Fusillade de Fort Hood : les troubles secrets du docteur Hasan
Qui est le médecin militaire auteur de la tuerie de Fort Hood, le 5 novembre ? Un musulman fervent révulsé à l’idée de combattre ses coreligionnaires en Irak et en Afghanistan ? Ou un kamikaze plus ou moins directement affilié à Al-Qaïda ?
Article publié dans le N°2549 du 15 au 21 novembre 2009.
L’enquête sera longue et minutieuse car les enjeux sont capitaux pour l’armée et même pour la société américaine. Pourquoi le commandant Nidal Malik Hasan, docteur en psychiatrie apparemment au-dessus de tout soupçon, a-t-il, le 5 novembre sur la base de Fort Hood, Texas, ouvert le feu sur des soldats en partance pour l’Irak, tuant treize personnes et en blessant une quarantaine d’autres ? A-t-il « pété les plombs », ou est-il un kamikaze islamiste ?
Atteint de plusieurs balles lors de sa neutralisation, ce médecin militaire de 39 ans est actuellement en convalescence. Né de parents palestiniens, il est musulman pratiquant et n’hésitait pas à faire ses courses en djellaba blanche sur la base de Fort Hood, la plus grande du monde (800 km2, 65 000 résidents civils et militaires). « Allah est amour ! » proclamait même un autocollant sur le pare-brise de sa voiture.
Engagée dans deux conflits majeurs en Irak et en Afghanistan, l’armée américaine n’est sans doute pas le lieu idéal pour manifester un fervent attachement à l’islam. Depuis septembre 2001, les quelque 3 millions de musulmans installés aux États-Unis ont pu, à des degrés divers, mesurer les conséquences de ce « choc des civilisations » dont tout le monde affecte de nier pudiquement l’existence. Avant de basculer dans l’horreur, Hasan avait déploré devant plusieurs de ses proches les mesures vexatoires et l’ostracisme dont il s’estimait victime depuis qu’il affichait ses convictions religieuses. Selon Rafic Hamad, son oncle, qui vit en Cisjordanie, il s’était plaint d’être surnommé « jockey de chameau » par un de ses « frères » d’armes. Un dérapage verbal qui n’a rien d’exceptionnel. Du côté de Bagdad ou de Falloujah, aussi, les militaires américains usent et abusent de sobriquets insultants pour désigner les Irakiens ; « enturbannés » et « hadj de merde » étant peut-être les plus communs. « Mon expérience m’a appris que tous les militaires américains de confession musulmane ont, à un moment ou à un autre, souffert de discrimination et de dénigrement de leur religion », estime James Yee, un ancien aumônier du centre de détention de Guantánamo.
Syndrome post-traumatique
Selon les premiers éléments de l’enquête, Nidal Malik Hasan aurait également été profondément marqué par les récits cauchemardesques que lui firent de nombreux vétérans d’Irak et d’Afghanistan à l’époque où il exerçait au centre Walter-Reed de Washington. Même indemnes physiquement, des milliers de soldats reviennent au pays avec un syndrome post-traumatique (SPT) – un trouble observé, reconnu et traité psychiatriquement depuis la guerre du Vietnam. Sur le seul site de Fort Hood, le SPT serait ainsi à l’origine d’une centaine de suicides depuis 2003. Résultat de cette confrontation quotidienne avec la névrose : Nidal Malik Hasan ne voulait à aucun prix être envoyé en Irak ou en Afghanistan. Compte tenu du système de rotation en vigueur dans les corps expéditionnaires américains, cette perspective était pourtant inéluctable. Alors, il avait pris les conseils d’un avocat en vue de révoquer son engagement et de définir les modalités du remboursement à l’État du coût de sa formation.
Dès juin 2007, le jeune psychiatre avait par ailleurs suggéré à sa hiérarchie d’accorder aux soldats musulmans un statut d’objecteurs de conscience qui les dispenserait de combattre leurs coreligionnaires. « Je ne veux pas salir ma foi, je ne veux pas salir mes frères musulmans et je ne veux pas salir le drapeau de mon pays », explique aujourd’hui dans le New York Times Abdi Akgun, un marine musulman qui, à l’en croire, s’est volontairement abstenu de tirer le moindre coup de feu pendant les deux ans qu’il a passés en Irak.
Hélas, les mises en garde du Dr Hasan n’ont pas été prises en compte. Il est vrai que les forces américaines ont de plus en plus de mal à recruter des volontaires pour leurs aventures en terre d’islam. Selon les chiffres officiels, il y aurait environ quatre mille soldats de confession musulmane. Trois mille cinq cents d’entre eux seraient affectés à la lutte contre Al-Qaïda. Normal, puisque la première armée du monde manque cruellement d’arabophones.
Islamophobie
« Notre diversité, pas seulement dans notre armée mais dans l’ensemble de notre pays, a toujours fait notre force », a tenu à rappeler le général George W. Casey au lendemain du drame, comme pour prévenir une éventuelle vague d’islamophobie dans les casernes, où les réseaux chrétiens fondamentalistes jouent un rôle de plus en plus actif.
Alors, Nidal Malik Hasan a-t-il été pris d’un coup de folie meurtrier, conséquence de la contradiction à la limite de la schizophrénie entre sa foi et sa carrière militaire ? L’état-major aimerait répondre par l’affirmative, mais un doute s’est installé. Quelques heures après la tuerie, les médias américains ont révélé que le FBI et d’autres agences fédérales de sécurité avaient intercepté, en 2008, une série de communications électroniques entre le médecin et l’imam yéménite Anwar al-Awlaki. Or, en 2000 et 2001, celui-ci avait multiplié les prêches violemment antiaméricains dans des mosquées en Californie et en Virginie, avant de regagner son pays après les attentats du 11 Septembre. Quatre des kamikazes de New York et de Washington étaient, semble-t-il, au nombre de ses fidèles…
Pourtant, selon les premières indications des agences fédérales, les e-mails en question n’avaient rien de subversif. Le président Obama qui, le 10 novembre, a assisté aux obsèques des victimes de la tuerie, a ordonné une enquête sur la gestion du « cas Hasan » par les services de sécurité avant la tuerie. Le sénateur Joe Lieberman, qui préside la Commission à la sécurité intérieure, a fait de même, bien qu’il ne doute pas que le Dr Hasan soit « un extrémiste islamiste ».
Quoi qu’il en soit, l’imam Anwar al-Awlaki, s’est empressé, depuis le Yémen et par le biais de son site Internet, de faire du médecin militaire un « héros ». Selon lui, « la seule justification qu’un musulman puisse invoquer pour servir dans l’armée américaine est de suivre la voie tracée par des hommes comme Nidal ».
Si la raison d’État ne nuit pas à sa transparence, l’enquête promise par Barack Obama devrait tenir en haleine pendant des mois une opinion qui frémit à l’idée qu’Al-Qaïda puisse infiltrer des combattants jusque dans les rangs des forces armées américaines.
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