Exposition : il était une fois Présence africaine

Jusqu’au 31 janvier 2010, le musée du Quai Branly, à Paris, salue soixante-deux ans de combat en faveur de la littérature africaine. À travers une exposition dédiée à la revue et à la maison d’édition fondée par le Sénégalais Alioune Diop.

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Publié le 28 novembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Pour la première fois depuis 1947, année de la création de Présence africaine par le Sénégalais Alioune Diop, une exposition est consacrée à la maison d’édition et à la revue, au musée du Quai Branly, à Paris. Intitulée « Présence africaine, une tribune, un mouvement, un réseau », elle retrace, jusqu’au 31 janvier 2010, l’histoire de cette institution qui a beaucoup œuvré à l’émancipation des peuples africains. Documents d’archives rares, projections, témoignages, rien n’a été négligé. À cette occasion, Jeune Afrique a rencontré Christiane Yandé Diop, la veuve d’Alioune Diop. Cette octogénaire dynamique tient le flambeau depuis 1980. Entretien.

 Christiane Yandé Diop, directrice de Présence africaine. Photo : Vincent Fournier pour JA

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Jeune Afrique : L’exposition sur Présence africaine au musée du Quai Branly est un événement trop rare pour ne pas être souligné. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

CHRISTIANE YANDÉ DIOP : Enfin on reconnaît l’importance de la littérature et de l’Afrique ! Pour moi, c’est beaucoup d’émotions. Chaque fois qu’il est question de Présence africaine, je pense à Alioune Diop, à Aimé Césaire, à Léon Gontran Damas, à Cheikh Anta Diop, à tous ceux qui sont encore vivants. Cette reconnaissance est surtout pour eux. Moi, je n’ai été là que pour aider Alioune Diop, mon mari, à poursuivre son combat pour la reconnaissance de l’Afrique dans ce monde.

Soixante-deux ans après, cet idéal est-il atteint ?

Beaucoup a été fait, mais beaucoup reste à faire, surtout auprès des jeunes, qui n’ont pas connaissance des luttes que nous avons dû mener. Pour y parvenir, aujourd’hui, nous avons besoin des médias. Ils peuvent nous aider à véhiculer cette littérature, cette culture, cette nécessité de penser à l’Afrique, car elle aide à l’évolution du monde moderne. Nous avons beaucoup de choses. Mais je ne sais pas pourquoi nous n’arrivons pas à réaliser correctement nos rêves. Peut-être que nous ne faisons pas assez appel à la société civile… 

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Vous avez pris la relève de ce qui a été commencé par Alioune Diop et ses amis. Comment faites-vous pour tenir dans un contexte difficile pour l’édition ?

Je tiens grâce à la foi, à mon éducation, issue d’une mère camerounaise qui avait beaucoup de caractère et de ténacité, et d’un père sénégalais. Et grâce à l’admiration que je portais à cet homme, Alioune Diop, beau, intelligent, exigeant. Je me suis toujours dit : « Non, je ne peux pas abandonner, même si c’est difficile. » Je suis très fière qu’un de mes enfants ait accepté de travailler avec moi, car les choses sont tellement difficiles aujourd’hui. Et je vieillis… Il faut un regard neuf. Il y a aussi beaucoup de jalousie. On me demande parfois pourquoi je ne vais pas m’installer en Afrique ! Je réponds que l’Europe, Paris, la rue des Écoles nous appartiennent à tous. Nous gênons, malgré nos très faibles moyens. 

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Vous qui sillonnez le continent africain, pensez-vous que les débats actuels valent ceux de votre époque ?

Non ! Car les gens ne lisent plus. C’est tout à fait différent. Il y avait certes des injustices de notre temps, mais c’est beaucoup plus dur aujourd’hui. 

Qu’en est-il aujourd’hui de la solidarité entre les Africains et les Noirs de la diaspora, très active jadis ?

On vit aujourd’hui dans un autre monde. Chacun veut gagner sa vie et personne n’est prêt à se sacrifier pour un idéal. De temps en temps, je regrette ce passé où l’on œuvrait ensemble en taisant nos différences. Alioune Diop, qui était chrétien, avait autour de lui des athées, des musulmans, des juifs. Aujourd’hui, il faut être d’un clan. 

Vous sentez-vous trahie quand des auteurs qui ont commencé chez vous rejoignent d’autres maisons d’édition ?

Non, pas du tout. Je suis un peu déçue, évidemment. Mais je comprends qu’ils aillent chercher ailleurs ce que Présence africaine, à cause de ses faibles moyens, ne peut pas leur apporter. Je pense, par exemple, à Alain Mabanckou, que j’aime beaucoup et qui, je crois, reste fidèle à Présence africaine. Je suis très heureuse qu’il ait eu le prix Renaudot [en 2006, pour Mémoires de porc-épic, éditions du Seuil, NDLR]. Présence africaine n’aurait pas pu le lui apporter puisque nous ne faisons pas partie du sérail, des grosses maisons d’édition. Mais, Dieu merci, beaucoup reviennent ensuite auprès de nous. 

Dans quels pays du continent avez-vous réussi à vous imposer ?

Nous vendons très bien les livres, les classiques africains, sur l’ensemble du continent. C’est d’ailleurs surtout avec l’Afrique que nous travaillons. Notre seul regret est que le livre reste cher. Mais comment faire ? Il faudrait une aide des gouvernants. Je crois qu’il faut une réunion à un très haut niveau sur le livre en Afrique. 

Vous avez traduit des auteurs anglophones. Qu’est-ce que cela a apporté à Présence africaine ?

Beaucoup ! Cela veut dire que notre maison d’édition n’est pas uniquement francophone. Présence africaine est au cœur du mouvement de l’émancipation, dans toutes les langues, et se retrouve partout. Mais ce n’est pas facile, car nous ne sommes pas aidés. Or tout n’est qu’une question de réseaux. 

Vous n’êtes pas une femme de réseaux ?

Non. C’est pourquoi je me retire pour laisser les jeunes organiser ces fameux réseaux. Cela nous manque. 

Qu’est-ce qui vous a le plus marquée dans l’aventure de Présence africaine ?

D’abord, le choix d’un homme. Je crois que je ne me suis pas trompée et j’en suis heureuse. Je n’ai pas pu aller à l’université. Mais j’ai rencontré de grands intellectuels qui venaient voir Alioune. Il y a eu aussi le premier Festival mondial des arts nègres, à Dakar, en 1966. Nous étions tous inquiets, mais ce fut un succès. Et comment oublier le premier Congrès des écrivains et artistes noirs, à La Sorbonne, en 1956, puis le suivant, à Rome, en 1959 ? C’était merveilleux ! Aujourd’hui, il n’y a plus d’élément fédérateur. 

Que pensez-vous du débat actuel, en France, sur l’identité nationale ?

La France est multiculturelle. Nous sommes condamnés à vivre ensemble. Il faut essayer de voir comment gérer nos différences. C’est dès l’école qu’il faut apprendre à vivre ensemble. 

Vous avez fréquenté de nombreux Africains-Américains qui se battaient pour leurs droits civiques. L’élection d’Obama est-elle l’aboutissement de ces combats ?

Barack Obama est président des États-Unis. Qu’il soit noir ou pas, c’est un problème américain. Mais si cela nous fait plaisir, à nous qui sommes noirs, si cela nous donne la force de faire ce que nous devons faire dans nos pays, tant mieux. 

Quand comptez-vous passer le flambeau à la jeunesse ?

Mais la jeunesse est déjà là, autour de moi. Ma fille, ma petite-fille, et bien d’autres… 

Ce qui ne vous empêche pas de venir à Présence africaine presque tous les jours ! Est-ce vraiment difficile de partir ?

Je dois tout de même faire travailler ma tête ! On ne s’en va pas comme ça, même s’il faut passer la main. On n’est pas éternel. Je suis fatiguée. Vous savez, Présence africaine est un fardeau. Mais continuer à être là me fait du bien. Et puis, les jeunes ont aussi besoin de moi. 

Exposition « Présence africaine, une tribune, un mouvement, un réseau », jusqu’au 31 janvier 2010 au musée du Quai Branly (Paris). Renseignements sur www.quaibranly.fr

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