Un milliard d’Africains !
Le cap vient d’être franchi, selon les Nations unies. Bombe démographique ou chance pour le développement, la jeunesse du continent est une arme à double tranchant. Même si elle est en baisse, la forte fécondité place l’éducation et le partage des richesses au rang de priorités.
Un milliard d’Africains
Thomas Robert Malthus doit se retourner dans sa tombe. Ce pasteur britannique, inspirateur des politiques natalistes, dont toute l’œuvre est marquée du sceau d’un catastrophisme quasi apocalyptique, verrait certainement dans les statistiques et prévisions diffusées le 18 novembre par le très officiel Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) une confirmation de son pessimisme ontologique. Avec son milliard d’habitants atteint quelque part au cours du premier semestre de 2009 (événement dont J.A. avait rendu compte début septembre), ses 2 milliards prévus en 2050 et ses 4 milliards annoncés pour 2100, l’Afrique, continent le plus pauvre de la planète, se dirige, apparemment, droit dans le mur. Si l’on ajoute, histoire d’alimenter un peu plus l’usine à fantasmes, les records planétaires de fécondité et de jeunesse d’une population dont la taille double à chaque génération malgré des taux de mortalité infantile et maternelle élevés, et une espérance de vie à la naissance la plus basse au monde (50 ans en Afrique subsaharienne, 68 ans au Maghreb), la forteresse Europe a de quoi nourrir ses peurs, sa paranoïa et son arsenal anti-migrations pour les décennies à venir.
Encore sous-peuplée
Et pourtant. Cette Afrique milliardaire reste à la fois sous-peuplée – un peu plus de 30 habitants au kilomètre carré, quatre fois moins qu’en Europe – et mal peuplée, avec sa diagonale du vide qui va du Soudan à la Namibie et ses archipels à trop forte densité des Grands Lacs, des plateaux éthiopiens et de l’Afrique occidentale atlantique. On y trouve certes des mégapoles et cinquante-sept villes millionnaires en 2009 – elles étaient vingt-cinq il y a dix ans et deux seulement, Le Caire et Johannesburg, en 1960 ! Aujourd’hui, Douala compte autant d’habitants que Paris ; Abidjan, Alger et Luanda deux fois plus. Mais tous les démographes vous le diront : la croissance de la population africaine n’a rien d’exceptionnel et, même si la baisse globale de la fécondité est désormais inscrite dans la durée, il n’est pas prévu qu’elle diminue avant au moins deux générations. Après tout, il y a quatre siècles, avant que la ponction esclavagiste et la stagnation coloniale ne viennent faire leur œuvre, l’Afrique représentait près de 17 % de la population mondiale, contre moins de 7 % en 1900 et un peu plus de 14 % aujourd’hui. « L’explosion » démographique du continent tant redoutée au Nord n’est donc qu’un simple rattrapage – somme toute moral – des injustices de l’Histoire. La vieille Europe aussi a connu ce type de phénomène, à cette différence près que les grandes migrations de décongestion du type de celles qui, au XIXe siècle, virent des millions d’Européens pauvres traverser l’Atlantique pour s’installer en Amérique sont aujourd’hui interdites aux Africains. Jamais, en ces temps de mondialisation, les barricades de la honte qui séparent le Nord du Sud n’auront été aussi étanches.
41 % de moins de 15 ans
Pour le continent, le vrai challenge ne réside donc pas tant dans l’absorption du milliard d’habitants que dans l’extrême jeunesse de ce milliard. Aucune autre région de la planète n’a une population aussi jeune : 41 % de moins de 15 ans (43 % au sud du Sahara, 33 % en Afrique du Nord) ! Facteur positif pour l’avenir ? A priori, oui. La jeunesse, c’est le goût du risque et d’entreprendre, l’optimisme, la créativité, le ferment social, bref, ce « bonus démographique » qui a été déterminant dans le décollage de l’Asie du Sud-Est. Mais rien, hélas, n’est aussi simple, pour deux raisons. D’abord parce que la notion même de jeunesse, en tant que classe d’âge, est souvent brouillée en Afrique. On y travaille tôt, on s’y débrouille tôt, on y fait des bébés tôt, on y passe brutalement de l’enfance à l’âge adulte et on y a très vite sur le dos le carcan des obligations communautaires. Le plus souvent, les rêves binaires des jeunes Africains – soit émigrer à l’étranger, soit accéder à la table du banquet afin d’en faire profiter, en premier lieu, sa famille – n’ont donc rien qui fasse d’eux des modèles positifs de réussite au service du développement. L’autre raison, fondamentale, relève de la responsabilité directe des dirigeants du continent, lesquels ont, à quelques exceptions près, failli en ce domaine. Si l’Asie des dragons a pu et su mettre à profit la jeunesse de sa population pour décoller, c’est parce que trois facteurs essentiels étaient réunis ou sur le point de l’être : un système éducatif de qualité, un taux de fécondité en baisse structurelle et un écart d’inégalité dans la distribution des revenus (l’« indice de Gini », bien connu des spécialistes) tolérable, si ce n’est tout à fait acceptable. Or, dans la majorité des pays africains, un seul de ces facteurs – celui de la fécondité – est pour l’instant plus ou moins maîtrisé, le niveau scolaire étant aussi bas qu’est élevé celui des inégalités sociales. S’ils veulent éviter que leur continent continue d’être une machine à fabriquer des générations perdues, ceux qui en ont la charge seraient donc bien inspirés de passer enfin des discours aux actes…
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