Photographie : marier l’art et la débrouille
Alors que les Rencontres de Bamako battent leur plein, de jeunes photographes maliens témoignent de la difficulté de vivre de leur art. Reportage.
Adama Bamba se promène dans la grande salle d’exposition du Palais de la culture où sont présentés, lui y compris, sept photographes maliens contemporains. L’effervescence du vernissage inaugural des Rencontres de Bamako, qui se tiennent du 7 novembre au 7 décembre (voir J.A. n° 2548) s’est diluée et il n’y a pas grand monde pour admirer son travail. Il porte sous le bras une chemise cartonnée à l’intérieur de laquelle il conserve quelques-uns des 600 négatifs en format 6/6 et 24/36 réalisés dans les environs de Sikasso (au sud du Mali) par son père, depuis 1967.
Comme bon nombre de ses confrères, Adama est venu à la photographie parce que c’était le gagne-pain d’un parent. « Je suis fils et petit-fils de photographes. Malick Sidibé a réparé les appareils de mon père et de mon grand-père. J’ai commencé la photo à l’âge de 13 ans et, quand j’ai quitté l’école, c’est devenu mon métier », raconte cet homme de 34 ans qui, depuis, a exposé ses images à la Fondation Blachère (Apt, France) et en Algérie à l’occasion du Festival culturel panafricain.
Affirmer sa singularité
Si les autres exposants ne sont pas issus comme lui d’une dynastie de photographes, ils ont souvent été formés sur le tas par des proches. Harandane Dicko (32 ans), qui expose un reportage sur la communauté touarègue, a bénéficié du studio de son oncle. Alima Diop (26 ans), qui s’est intéressée au mariage traditionnel, avait une tante qui gagnait sa vie en fixant sur papier glacé les grands événements familiaux. Seul se distingue Mamadou Konaté, auteur d’images sur la pêche traditionnelle, qui est devenu photographe parce que l’un de ses jeunes frères avait laissé traîner chez lui un appareil Zenit de fabrication russe…
Si les itinéraires des uns et des autres sont variés, ils ont un autre point commun : la biennale de Bamako les a encouragés à se lancer dans la photo d’art. Parfois, elle leur a permis de se faire connaître, d’aiguiser leur regard et de bénéficier de formations complémentaires. En 2004, Adama Bamba faisait des photographies à la pâtisserie-boulangerie Express, pour les familles ou les couples d’amoureux : « J’ai vu qu’il y avait un appel à candidature du Centre de formation en photographie [CFP]. J’ai voulu entrer dans le cercle magique de la biennale », raconte-t-il. La formation de deux ans qui a suivi lui a « ouvert les yeux ». Amadou Keïta (42 ans) a pour sa part bénéficié d’un programme de formation au tirage argentique lors de la première édition des Rencontres, en 1994, puis il a poursuivi sa quête, accompagné par la Galerie Chab Touré, qui a aujourd’hui cessé son activité. Quant à Fatoumata Diabaté (29 ans) et Alima Diop, elles ont été formées par Promo-Femme, un centre orienté vers les métiers de l’audiovisuel et financé par la coopération canadienne.
(Jeunes mariées, d’Alima Diop, Mali 2009)
Tous ont réussi à acquérir une solide maîtrise de leur art. Ils tentent désormais d’affirmer leur singularité. Mais même s’ils n’en sont plus à leur première exposition, ils regrettent unanimement l’inexistence d’une formation qui leur aurait permis d’étudier tous les aspects du métier et d’obtenir un diplôme reconnu. Interrogé sur l’hypothétique création d’une école, le délégué général des Rencontres, Samuel Sidibé, avoue préférer que la photo soit « intégrée dans un cursus universitaire ». « Le Conservatoire des arts et métiers multimédia de Bamako pourrait ouvrir une formation dans ce domaine », propose-t-il.
Clichés « alimentaires »
Heureux d’avoir été sélectionnés parmi une cinquantaine d’autres artistes maliens pour exposer au Palais de la culture, Adama Bamba et ses confrères ne font pas mystères des difficultés qu’ils affrontent au quotidien pour vivre de leur art. Pour Harandane Dicko, « la biennale permet d’échanger des idées, de faire des rencontres, d’avoir un retour critique et de vendre quelques photos. Mais entre deux éditions, il n’y a rien ». Sidibé confirme : « L’organisation d’expositions est un vrai souci. Mais le travail que je viens d’accomplir m’a permis de constater qu’il y avait vraiment beaucoup de choses à montrer. »
Aujourd’hui, les photographes continuent de vivre en vendant des clichés « alimentaires » réalisés lors des mariages, des baptêmes, des fêtes familiales. Mais dès qu’il s’agit d’art, il n’y a aucun éditeur pour publier un catalogue de leurs œuvres, aucune galerie pour les accueillir et promouvoir leur travail. « Il n’y a pas de galerie parce qu’il n’y a pas de marché, explique Sidibé. La consommation de l’art est limitée à une bourgeoisie éclairée, et encore… »
Bien entendu, tous sont très fiers des multiples prix reçus à l’étranger par leur illustre aîné, Malick Sidibé, courtisé par tous les photographes et journalistes de passage à Bamako. Mais ils gardent leur sens critique vis-à-vis des artistes sélectionnés et élus par l’Occident. « Je trouve qu’il est grand temps d’évoquer d’autres noms, insiste Harandane Dicko. Je rêve de voir un jour les Africains choisir et apprécier eux-mêmes le travail de leurs photographes. »
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