« Je chanterai « La Marseillaise » même en dioula s’ils veulent »

Charlie Hebdo France

Publié le 17 novembre 2009 Lecture : 2 minutes.

Il fallait qu’une affaire comme ça tombe pile sur moi. Voici qu’au moment où je pense que je vais pouvoir devenir français, ils sortent cette histoire d’identité nationale. […] Ils disent qu’il faut aimer le pays pour être un bon Français. Bien sûr que j’aime la France. Sinon, j’allais venir chercher quoi ici ? Chez nous, au pays, ils avaient inventé une histoire qu’ils avaient appelée « ivoirité ». Et, du coup, tous ceux qui venaient du Nord, comme moi, étaient devenus des suspects. On disait que notre nationalité était douteuse. Ça s’est terminé en gbangban. Le gbangban, c’est quand on fait les palabres avec des fusils. Ils ne savent pas ici tout ce que j’ai souffert avant d’arriver dans ce pays. La traversée du désert au sens propre, la pirogue sur la Méditerranée, la clandestinité, le combat pour être autorisé à rester, à travailler sans se cacher, et aujourd’hui, où j’ai la possibilité de devenir un vrai Français comme les autres Français, ils sortent cette histoire. Dites-leur que j’aime la France. Au nom de Dieu, j’aime la France. Chez nous, tout le monde aime la France, c’est pourquoi tout le monde veut venir ici.

Le ministre Besson dit qu’il faut chanter “La Marseillaise” pour être un bon Français. Eh bien, je chanterai “La Marseillaise” partout, à pleins poumons, même en moré ou en dioula s’ils veulent. Je ne ferai pas comme ces footballeurs payés des millions qui se contentent de marmonner chaque fois qu’on leur demande de chanter l’hymne de leur pays. Qu’est-ce qu’il faut d’autre pour avoir l’identité française ? Le look, je suppose. Je crois que c’est ça, le vrai problème. Je me suis pourtant défrisé les cheveux, comme Didier Drogba, je les ai teints en blond comme Djibril Cissé, je me suis décoloré la peau, comme les frères congolais, je mange du fromage tous les jours, même si ça pue et que ça me donne mal au ventre, je bois du vin, ça j’aime bien, et j’ai réussi à prononcer à peu près correctement les r. Mais, visiblement, tout ça ne passe toujours pas. Partout où j’arrive, on me regarde de travers. […]

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Le président de la République a dit aussi que la terre fait partie de l’identité française. Et alors ? Aurais-je dû venir avec la terre de chez moi pour l’ajouter à celle d’ici pour montrer que je veux être aussi français que les autres ? Est-ce qu’on peut traverser le désert et la Méditerranée avec un sac de terre rouge de Korhogo au dos ? Ou bien, il veut qu’on devienne paysans avant de devenir bons Français ? Tout ça, là, je sais, c’est à cause du Front national qu’ils ont inventé cette histoire. Parce qu’il y aura bientôt des élections. Chez nous, dans les grandes occasions, on fait le sacrifice d’un mouton. Et pour ces élections, c’est nous qu’ils ont choisis comme moutons.

* Journaliste et écrivain ivoirien. Dernier roman paru : Les Catapilas, ces ingrats, éditions Jean Picollec, mars 2009.

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