Mona Eltahawy

Depuis le 11 septembre, cette journaliste égyptienne installée à New York n’écrit plus que des éditoriaux. Qui lui valent prestigieuses récompenses et menaces de mort.

Publié le 9 novembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Crinière léonine et spartiates à talon, Mona Eltahawy est féminine jusqu’au bout de ses ongles vernis de bleu, comme toute fashion victim qui se respecte. Mais dès qu’elle ouvre la bouche, tout change. Son apparente légèreté de libellule s’envole ! Dans sa vie professionnelle, il y a un avant et un après-11 Septembre. Avant, elle était reporter pour l’agence de presse Reuters. D’abord au Caire, puis à Tel-Aviv. Dans ses dépêches, elle rapportait avec objectivité les propos des uns et des autres. « Les Palestiniens ont dit…, les Israéliens ont déclaré…, le gouvernement a affirmé…, l’opposition a annoncé… »

Et puis, un jour, elle en a eu assez de l’objectivité. « D’ailleurs, il ne pouvait plus y en avoir après le 11 septembre. J’ai décidé de faire entendre ma voix », confie cette jeune femme née à Port-Saïd il y a quarante-deux ans et désormais installée à New York.

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« Les seules voix musulmanes que l’on entendait à l’époque étaient celles des islamistes, se souvient-elle. Comme nombre de mes coreligionnaires, j’ai alors pris conscience que je laissais les extrémistes parler à ma place, alors qu’ils ne véhiculaient ni mon point de vue ni celui des croyants de ma connaissance. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de “créer” un espace où je puisse m’exprimer. »

Aujourd’hui, Mona Eltahawy ne cesse de donner son avis. Sur les sites de réseau social Facebook et Twitter, où cette « accro » compte près de cinq mille « amis ». Mais aussi, et surtout, dans les tribunes qu’elle publie dans des médias plus traditionnels comme le New York Times ou le Washington Post. Ses éditoriaux paraissent également dans des titres arabes comme Al-Masry Al-Youm (Égypte) ou Al-Arab (Qatar).

Mais l’écriture n’est pas la seule corde de l’arc dont elle use pour décocher ses flèches ! Mona Eltahawy possède aussi des talents d’oratrice que personne ne lui contestera. Et surtout pas ceux qui ont eu l’occasion de l’écouter lors des conférences ou des débats télévisés auxquels elle est régulièrement conviée.

Au cours des six dernières semaines, elle s’est rendue à Aarhus (Danemark), dans plusieurs villes américaines et à Dubaï. La semaine prochaine, elle sera dans l’Oklahoma, puis s’envolera pour Kuala Lumpur, en Malaisie.

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Ses thèmes de prédilection : l’islam et les régimes arabes liberticides. Et l’actualité, bien sûr : de l’interdiction de la burqa en Occident à la condamnation d’un Saoudien qui s’était vanté publiquement de ses prouesses sexuelles, en passant par la flagellation d’une journaliste soudanaise ou la fatwa lancée contre les importateurs de faux hymens en Égypte.â©Une actualité qu’elle n’hésite d’ailleurs pas à interpréter à travers le prisme de sa propre expérience : elle qui se définit aujourd’hui comme une « féministe musulmane, libérale et fière de l’être », porta naguère, neuf années durant, le voile islamique…

Elle est membre du progressive MUSLIM Union of North America. L’une de ses héroïnes n’est autre qu’Amina Wadud, la première femme à avoir dirigé une prière du vendredi, en mars 2005, à New York. Bien sûr, Mona était parmi la centaine de fidèles, hommes et femmes, qui participèrent à l’événement.

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L’islam, sa religion, reste l’un de ses sujets favoris. Elle raconte en avoir découvert les différentes interprétations à l’âge de 15 ans, lorsque ses parents, deux médecins fraîchement diplômés d’une université britannique, décidèrent de s’installer en Arabie saoudite. « L’islam que nous pratiquions à la maison était très différent de celui qui prévalait à l’extérieur. C’est à ce moment-là que je suis devenue féministe, quand j’ai pris conscience de la vie imposée aux Saoudiennes », dit-elle.

Quinze ans plus tard, elle devient journaliste, s’installe en Israël et se convertit à l’islam libéral. « Les juifs orthodoxes me faisaient irrésistiblement penser aux wahhabites d’Arabie saoudite. Ils m’ont permis de comprendre que les fondamentalistes, d’où qu’ils viennent, se ressemblent tous. »

Ses prises de position ne font pas l’unanimité. Loin de là. Souvent, à la fin d’une conférence, des gens l’interpellent : « Êtes-vous bien sûre d’être musulmane ? » Rien ne lui fait plus plaisir : « Ça me conforte dans l’idée que j’ai semé le doute dans leur esprit, que j’ai tordu le cou à l’image stéréotypée qu’ils se font des musulmanes. » Mais d’autres, exaspérés par son discours et moins enclins au dialogue, l’accusent de vouloir détruire l’islam, lui envoient des menaces de mort ou réclament son excommunication.

Beaucoup sont, comme elle, Egyptiens, ce qui ne facilite pas forcément les choses tant Mona entretient avec son pays des rapports passionnels. « J’adore l’Égypte, mais j’abhorre ses dirigeants », résume-t-elle. Ces derniers le lui rendent bien. Farouk Hosni, le ministre de la Culture, n’a-t-il pas déclaré qu’elle ne méritait pas d’être égyptienne ? « Il n’a pas apprécié que j’écrive dans le Washington Post que, pour sa part, il ne méritait pas de diriger l’Unesco. »

À mesure que sa notoriété croît, le nombre de ses détracteurs s’agrandit. Certains journaux égyptiens ont récemment tenté d’interpréter le prix que lui a décerné l’ONG américaine Search for Common Ground comme un appel, auquel elle se trouverait ainsi associée, à manifester davantage d’indulgence à l’égard d’Israël. « Cette distinction m’a été remise après la publication d’un article sur un médecin palestinien qui a perdu trois de ses filles et sa nièce dans les bombardements de Gaza, au début de l’année, et qui, malgré tout, continue de vouloir la paix et de refuser la haine », précise-t-elle. À l’en croire, ce régime est totalement schizophrène : « L’Égypte a signé un accord de paix avec Israël, il y a trente ans. Comment expliquer qu’un prix récompensant une journaliste qui milite pour le dialogue au Moyen-Orient y soit encore considéré avec suspicion ? »

Les attaques dont elle est victime ne font qu’accroître son désarroi. Elle ne se résigne pas à voir son pays sombrer dans le conservatisme le plus étouffant. Elle ne supporte pas que toute voix libre y soit muselée. « Au fond, cette évolution n’est pas étonnante, puisque le même homme est au pouvoir depuis vingt-huit ans », conclut cette empêcheuse de penser en rond qui se décrit volontiers comme une abeille : elle ne pique que pour défendre son espace vital. Autrement dit, sa liberté.

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