Egypte : une succession et des questions
Candidat potentiel à la présidentielle de 2011 au cas où son père ne se représenterait pas, le fils de l’actuel chef de l’État n’est pas assuré de bénéficier du soutien sans réserve des dignitaires du régime. Samer Suleiman, professeur d’économie politique à l’Université américaine du Caire, décrypte pour J.A. une situation plus compliquée qu’il n’y paraît.
Entretien paru dans le N°2549 du 15 au 21 novembre.
Depuis quelques années, le président égyptien Hosni Moubarak semble préparer son fils Gamal à lui succéder. Lors du congrès du Parti national démocratique (PND, au pouvoir), qui s’est déroulé du 30 octobre au 2 novembre, Gamal Moubarak, 46 ans, est apparu comme un candidat potentiel à l’élection présidentielle de 2011. Mais pour Samer Suleiman*, professeur d’économie politique à l’Université américaine du Caire et chercheur associé au Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (Cedej), un centre de recherche français en Égypte, l’arrivée au pouvoir du fils du président est loin d’être acquise.
Jeune Afrique : Lors du congrès du PND, Gamal Moubarak a insisté sur la nécessité pour le régime d’être plus attentif aux Égyptiens les plus pauvres. Cet ancien banquier, proche des milieux d’affaires, tente de se donner une image plus sociale. Quelle est sa cote de popularité dans le pays ?
Samer Suleiman : On ne peut pas parler de popularité ou d’impopularité, parce que la majorité des Égyptiens ne s’intéresse pas vraiment à la question de la succession. Ils ne sont pas dupes, ils savent très bien qu’ils n’auront pas voix au chapitre et que la décision appartient à une poignée de dignitaires du régime. La vox populi pourrait avoir son importance si des divisions persistantes se faisaient jour parmi les dirigeants et si les factions qui s’affrontent cherchaient à s’allier avec tel ou tel parti de l’opposition. Dans ce cas, la popularité de ces partis pourrait jouer.
Depuis 2004, Gamal Moubarak, en tant que président du Haut Comité des politiques du PND, a été l’artisan de la libéralisation de l’économie égyptienne. C’est avant tout le candidat des milieux d’affaires ?
Les personnes qui gravitent autour de Gamal Moubarak sont issues de la nouvelle élite des affaires, mais il y a aussi des intellectuels et des universitaires libéraux et réformateurs. Je pense que Gamal Moubarak est plus manipulé que manipulateur, car il constitue aux yeux de ces supporteurs un tremplin idéal pour accéder au pouvoir. Mais ce qui compte pour le régime, c’est moins l’homme qui va occuper le siège de président après Hosni Moubarak que la préservation de l’équilibre actuel du pouvoir : une coalition entre les militaires et les milieux d’affaires, un peu comme dans les pays d’Amérique latine dans les années 1980. Le futur président, quel qu’il soit, gouvernera l’Égypte de la même manière que Moubarak. Il n’y aura pas de changement fondamental.
On cite souvent l’absence de carrière militaire de Gamal Moubarak comme l’un de ses principaux handicaps…
Son principal handicap, qui est aussi, paradoxalement, son premier atout, c’est d’être le fils du président. Les dignitaires du régime ne sont pas tous favorables à son élection, parce que cela tendrait à démontrer qu’il y a un déficit institutionnel en Égypte : ce ne sont plus les institutions politiques qui produisent des hommes d’État mais les familles qui gouvernent. Et puis la société est traversée par une volonté de changement dont ils sont obligés de tenir compte. Moubarak est au pouvoir depuis près de trente ans. Si son fils lui succédait, cela symboliserait la perpétuation d’un système de gouvernement et ne ferait qu’aggraver les tensions.
Selon vous, qui sera le candidat du PND à l’élection présidentielle de 2011 ?
Il y a de fortes chances que Hosni Moubarak lui-même se représente. C’est l’hypothèse la plus logique. Si l’on propulsait Gamal Moubarak à la tête de l’État, cela pourrait créer des tensions au sein du régime. Pourquoi prendre ce risque ? Hosni Moubarak représente la stabilité, il parvient à fédérer les différents groupes associés au pouvoir. Je pense qu’ils vont le garder comme président aussi longtemps que possible, jusqu’à la dernière minute.
Quels sont les scénarios possibles de l’après-Moubarak ? On évoque aussi le nom d’Omar Souleiman, le très influent chef des services de renseignements égyptiens, pour lui succéder.
Le régime égyptien ne repose pas sur la personne de Moubarak. S’il vient à disparaître, le régime lui survivra. Selon la Constitution, le président de l’Assemblée du peuple – Ahmed Fathi Sorour (PND) actuellement – doit assurer l’intérim. À ce moment-là, le régime examinera les différents candidats à la succession et choisira celui qui réunit le plus large consensus avant d’organiser une élection. Gamal Moubarak sera l’un de ces candidats, Omar Souleiman peut-être aussi. Mais tout dépendra de la situation à ce moment précis. Un climat d’instabilité le poussera à choisir un général de l’armée, un personnage « de l’ombre » issu d’une institution qui reste le pilier du régime.
Les Frères musulmans, qui occupent un cinquième des sièges du Parlement depuis 2005 et constituent la première force d’opposition, peuvent-ils représenter un facteur de déstabilisation ?
C’est une variable importante, bien sûr, mais qui ne change pas fondamentalement la donne. Ils sont de toute façon « sous contrôle » : la répression à leur égard est constante. Ces derniers mois, elle est apparue comme une stratégie préventive pour préparer les législatives de l’an prochain. Par ailleurs, la confrérie a rarement fait le choix de l’action violente. En 1954, les Frères s’étaient rangés du côté du président de la République, Mohamed Naguib, opposé à Nasser. Mais ils n’ont pas pour autant pris les armes lorsque Nasser a gagné la partie. Il n’y a pas de raison que cela change aujourd’hui.
Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue arabe, et Mohamed el-Baradei, l’actuel chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), pourraient se présenter à l’élection présidentielle sous la bannière de l’opposition. Ont-ils un rôle à jouer ?
Tant que Moubarak est en vie, je ne le crois pas. Mais lorsqu’il ne sera plus là, Amr Moussa pourrait être l’un des candidats à la succession, d’autant qu’il est lui-même un « enfant du régime ». L’armée peut le choisir si elle veut placer dans le fauteuil de président une personnalité plus « présentable » qu’un général, quelqu’un qui semble représenter davantage la société civile. C’est ce qui s’est passé en Algérie, lorsque les généraux ont fait appel à Abdelaziz Bouteflika pour diriger le pays.
* Auteur de Strong Regime, Weak State : the Management of the Fiscal Crisis and Political Change in Egypt under Mubarak (Régime fort, État faible : la gestion de la crise fiscale et les changements politiques en Égypte sous Moubarak), une thèse de doctorat publiée en arabe en 2004 et à paraître en anglais en 2010 aux Presses de l’université de Stanford.
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