Dans le coeur invisible du système

Peu connu du grand public, le ministère de l’Organisation centrale a la haute main sur la nomination des cadres dirigeants dans tous les domaines : politique, économie, médias…

Publié le 9 novembre 2009 Lecture : 6 minutes.

À environ 1 kilomètre à l’ouest de la place Tiananmen et du quartier où vivent les principaux dirigeants chinois se dresse un grand bâtiment anonyme. Son entrée n’arbore ni plaque ni signe distinctif. Son numéro de téléphone ne figure dans aucun annuaire. Et quand l’un de ses occupants passe un coup de fil, aucun numéro ne s’affiche sur l’écran de son correspondant.

Bien que la République populaire ait fêté ses 60 ans le 1er octobre, le Zhongzubu – autrement dit le ministère de l’Organisation centrale – reste peu connu, même des Chinois. Au cours des trois dernières décennies, il s’est pourtant imposé comme le principal instrument de la mainmise du Parti sur le pouvoir.

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Depuis la fin des années 1970, la conversion de la Chine à l’économie de marché a entraîné un boom de la croissance et une révolution sociale. Les Chinois sont plus libres et plus riches qu’à l’époque communiste pure et dure. Ils peuvent travailler où ils veulent, voyager, acheter des logements et des voitures. Mais si le Parti a assoupli sa surveillance dans ces domaines, il a accru son emprise sur les autres leviers du pouvoir.

Avec l’armée et les médias, le ministère de l’Organisation est le troisième pilier sur lequel il s’appuie, la clé de voûte de son contrôle sur les cadres, à tous les échelons du gouvernement et de l’industrie. Loin de miner les prérogatives du Zhongzubu, la libéralisation économique rend le contrôle politique de ce dernier encore plus nécessaire.

Li Yuanchao, l’un des dirigeants les plus ouverts de la jeune génération, est à sa tête depuis la fin de 2007. Après un bref passage par la Kennedy School of Government de l’université Harvard, il s’est révélé l’un des plus ardents promoteurs de la modernisation du Parti. Pourtant, le mode de fonctionnement de son ministère reste très archaïque. Le Zhongzubu est une réplique de ce que fut la nomenklatura soviétique, cette élite du parti communiste qui se partageait les postes les plus prestigieux. « C’est le même système que dans la défunte Union soviétique, mais poussé à l’extrême, confirme l’universitaire Yuan Weishi. La Chine est plus radicale que ne l’était l’URSS. Le Parti communiste chinois (PCC) veut tout diriger. »

À huis clos

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Pour donner une idée de l’importance du Zhongzubu, transposons-le aux États-Unis. Il superviserait alors la nomination des gouverneurs d’État ; des maires des grandes villes ; des dirigeants des agences fédérales, des patrons de General Electric, d’Exxon Mobil, de Walmart et d’une cinquantaine d’autres grandes entreprises ; des juges à la Cour suprême ; de la direction du New York Times, du Wall Street Journal et du Washington Post ; des présidents des chaînes de télévision et des stations de radio ; des présidents de Yale, de Harvard et d’autres grandes universités ; enfin, des dirigeants de think-tanks tels que la Brookings Institution et la Heritage Foundation.

En Chine, tous les postes équivalents sont occupés par des cadres nommés par le Parti avec la béné­diction du ministère de l’Organisation. À de rares exceptions près, leurs titulaires sont tous membres du Parti. Le processus de désignation se déroule à huis clos. Nominations et mises à l’écart sont annoncées sans la moindre explication.

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L’influence de ce ministère est telle que c’est là que se livrent les batailles les plus âpres pour le pouvoir. « Dès qu’un poste est vacant, les dirigeants pékinois se précipitent pour y caser l’un des leurs. Ce choix délicat incombe au ministère de l’Organisation, explique Wu Si, le rédacteur en chef du magazine Annales de l’empereur jaune. Les candidats sont censés être jugés sur leurs seules compétences, mais en réalité tout dépend de leur relation avec le ministère et de l’ancienneté de leur supérieur hiérarchique. Au bout du compte, le Zhongzubu a le dernier mot. »

En l’absence d’élections, la guerre des nominations a lieu en coulisse. Chargé d’arbitrer ces querelles, le ministère se retrouve au centre de l’échiquier politique, mais aussi au milieu d’un champ de bataille où se joue le sort de réformes cruciales pour la modernisation du Parti. Il est donc sans cesse en proie à des tensions. Le Bureau politique a bien tenté de davantage lier le choix des principaux dirigeants à leurs compétences, mais il a simultanément sapé ce processus en procédant à des nominations fondées sur des liens de parenté ou d’allégeance. Les gouvernements locaux, eux, ont carrément établi un système dans lequel les postes sont à vendre au plus offrant.

Les règles en matière de nominations sont aujourd’hui codifiées dans plus de soixante-dix articles qui s’apparentent à un texte de loi. Les promotions sont liées à l’ancienneté, au niveau d’études et à la formation suivie, tous les cinq ans, dans une école du Parti. Le ministère utilise les techniques les plus sophistiquées des chasseurs de tête : tests psychologiques, détecteurs de mensonge, entretiens confidentiels avec les collègues de l’éventuel promu…

Les gouverneurs et les maires sont notés selon une longue liste de critères qui semblent avoir été conçus par des consultants en management. La croissance économique, l’investissement, l’ordre public, la qualité de l’air et de l’eau de leur province ou de leur commune sont pris en compte, du moins en théorie, dans l’évaluation de leurs performances. Pour les tenants de la modernisation, ces dispositions sont essentielles pour élever le niveau de l’administration et réduire la corruption.

Mais elles ont leurs limites. Par exemple, de « jeunes cadres exceptionnellement doués » peuvent être promus indépendamment de leur ancienneté. Or « presque tout le monde obtient le même nombre de points, puisque, dans le cas contraire, on se fait mal voir de son supérieur hiérarchique », explique un conseiller du ministère.

Autre limite : les plus hauts dirigeants ont souvent alterné fonctions ministérielles et responsabilités dans l’industrie. Li Peng, l’ancien Premier ministre, a longtemps dirigé le secteur de l’énergie, dans lequel deux de ses enfants ont fait une belle carrière. Zhu Rongji, autre ancien Premier ministre, supervisait pour sa part le secteur de la finance, ce qui lui a permis de nommer les patrons des principales institutions financières et d’imposer son fils à la tête de la China International Capital Corp., la plus grande banque d’investissement du pays. Quant à Jiang Zemin, l’ancien numéro un du Parti, il régnait sur le secteur des technologies ; grâce à quoi il a placé ses fidèles sur orbite et propulsé son fils à un poste de premier plan, à Shanghai.

Vieilles habitudes

Le Zhongzubu fonctionne toujours sur le même mode. Les cadres prometteurs sont soumis à des tests redoutables. Ils sont expédiés dans les provinces et dans différentes administrations, puis se voient confier, quand ils ont fait leurs preuves, de hautes responsabilités à Pékin. Avant d’être nommé ministre du Commerce, en 2007, Chen Deming avait ainsi occupé trois postes importants. Maire et secrétaire du Parti à Shuzhou, il a contribué à faire de cette ville proche de Shanghai l’un des centres industriels les plus en pointe du pays, n’hésitant pas à défendre les intérêts locaux même quand cela déplaisait à Pékin. Il a ensuite été nommé dans la province de Shanxi, où sa bonne réputation a survécu à de fréquents accidents dans les mines de charbon. Dans la capitale, enfin, il s’est vu confier le ministère (sensible) de l’Énergie, avant de décrocher celui du Commerce. Carlos Gutiérrez, son homologue au sein de l’administration Bush, se souvient avoir été impressionné par l’autorité avec laquelle il tenait son ministère très peu de temps après sa nomination.

Le ministère de l’Organisation livre peu à peu ses secrets. Pourtant, les vieilles habitudes ont la vie dure. Ainsi, personne n’a accepté de nous recevoir pour compléter notre enquête. Le seul moyen d’entrer en contact avec le Zhongzubu est de composer l’unique numéro de téléphone disponible, le 12380, qui est immuablement sur répondeur. Ou d’aller sur un site Web, où les internautes peuvent « signaler tout problème d’organisation ». 

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