Jean-Paul Abalo
L’ancien capitaine de l’équipe nationale de football du Togo joue aujourd’hui dans un club amateur près de Châteauroux. Tout en passant ses diplômes d’entraîneur.
S’il avait eu des dons divinatoires, le père de Jean-Paul Abalo aurait sans doute tenté de réécrire le destin à sa façon. Il aurait su à l’avance que son rejeton défendrait les couleurs du Togo et barouderait pas mal, de Dunkerque (France) à Khartoum (Soudan). Qu’il gagnerait plutôt bien sa vie en allant jusqu’au bout de ses rêves. Mais, comme le patriarche ne cessait de le rappeler à ses enfants lors des repas familiaux, seules les études comptent. Et le football n’est pas un métier !
Pour Jean-Paul, il imaginait un autre avenir. Médecin ou ingénieur. Quelque chose qui en jette. « Mon père s’est toujours mis en quatre pour que ses dix enfants ne manquent de rien. Notre famille était plutôt modeste, mais il y a toujours eu ce qu’il fallait à la maison. Il voulait que nous fassions des études. Le foot, ce n’était pas son truc. » Employé à la Société togolaise des eaux, Abalo père est décédé en 1996, au moment où son fils le plus rétif à ses principes traçait en Europe les contours de sa future carrière professionnelle.
M. Abalo avait déclaré la guerre au foot. Il l’a perdue. « Je voulais être joueur professionnel, même si étudier ne me déplaisait pas », se souvient son fils. Le club du quartier du Poulain d’Or, à Lomé, l’a vu débuter. Celui d’Agaza, l’un des meilleurs du pays, s’épanouir. « Un membre du club m’a contacté, mais mon père ne voulait pas en entendre parler. Finalement, j’ai intégré Agaza, un club de première division plus ou moins professionnel qui a, entre autres, formé Bachirou Salou, l’un des meilleurs joueurs du pays. »
Neuf matchs et de nombreux entraînements plus tard, Abalo se retrouve à Châteauroux pour disputer un tournoi international avec l’équipe nationale des moins de 18 ans. Son potentiel n’échappe pas aux émissaires de plusieurs clubs européens. L’entregent du président d’Agaza fait le reste. « Il était ami avec Max Ploquin, de Saint-Christophe Châteauroux, un club de troisième division. J’aurais pu aller à Laval ou à La Berrichonne, l’autre club de Châteauroux, qui était en deuxième division. Mais, à Saint-Christophe, j’avais la possibilité de jouer tout en faisant sport-études. Cela a rassuré mon père. »
Abalo a débarqué à Châteauroux en 1993. Seize ans plus tard, il revient, sans faire de bruit, dans cette ville moyenne du centre de la France où il a rencontré sa femme. Il joue désormais au FC Déols, un club de division d’honneur. Entretemps, il y a eu Amiens, les saisons en nationale et en ligue 2, le penalty fatal manqué en finale de la Coupe de France, en 2001, face à Strasbourg, et un divorce avec le club picard qu’il a mis du temps à digérer. « Parce qu’on m’a prévenu tardivement, alors que je pensais mériter un peu plus de considération », estime-t-il.
« Jean-Paul, c’est un leader naturel, qui n’a pas forcément besoin de toujours parler », explique le défenseur de Dijon (ligue 2) Arnaud Lebrun, qui l’a côtoyé. « Il a peut-être été trop gentil avec les dirigeants d’Amiens. Je ne pense pas qu’il ait toujours été payé à sa juste valeur, et on ne l’a pas laissé partir quand des équipes de Ligue 1 se sont intéressées à lui. »
Il y a eu le chômage et le doute à un âge (30 ans) où le footballeur est, en France, l’équivalent d’un quinquagénaire sur le marché du travail. « La Coupe du monde approchait, et je n’aurais pas supporté de ne pas disputer cette compétition à laquelle le Togo participait pour la première fois. » Otto Pfister,â¨le nouveau sélectionneur allemand des Éperviers, avait été très clair avec ses internationaux : ceux qui ne jouaient pas au moins en troisième division ne seraient pas retenus. « Je suis parti à Chypre, dans le club d’Apoel Nicosie, pour y terminer la saison. Si je ne l’avais pas fait, j’aurais dû tirer un trait sur la Coupe du monde ! »
Entre 1993 et février 2008, Abalo a entretenu une relation passionnelle avec l’équipe nationale, dont il a porté le maillot à une centaine de reprises. Il est passé de l’euphorie de quatre qualifications pour une phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations à la frustration d’une élimination systématique au premier tour.
Il a connu des conflits d’ego qui l’ont déstabilisé au point qu’il a envisagé d’arrêter sa carrière internationale. Mais aussi l’ingérence des dirigeants politiques dans les affaires de la sélection, les naturalisations de complaisance de footballeurs brésiliens – « qui n’avaient pas le niveau de division d’honneur », juge-t-il. Et, surtout, les histoires à répétition de primes impayées. On se souvient peut-être que la plus rocambolesque éclata au grand jour pendant la Coupe du monde allemande !
« Ce qui est arrivé, c’est que sept joueurs qui n’avaient pas disputé les éliminatoires ont été retenus pour la phase finale. Et que certains membres de l’équipe voulaient qu’ils reversent une partie de leur prime (25 000 euros, sur un total de 75 000 euros) à ceux qui avaient dû leur céder la place. » Pendant plusieurs jours, la presse s’est délectée de ces histoires, qui, reconnaît Abalo ont « un peu plombé » la Coupe du monde des Éperviers : « Des journalistes ont même raconté qu’Emmanuel Adebayor [le joueur d’Arsenal, aujourd’hui à Manchester City, NDLR] et moi avions racketté ces joueurs pour qu’ils rétrocèdent une partie de leur prime. Or c’est totalement faux. »
La suite ? « Après la Coupe du monde, j’ai signé pour Ethnikos Asteras, un club grec qui a connu des problèmes financiers. Et puis, en novembre 2006, Otto Pfister m’a appelé pour me proposer de jouer à Al-Merreikh, le club soudanais qu’il venait de reprendre. »
La proposition l’étonne, et le Soudan, dont l’image à l’étranger pourrait être meilleure, ne le fait pas fantasmer. Il hésite, mais finit par accepter. « Pfister a beaucoup insisté. La proposition financière des Soudanais était intéressante et était assortie d’avantages en nature non négligeables : appartement, voiture avec chauffeur, etc. Alors, comme je n’avais aucune proposition en France… »
À Khartoum, Abalo s’attend à trouver un peuple sous tension. Il se trompe : « En fait, les gens ignorent complètement ce qui se passe au Darfour. Le gouvernement ne laisse filtrer aucune information. » La fermeture du régime d’Omar el-Bechir ne lui saute pourtant pas aux yeux. En revanche, « il est clair qu’il utilise le football comme un outil de propagande ». Au sein du club d’Omdurman, dans la grande banlieue de la capitale, Abalo découvre la passion d’un peuple pour le football, la rivalité avec Al-Hilal, l’autre cador du championnat soudanais, la chaleur, la défiance des joueurs locaux et l’ennui au quotidien. « Honnêtement, il n’y a pas grand-chose à faire à Khartoum. J’ai même failli repartir au bout d’une semaine, à cause de la chaleur. Le racisme y est assez sensible. On m’y appelait “l’Africain” »…
La Coupe de la Confédération africaine de football (CAF) et les déplacements qu’elle entraîne lui permettent de redécouvrir le continent. Insuffisant pour le convaincre de rester une année de plus à Khartoum : sa femme et son fils, toujours à Châteauroux, lui manquent trop. Aujourd’hui, Jean-Paul Abalo entraîne des équipes de jeunes et passe ses diplômes pour, un jour peut-être, diriger une équipe professionnelle…
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