Un milliard d’Africains : baby-boom, mode d’emploi

Du Maroc à l’Afrique du Sud, de la Côte d’Ivoire au Kenya, la situation sur le continent est contrastée. Jeunesse pour les uns, baisse de la natalité pour d’autres…

FRANCOIS-SOUDAN_2024 NICOLAS-MICHEL_2024 cecile sow

Publié le 24 novembre 2009 Lecture : 8 minutes.

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Un milliard d’Africains

Sommaire

1. Quel est le pays le plus peuplé ?

Plus gros ne veut pas toujours dire plus grand. Avec 154,7 millions d’habitants, le Nigeria est le pays le plus peuplé du continent. Il devance de beaucoup l’Égypte (83 millions) et l’Éthiopie (82,8 millions), les numéros deux et trois africains. Pourtant, avec 923 000 km2, le Nigeria est loin d’être le plus grand pays : le Soudan, l’Algérie, la RD Congo, l’Angola sont plus vastes. La superficie n’explique donc pas le record nigérian. La natalité, peut-être : avec 5,17 enfants par femme, le pays est parmi les dix plus féconds d’Afrique. La pauvreté aussi : leur État a beau être le premier producteur africain de pétrole, plus de 90 % des Nigérians vivent avec moins de 2 dollars par jour. Faire de grandes fratries c’est multiplier le nombre de bras pour nourrir la famille. Mais c’est aussi entrer dans un cercle vicieux. En 2050, les Nigérians seront 289 millions à se partager les ressources nationales.

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Sur fond de tensions communautaires et à défaut d’un réel développement économique et social, la bombe démographique menace d’exploser au Nigeria. Lagos, mégapole tentaculaire à l’urbanisation totalement anarchique, incarne à elle seule tous les excès avec ses 10,6 millions d’habitants.

Source : FNUAP

2. Où fait-on le plus d’enfants ?

Avec 7,07 enfants par femme, le Niger détient le record mondial de la fécondité. Autre « performance » pour le pays : sa croissance démographique ces prochaines années. Au nombre de 15,3 millions aujourd’hui, les Nigériens devraient être 58,2 millions en 2050. En quarante ans, la population aura été multipliée par 3,8 ! Aucun État en Afrique ne réalisera un tel bond. Après les Nigériens, les Ougandais arriveront loin derrière : avec un taux de fécondité actuel de 6,25 enfants par femme, ils ne seront « que » 2,8 fois plus nombreux en 2050 (32,7 millions aujourd’hui). Cette surnatalité au Niger, notamment dans la région de Zinder (Sud), a été l’un des facteurs aggravant la crise alimentaire de 2005.

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Explosion des naissances ne rime cependant pas toujours avec explosion de la population. Exemple : la Somalie. Avec 6,35 enfants par femme, elle détient la médaille d’argent africaine du taux de fécondité. Mais pas celle du taux de croissance démographique : ces cinq dernières années, la population n’a crû que de 2,3 % par an (pour un record africain de 4,1 %, détenu par le Liberia). Explication : dans une Somalie privée d’État depuis 1991, on naît mais on meurt aussi beaucoup, et jeune. L’espérance de vie s’élève à 50 ans. Deux tiers des accouchements se déroulent sans infirmière.

3. Où en fait-on le moins ?

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L’émergence d’une classe moyenne désireuse d’assurer l’avenir de sa progéniture, des femmes affranchies du joug traditionnel et n’hésitant pas à recourir à la contraception, un accès à la santé en nette amélioration… tout était réuni pour que la Tunisie vive sa transition démographique. Avec 1,84 enfant par femme et une croissance de sa population de 1 % entre 2005 et 2010, elle se situe à peine au-dessus de la moyenne des pays riches, qui est respectivement de 1,64 enfant par femme et de 0,3 % en ce qui concerne la croissance démographique. Une situation qui a son revers. La Tunisie est un pays qui vieillit à l’occidentale. Pour l’instant, cela ne constitue pas un frein au développement économique, mais, à terme, la pression des inactifs âgés sur les actifs s’exercera et engendrera un coût pour la nation. Avec, à la clé, le financement des retraites. Un problème de riches !

4. Quelle est la nation la plus jeune ?

C’est un chiffre incroyable : 49 % des Ougandais ont aujourd’hui moins de 15 ans ! Avec plus de 32 millions d’habitants, le pays dirigé depuis 1986 par Yoweri Museveni est ainsi le plus jeune du monde, avec le Niger. Sa croissance démographique d’environ 3 % et son indice de fécondité dépassant les 6 enfants par femme pourraient le conduire à plus de 90 millions d’habitants en 2050, sur un territoire de 241 000 km2.

Comment expliquer cette situation ? Après les dictatures de Milton Obote et d’Idi Amin Dada, ce n’est qu’à la fin des années 1980 que le pays a retrouvé la stabilité et la croissance. À la même époque, le sida provoquait un excès de mortalité dans la population en âge d’avoir des enfants. Depuis, les conditions de vie se sont améliorées et le taux de prévalence du sida a considérablement diminué. Reste qu’aujourd’hui l’utilisation de contraceptifs par les femmes mariées est limitée : 24 % d’entre elles y ont recours, contre 45 % au Kenya. Le taux de natalité est de 47 ‰ quand celui de mortalité est de 13 ‰. L’espérance de vie, quant à elle, dépasse à peine les 50 ans. Si la population est jeune, c’est donc en raison du grand nombre de naissances, d’une population d’âge intermédiaire décimée, entre autres par les ravages du sida, et d’une espérance de vie encore faible.

5 Comment le Rwanda peut-il désamorcer sa « bombe démographique » ?

Avec ses dix millions d’habitants pour 12 500 km², sa myriade de micro-exploitations vivrières qui se sub­divisent à chaque génération et son taux d’accroissement de la population de 2,7 % par an en moyenne, le pays des Mille Collines détient le record africain de la densité : 375 habitants au km2 – l’équivalent de celle des Pays-Bas, pour un PIB quatre cents fois inférieur. Une pression démographique « nettement excessive », selon le président Kagamé lui-même, qui juge sa régulation « excessivement délicate » à cause des « susceptibilités culturelles, spirituelles et communautaires » des Rwandais. Même si la baisse régulière de l’indice de fécondité (de 6 à 5 enfants par femme en dix ans) démontre que la politique de planning familial commence à produire quelques résultats, les projections demeurent inquiétantes : 22 millions d’habitants en 2050 selon le Fnuap, soit une densité de plus de 700 habitants au km² et une moyenne de 10 Rwandais par hectare de terre cultivée !

Tout en préconisant un « travail pédagogique quotidien » en faveur de la limitation des naissances, Paul Kagamé a donc tenté un pari audacieux, mais vital : transformer le handicap démographique en atout pour le développement et la pression géographique en pression créatrice. À l’instar des hauts plateaux bamilékés ou kényans, les collines rwandaises sont devenues des lieux d’intensification et d’innovation agricole. Et le Rwanda, en investissant dans l’éducation de masse, se rêve en ruche technologique et en hub de services pour toute l’Afrique de l’Est. Sans doute est-ce là le seul moyen de briser la fatalité du mal qui, jusqu’ici, a toujours relié le phénomène de surpopulation au poison des tensions intercommunautaires.

6. La contraception est-elle la solution ?

Elle fait partie des moyens qui permettent de réduire les naissances et donc la croissance démographique. S’il est vrai que la majorité des États africains a adopté des textes sur les droits humains donnant le pouvoir aux femmes de décider librement du nombre d’enfants dans le foyer, s’il est vrai que la contraception est officiellement admise dans la plupart des politiques publiques mises en œuvre, sur le terrain, les contraintes et les facteurs d’inertie sont réels : conservatisme, patriarcat, polygamie… « Le problème réside dans l’offre et donc l’accès à la contraception. Les responsables des programmes de planning familial n’étant pas toujours convaincus, cela marche moins bien », explique le démographe Gilles Pison, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined) de Paris. De plus, la lutte contre le sida au cours des vingt dernières années a beaucoup plus suscité l’attention des gouvernements que la planification des naissances. Ce qui, de l’avis de plusieurs spécialistes, doit être corrigé rapidement.

7. La polygamie explique-t-elle la surnatalité ?

Il n’existe pas de statistiques précises sur l’ampleur de la polygamie. Néanmoins, sur dix mariages coutumiers, religieux ou civils, on estime à six ou sept le nombre d’unions polygames au sud du Sahara. La polygamie, même si elle est plus visible dans les pays à majorité musulmane, notamment en Afrique de l’Ouest, est très largement pratiquée. Si aucun lien direct n’est établi avec l’appauvrissement des populations, on considère toutefois que l’augmentation des charges de l’époux –  ayant plusieurs femmes et de nombreux enfants – peut constituer un obstacle à l’éducation de la fratrie et donc à terme au développement économique. « C’est vrai que la polygamie s’est maintenue plus qu’on ne l’imaginait. Mais, là aussi, les choses évoluent. Dès lors que les filles vont à l’école et suivent des études, elles sont moins enclines à accepter ce genre de mariage. Et même en cas de polygamie, elles maîtriseront mieux leur fécondité », fait toutefois remarquer Gilles Pison.

8. La religion joue-t-elle un rôle ?

Oui et non. « Les religions présentes en Afrique sont pour la plupart natalistes », explique Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris, Paris) et auteur de Géopolitique de l’Afrique (Armand Colin, 2006). « L’Église catholique, explique-t-il, a toujours été conservatrice vis-à-vis de la contraception et du préservatif, même si les évêques du continent n’ont pas forcément la même position. L’islam et les courants évangélistes sont aussi dans cette optique nataliste. » Les religions animistes encouragent également un fort taux de fécondité, rappelle-t-il. Seule l’Église protestante favorise le contrôle des naissances à ceci près que les Églises évangéliques, en forte progression sur le continent, développent des thèses rétrogrades sur la question. Toutefois, ce serait une erreur de surévaluer l’impact du dogme religieux sur la courbe des naissances. La religion fait partie d’un ensemble de facteurs parmi lesquels certains sont plus influents, comme le niveau d’instruction, la scolarisation des filles et la mortalité infantile…

9. Faut-il suivre les exemples chinois et indien ?

Non. D’abord pour des raisons éthiques : la politique de l’enfant unique, imposée à la fin des années 1970 par les autorités chinoises aux Hans, l’ethnie majoritaire (90 % de la population), a abouti à de nombreuses dérives – déséquilibre entre les sexes, trafic de femmes, avortements en masse, stérilisations forcées… Mais les démographes ont d’autres arguments. La diminution rapide de la taille des familles en Chine n’est pas seulement due à la politique de l’enfant unique. On a observé la même évolution dans certains pays voisins qui n’avaient pas adopté de politique répressive, comme la Thaïlande et Taïwan. D’ailleurs, la fécondité chinoise avait fortement chuté avant même la politique de l’enfant unique : elle était passée entre 1970 et 1978 de 5,75 à 2,75 enfants par femme. « Les décisions politiques n’ont une influence que si elles accompagnent l’évolution de la société », estime Gilles Pison. L’Inde, qui a imposé sans succès une politique répressive dans les années 1960, l’a appris à ses dépens.

10. Quels seront les 5 pays africains les plus peuplés en 2050 ?

Les mêmes qu’en 2009, à une exception près. Le Nigeria sera encore largement en tête avec 289,1 millions d’habitants. L’Éthiopie, aujourd’hui troisième et qui connaît un fort taux de croissance (+2,6 % entre 2005 et 2010), devrait arriver en deuxième position, avec 173,8 millions de personnes. Si les estimations se confirment, elle devancera la République démocratique du Congo (147,5 millions), l’Égypte (129,5 millions) et la Tanzanie (109,5). L’Afrique du Sud, cinquième aujourd’hui, dégringolerait en dixième position. Son taux de croissance n’étant, entre 2005 et 2010, que de 1 %, sa population devrait passer à « seulement » 56,8 millions d’habitants. La transition démographique est en cours dans le pays de Nelson Mandela. D’ici à 2050, l’Ouganda (91,3 millions), le Kenya (85,4), le Soudan (75,9) et le Niger (58,2) devraient être devant la nation Arc-en-Ciel.

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