L’autre Salif Keita

Des harmonies arabisantes pour un renouveau musical. Un militantisme tous azimuts et un engagement revendiqué… L’artiste malien rompt avec une sagesse légendaire. Au risque de surprendre et de déplaire.

Publié le 12 novembre 2009 Lecture : 4 minutes.

Cela fait quarante ans, depuis ses débuts avec le Rail Band de Bamako, que Salif Keita chante et crie sa différence. L’actualité de ces derniers mois n’est pas pour le faire taire. Dans plusieurs pays, au Cameroun, au Burundi ou encore en Tanzanie, les albinos continuent d’alimenter les rites sacrificiels. L’ampleur du phénomène est telle que, fin 2008, l’ONU et l’Union européenne ont brisé le silence pour condamner ces pratiques d’un autre temps. Conspués, rejetés, contraints de vivre en vase clos pour éviter d’être kidnappés, tués et démembrés sur l’autel de l’obscurantisme et de la sorcellerie, les albinos sont victimes de meurtres abominables.

Cette « particularité génétique » – celle de la dépigmentation de la peau – occupe une place prépondérante dans la vie de la star malienne, qui lutte avec son association Salif Keita pour les albinos pour la reconnaissance de ces « Africains blancs ». Elle est également au cœur de La Différence, son troisième album, à sortir, le 16 novembre, chez Emarcy/Universal Jazz.

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« Je suis un blanc / Mon sang est noir / Et moi j’adore ça / C’est la différence qui est jolie / Je voudrais que nous nous entendions dans l’amour / Que nous nous comprenions dans la paix / La vie sera belle / Chacun à son tour aura son amour / Chacun dans l’honneur aura son bonheur. » Enrobée de kora et de balafon, la mélodie du titre portant le nom de l’album fait écho à la douleur et à l’incompréhension. « C’est une nouvelle occasion de dire que la différence est plus une beauté qu’une malédiction, souligne Salif Keita. Nous ne sommes plus au Moyen Âge, mais mon combat est loin d’être terminé. Il faut que les États reconnaissent ces meurtres comme des crimes, qui font honte à l’humanité tout entière. » 

Volontairement acoustique

Le message de tolérance de ce titre promis à devenir un single ne doit pas reléguer les autres morceaux à un simple fond sonore. Volontairement acoustique, « La Différence » dévoile l’attirance que l’ancien membre des Ambassadeurs voue aux harmonies arabisantes. Portées tour à tour par l’oud, le n’goni, la kora ou des séquences de cordes, jamais musiques mandingues et orientales n’ont semblé si fusionnelles, à l’exemple de « Samiga », où la trompette du Libanais Ibrahim Maalouf répond à des chœurs lancinants dans la pure tradition malienne. Pareil rapprochement donne au titre « San ka na » une profondeur particulière, tandis que le rythme enlevé de « Seydou » est, lui, entrecoupé par des riffs de cordes dignes d’un orchestre syrien.

Dans ce nouvel opus enregistré entre Beyrouth, Paris, Bamako et Los Angeles se côtoient les complices de toujours, à l’instar du bassiste Guy N’Sangue (« Djélé ») ou du guitariste Ousmane Kouyaté. De nouveaux venus, et non des moindres, font également leur apparition, comme le bassiste, d’ordinaire plutôt rock, Jannick Top (« Gaffou ») ou le guitariste Bill Frisell. Ce dernier prête son talent de jazzman sur « Folon », une des deux reprises qui, avec « Seydou », est tirée de l’album du même nom arrangé en 1995 par le complice de toujours, Jean-Philippe Rykiel.

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Pourquoi réenregistrer ce classique ? « “Folon” a été écrit en pleine révolution pour mettre fin à la dictature [de Moussa Traoré au Mali, NDLR]. C’est un morceau très important pour moi, une piqûre de rappel au moment où la mode dynastique qui s’installe dans de nombreux pays africains me semble dangereuse. » Là réside tout l’intérêt de ce nouvel album, sans doute le plus engagé de l’artiste. Au-delà de la situation tragique des albinos en Afrique, Salif Keita pousse très loin son militantisme.

Qu’il s’agisse de la lutte contre la pollution du fleuve Niger, épine dorsale de l’Afrique de l’Ouest, évoquée dans « Ekolo d’amour » ou la défense de la démocratie sur « Folon », chacun des neuf morceaux véhicule un message. À tel point que l’on peut se demander si Salif Keita ne souhaite pas s’engager en politique. « Les riches sont toujours plus riches, les pauvres toujours plus nombreux. Je n’ai pas d’autre choix que de m’engager davantage. Je ne resterai pas muet pour la prochaine présidentielle dans mon pays. » 

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« Petit militaire »

Cette liberté de ton, la star faite officier de l’ordre national guinéen par Sékou Touré, à qui il a dédié sa chanson « Mandjou », et qui a longtemps vécu à Conakry, l’utilise pour adopter une posture et une voix très dissonantes par rapport à l’actualité guinéenne. « Depuis son arrivée au pouvoir, Dadis lutte contre la drogue. Il empêche les narcotrafiquants de s’installer dans tout le pays. » Un sentiment que la répression de la manifestation du 28 septembre n’a pas altéré. Au contraire. « Ces événements sont un complot contre Dadis. C’est un petit militaire sans expérience, issu du peuple et qui a besoin d’aide. Au lieu de le condamner, l’Occident ferait mieux de le soutenir dans son combat contre les cartels de la drogue. »

Et de poursuivre : « Je ne connais pas Dadis Camara, mais je le respecte. » Par ces prises de position, Salif Keita montre surtout qu’il est en rupture avec une sagesse et une tempérance légendaires, comme pour mieux pénétrer dans l’arène politique. Au Mali ou ailleurs.

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