Comparaisons…
Les éditions du Jaguar viennent de publier une nouvelle édition de l’Atlas de l’Afrique. C’est un petit événement, car la précédente était parue il y a près de dix ans.
Celle-ci nous donne l’image la plus actuelle d’un continent de 53 pays qui vient de franchir le cap du milliard d’habitants ; il en comptera 2 milliards en 2050.
En un siècle, la proportion d’Africains dans la population mondiale aura donc doublé : un homme sur dix était africain en 1950 ; dans seulement quarante ans, en 2050, ce sera un homme sur cinq.
C’est, hélas ! le seul domaine dans lequel nous, Africains, aurons fait mieux que le reste du monde.
Même si nous ne mettons pas à profit les prochaines décennies pour rattraper la caravane du progrès, dans quarante ans, le continent africain pèsera plus lourd par le seul fait que dans cette très grande île seront alors rassemblés 20 % de l’humanité.
Le professeur Jean-Robert Pitte*, qui signe l’avant-propos de cette nouvelle édition de l’Atlas de l’Afrique, y écrit : Il n’est de richesses que d’hommes et de femmes instruits, imaginatifs, optimistes, actifs, et la géographie occupe une place essentielle.
Elle apprend à tirer le meilleur parti possible de notre fabuleux cadre de vie, à se garder de tout gâchis pour privilégier les techniques assurant renouvellement et durabilité des ressources.
Un atlas comme celui-ci est un instrument précieux pour les Africains : mieux connaître leur pays, leurs voisins proches ou lointains, les expériences des uns et des autres, la réalité de la relation qu’ils entretiennent avec leur environnement et avec le monde est une nécessité.
Mieux on connaît ceux qui vivent au-delà des frontières, qui sont toujours artificielles et provisoires, mieux on s’entend avec eux, moins on les craint, moins on a envie de les défier, de tenter de les dominer, mieux on collabore en vue du bien-être commun…
Je demande à mes lecteurs de bien vouloir me faire le crédit de ne pas penser que j’en suis à faire de la publicité pour cette nouvelle édition d’Atlas de l’Afrique éditée par une entité de notre groupe de presse. Mais je l’écris parce que je le pense : les gouvernements africains et les institutions financières du continent devraient aider tous les foyers à posséder chez eux un exemplaire de ce document pour le consulter chaque fois qu’ils se posent des questions sur leur « maison Afrique ».
Ce sont en tout cas les textes et les cartes de cet atlas qui m’ont inspiré les réflexions ci-dessous.
Elles concernent deux grandes régions africaines, l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest. Vous allez découvrir avec moi que la première, qui est pourtant en paix depuis une génération, ne va pas aussi bien que nous le pensons, et que la seconde, qui paraît en crise, pourrait être à la veille de lendemains qui chantent.
1) L’Afrique du Nord : de l’Égypte à la Mauritanie, six pays qui rassemblent 200 millions d’hommes et de femmes : 20 % de la population du continent. Ils lisent la même langue arabe et en parlent des variantes ; ils sont musulmans (sunnites) dans leur très grande majorité et, grâce en bonne partie à d’importantes ressources pétrolières pour deux des six pays, la Libye et l’Algérie, le produit intérieur brut (PIB) global de cette région est relativement élevé.
Cette partie de l’Afrique est gouvernée par des régimes stables, peut-être trop, la Libye et l’Égypte ayant à leur tête le même dirigeant depuis respectivement quarante et trente ans. Elle est en tout cas à l’abri des crises politiques ou sociales qui secouent de temps à autre la plupart des autres régions africaines.
Elle borde la Méditerranée (et l’Atlantique), bénéficie d’un climat qui la met à l’abri de ces grandes maladies, le paludisme en particulier, qui frappent et handicapent le reste de l’Afrique.
Homogène, bien doté en compétences humaines et en ressources, cet ensemble n’est pourtant ni prospère ni en passe de le devenir : le revenu par habitant y est dix fois moins élevé que dans les pays de la rive nord de la Méditerranée, et le rattrapage n’est nullement à l’ordre du jour.
Triste situation, illustrée par l’affreux spectacle de ces milliers de Nord-Africains qui font la queue pour quémander des visas européens ou, pis, qui risquent la traversée de la mer au péril de leur vie, entassés dans des bateaux de fortune, vers ce qu’ils croient être l’eldorado…
Pourquoi ce stupéfiant décalage entre les deux rives d’une modeste mer intérieure ? Comment s’explique cette séparation entre deux mondes dont on n’a pas l’impression qu’ils vivent dans le même siècle ?
Tout simplement parce que, depuis plus de cinquante ans, les dirigeants des pays du nord de la Méditerranée ont choisi une voie que leurs homologues des pays d’Afrique du Nord n’ont pas voulu ou pu prendre.
Avec sagesse, courage et obstination, les Européens se sont attelés, dès les années 1950, à abattre les frontières qui les séparaient. Ils ont créé un marché commun qu’ils ont vite transformé en marché unique ; ils ont instauré la convertibilité de leurs monnaies, puis inventé la monnaie unique, et, plus important encore, les plus riches d’entre eux ont accepté d’aider les plus pauvres, y voyant leur intérêt bien compris.
Pendant ce temps, les Africains (du Nord) s’appliquaient, eux, à ne presque rien échanger entre eux : ni hommes, ni biens, ni services ; au lieu d’abattre les frontières, ils ont réussi à les renforcer, accomplissant le tour de force de créer la zone économique la plus étanche du monde, celle dont on ne songe pas à entrouvrir les frontières.
À quoi cela sert-il d’avoir la paix et la stabilité ? En l’occurrence, cela sert à préserver l’immobilisme…
2) L’Afrique de l’Ouest : l’Atlas de l’Afrique cité plus haut confirme que les deux pays de cette région les plus richement dotés par la nature sont la Côte d’Ivoire (20 millions d’habitants) et la Guinée (10 millions d’habitants, auxquels s’ajoutent les millions de Guinéens de la diaspora).
La première est en crise politique depuis plus de dix ans. Elle a vu son économie stagner et son influence dans la région s’évaporer. Après avoir été la locomotive de l’Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire en est devenue « l’homme malade ».
Quant à la seconde, elle n’est plus gouvernée depuis la mort, en 1984, de son premier dictateur. Et, il y a un an, elle est tombée entre les mains de militaires inexpérimentés qui ont réussi, en peu de mois, à se disqualifier aux yeux de leur peuple, des Africains et de la communauté internationale.
La très bonne nouvelle est que ces deux pays, dont les énormes potentialités ne demandent qu’à être exploitées, sont sur le point de « rentrer dans l’Histoire ».
L’un et l’autre s’en sont remis au même « facilitateur », le président du Burkina, Blaise Compaoré, dont je pense qu’il va parvenir à sortir la Côte d’Ivoire du purgatoire et, dans une deuxième phase, la Guinée de l’enfer (lire aussi pp. 32-34).
La Côte d’Ivoire a toutes les chances de se trouver dotée, d’ici à la fin du premier trimestre de 2010, d’un pouvoir à la fois légal et légitime, accepté par son peuple et reconnu par la communauté internationale.
En Guinée, le processus de sortie de crise n’en est qu’à ses prémices : l’état des forces armées et la désunion de la classe politique laissent à penser qu’il sera long, tortueux et agité. Mais je n’ai pas de doute que ce futur grand pays d’Afrique prendra en 2010, lui aussi, le chemin de la résurrection.
Ce ne sera pas trop tôt !
* Professeur à l’université Paris-Sorbonne et président de la Société de géographie.
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