Les Mozabites et les autres
La région de Ghardaïa cultive ses différences avec le reste du pays. Non sans quelques crispations avec les arabophones.
Algérie, ce que veulent les Berbères
Point kilométrique 555 de la RN1, sur la route reliant Alger à Ghardaïa. Berriane, porte d’entrée de la vallée du Mzab. Le voyageur qui traverse la ville retrouve l’atmosphère qu’il a laissée dans le Nord : dispositif miliaire impressionnant et innombrables check points. Casques et matraques, boucliers et bombes lacrymogènes à portée de main, une compagnie des forces anti-émeutes est déployée le long de la route nationale qui coupe la ville en deux parties. L’une est occupée par les Ibadites, des Berbères convertis à ce rite de l’islam, l’autre par les Malékites, majoritairement arabes. Depuis mars 2008, les deux communautés se regardent en chiens de faïence, se livrant épisodiquement à une vendetta. Maisons incendiées, commerces pillés. Agressions et représailles. Mosquée contre mosquée. Il faut parcourir 45 kilomètres en direction du sud pour que le lourd climat de Berriane se dissipe.
Inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, en 1982, Ghardaïa, « la pentapole du désert », fascine. Au plus fort des « années noires », Tagherdayt, en berbère, a continué à attirer de téméraires touristes étrangers. Fondée en 1048 par des Berbères traqués et harcelés par leurs congénères car convertis au rite ibadite, Ghardaïa est aujourd’hui une cité où vivent plus de 160 000 habitants. Tous ne sont pas des Berbères, même s’ils constituent une large majorité. Kamel, arabophone originaire de Tiaret, est réceptionniste dans un hôtel privé. Il assure que la cohabitation avec les Ibadites est plus aisée qu’on ne le pense : « Si l’étranger respecte un certain nombre de conditions, il est accueilli à bras ouverts. Il ne doit pas pénétrer l’une de leurs mosquées, regarder d’un œil lubrique leurs femmes, ni se mêler de leur business ou faire du prosélytisme. » De par leur histoire, les Ibadites sont enclins au consensus. Réputés dociles à l’égard du pouvoir central, ils n’en demeurent pas moins intransigeants sur leur particularisme. Ultraconservateurs, ces Berbères du Mzab ont mis en place une organisation sociale sans faille qui a donné naissance à une société très égalitaire. À Beni Izguen, l’un des sept ksour qui constituent Ghardaïa, rien ne permet de distinguer la maison du patron de celle de son employé. Fortement hiérarchisée, la communauté dispose d’un Comité des sages qui gère les affaires de la cité et tranche sur les litiges. Elle possède son propre système éducatif, accorde des bourses d’études à l’étranger pour ses élèves les plus méritants. Résultat : une cité bien tenue, l’une des plus propres d’Algérie, la seule où le tri des ordures est quasi quotidien. De vieux barils d’huile en acier sont installés dans les ruelles (les ksour sont de véritables labyrinthes) pour recueillir les objets en plastique. Le tout en bonne intelligence avec l’administration. « On écoute le wali [préfet], reconnaît Rostom, jeune guide touristique, mais on prend nos instructions auprès de nos sages. » Avant d’ajouter : « Vous ne croisez jamais de mendiant dans nos ksour. Cela ne signifie pas que nous n’avons pas de pauvres, mais personne ne tend la main car les défavorisés sont pris en charge par la communauté. »
Violences épisodiques
Mais comme les autres villes du Mzab, Ghardaïa connaît ses poussées de fièvre avec des affrontements entre Berbères et Arabes. De Beni Izguen, en 1975, à Berriane actuellement, la wilaya de Ghardaïa a connu des tensions confessionnelles faisant à chaque fois des victimes : en 1985, en 1990, et une dernière fois en 2004. Ces derniers événements ont valu à Kamaledine Fekhar, militant du Front des forces socialistes (FFS), tracasseries policières, incarcération et poursuites judiciaires. Cela ne l’a pas empêché de lancer une pétition pour l’officialisation du rite ibadite. Il revendique quatre mille signatures. « Depuis l’indépendance, le Mzab a été le théâtre de violences intercommunautaires. La meilleure protection que l’on puisse accorder à notre minorité religieuse réside dans l’officialisation de notre rite. »
Ce discours est étrangement absent du média le plus influent de Ghardaïa : Radio Mzab, une station publique algérienne qui ne diffuse que des émissions religieuses en alternance avec des bulletins d’informations locales en tamzabit.
« La menace qui pèse sur nous n’est ni la communauté arabe ni le pouvoir, mais la mondialisation, estime pour sa part Hadj Daoud, négociant en produits textiles. Nos jeunes désertent nos écoles pour surfer sur Internet, tournent le dos à la charia et changent leurs habitudes vestimentaires. Le jean et la casquette de base-ball se sont substitués au saroual et à la araqia (une coiffe blanche, NDLR). Ce n’est pas un hasard si la criminalité, l’usage de drogues et autres fléaux sociaux ont contaminé notre société, jadis pure », conclut-il. Idéalisation d’un passé révolu ? Sans doute. Propos excessifs ? Certainement. Car dans leur large majorité, les hommes, jeunes et vieux, portent saroual, araqia et abaya. Quant aux femmes, lorsqu’elles sortent – rarement – du domicile familial, c’est couvertes d’un drap blanc de la tête au pied. Ce conservatisme ultrareligieux contraste avec l’émancipation des femmes dans les autres communautés berbérophones. En Kabylie, la femme participe activement à la vie sociale. Quant aux Touaregs, leur société est matriarcale…
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