo, quand ce dernier était le principal opposant d’Houphouët-Boigny. « Il doutait au début que Gbagbo tiendrait au pouvoir. Il a été surpris par sa résistance et a compris qu’il était un interlocuteur incontournable », explique Arsène Bongnessan Yé, ancien président de l’Assemblée nationale burkinabè et proche des deux hommes.
C’est ainsi que celui qui fut soupçonné de soutenir d’abord Ouattara, puis les Forces nouvelles, est aujourd’hui accueilli avec tous les honneurs à Abidjan. « Un proverbe mossi dit que si tu ne peux rien contre ton voleur, autant l’aider à charger la marchandise », commente Ahmed Newton Barry, rédacteur en chef du bimensuel L’Événement. « Acculé par la résolution des Nations unies qui l’obligeait à organiser les élections avant octobre 2007, Gbagbo s’est jeté dans les bras de Compaoré pour obtenir un sursis. C’est maintenant un compagnonnage qui devrait durer », analyse ce journaliste. D’autres avancent que l’implication de Compaoré dans la médiation était finalement le seul moyen de s’assurer qu’il ne jouerait pas les trouble-fête. « Il fait tout ça pour la paix dans la région. C’est dans l’intérêt de tous et dans celui du Burkina, qui a besoin de stabilité autour de lui pour se développer », argumente Alain Yoda.
Des atouts de poids
Avec ses vingt-deux années passées au pouvoir, Blaise Compaoré, malgré son jeune âge, est le doyen des chefs d’État de la région. Il a assisté au départ des pères des indépendances, aux cérémonies d’investiture de leurs successeurs. Il a vu les carrières se faire et se défaire. Son pays a hébergé quelques-unes des oppositions civiles (et armées) voisines. L’un de ses proches complète : « Blaise Compaoré a aussi une expérience de « rebelle ». Il a été à la tête d’un commando de militaires qui a pris le pouvoir. Il sait ce que c’est que d’être dans l’opposition et a désormais l’expérience de la gestion des affaires publiques. Il a tous les outils en main. »
Pourtant, la partie n’est pas gagnée. Ni en Côte d’Ivoire ni en Guinée. Et les lignes ne sont pas toujours aussi claires qu’il y paraît. Ainsi le médiateur a-t-il vu encore une fois son pays indexé par le comité des sanctions contre la Côte d’Ivoire, qui a enquêté sur le respect de l’embargo. Dans un rapport rendu public à la mi-octobre, ce comité dénonce des « transferts d’armes et de munitions à partir du territoire burkinabè ». Les enquêteurs admettent qu’ils n’ont aucune preuve de l’implication de l’État, si ce n’est dans la fourniture d’uniformes. Le ministre des Affaires étrangères dément en bloc. « L’État ne peut en aucun cas être impliqué dans un trafic d’armes avec la Côte d’Ivoire. » Tout au plus reconnaît-il que « les trafiquants sont ingénieux et les frontières poreuses ». « Qui pourrait croire, ajoute-t-il, que l’on va déstabiliser un pays, armer une rébellion en envoyant des kalachnikovs dans des sacs de cacao ou de riz ! »
Pour sa défense, Blaise Compaoré peut compter sur la confiance et le soutien de la France, de l’Union européenne, des États-Unis… « Il n’est que l’instrument de la France dans ces dossiers », estime même un de ses adversaires.
Pourtant, tout le monde ne travaille pas dans son sens. Dans le dossier guinéen, il lui faut compter avec Mouammar Kadhafi. Compaoré a pris ses distances avec celui qui l’a beaucoup aidé par le passé. Et qui, du coup, le lui fait payer. Le « Guide » libyen aurait récemment tenté une médiation parallèle, avec l’aide, dit-on, de l’ancien Premier ministre Lansana Kouyaté. Celui-ci, exclu des rencontres de Ouagadougou parce qu’il ne figurait pas sur la liste des représentants élaborée par les « Forces vives », est reparti furieux en promettant de faire capoter la médiation. « Entre Kadhafi et Blaise, il y a maintenant concurrence. Et c’est une donnée non négligeable de l’équilibre des forces dans la région », note Ahmed Newton Barry.
Les hautes feuilles du rônier
Accaparé par ses dossiers régionaux, le président donne l’impression d’être de plus en plus éloigné des affaires nationales, prises en main par le Premier ministre, Tertius Zongo. « Il est comme le rônier, ce palmier qui pousse si haut que ses feuilles ne font pas d’ombre à ceux qui sont à ses pieds, mais profitent aux voisins », entend-on souvent à Ouaga. « Depuis quand le chef de l’État n’est pas allé faire une tournée en province ? » dénonce un militant de l’opposition.
Halidou Ouédraogo, l’ex-président du collectif de la société civile qui a mobilisé les foules au lendemain de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en décembre 1998, s’interroge sur la légitimité des interventions du chef de l’État. « Les crises dont il s’occupe sont toutes liées à des problèmes de succession et d’alternance. Ne fais pas ailleurs ce que tu n’es pas capable de faire chez toi ! » prévient cet avocat, qui reproche au chef d’État sa longévité au pouvoir.
« Si le président réussit ses médiations, c’est justement parce qu’il est au pouvoir et que cela lui confère une autorité. On ne peut pas passer son temps à lui confier des missions et en même temps lui reprocher d’être toujours là », argumente de son côté Roch Marc Christian Kaboré, président de l’Assemblée nationale et leader du parti présidentiel.
Quels que soient les critiques, la méthode, le dessous des cartes et les intentions cachées, le président sera jugé sur ses résultats. Si la Côte d’Ivoire organise des élections incontestées, si la Guinée opère une transition consensuelle, il confortera sa position. Au moins à l’extérieur, en peaufinant son image de faiseur de paix.
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