Zoubeir Turki, dans le marbre de l’éternité

Figure centrale de la scène culturelle tunisienne et maghrébine, ce peintre portraitiste aimait à croquer des figures typiques de Tunisois qu’il tirait de sa mémoire. Artiste multidimensionnel, il laisse notamment une sculpture colossale d’Ibn Khaldoun, à qui il prêta ses propres traits.

Publié le 9 novembre 2009 Lecture : 3 minutes.

Zoubeir Turki, qui nous a quittés le 23 octobre, était un artiste complet. À multiples facettes, il était d’abord un grand portraitiste. Il aimait à croquer des personnages qu’il tirait de sa mémoire, auréolés de cette puissance onirique qu’acquièrent les choses d’autrefois. Des figures typiques de beldis – les citadins de Tunis – qu’il avait fréquentés pendant sa jeunesse et qui évoquaient des activités disparues ou des traditions en voie d’extinction.

Cette mémoire foisonnante en images d’un passé révolu, il la partage avec une fratrie nombreuse. Six frères, tous artistes à leurs heures, mais dont se détache, de loin, l’aîné, Hédi, au talent reconnu, et lui aussi remarquable portraitiste, avant sa mue en peintre non figuratif.

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Nostalgie des lieux

Dans ses portraits, Zoubeir Turki se soucie peu de la ressemblance. Ce qui l’intéresse, c’est de « donner à voir » une sorte de typologie des citadins de Tunis, en mettant en lumière – et en couleurs le plus souvent – des traits qui leur sont communs : un généreux embonpoint, une sérénité non exempte de malice, cette « immanence » dans laquelle baignait toute une population insouciante des lendemains. Dans ces figures apaisées, il arrive qu’on remarque des ressemblances frappantes avec des personnages connus. Sans doute non fortuites, celles-ci sont, de la part de l’artiste, comme un clin d’œil, un sourire amusé. C’est l’une des marques de son style – qu’il partage avec son défunt ami et compagnon, le talentueux Gorgi – que de s’insinuer, subrepticement, sous les traits de ses personnages, avec ironie ou tendresse.

Zoubeir Turki, qui avait fréquenté, un moment, les cours de la Grande Mosquée de la Zitouna, a gardé de ce passage rapide – comme furtif – la nostalgie des lieux et des hommes qu’il a pu y côtoyer. Sentant déjà que ceux-ci étaient bientôt appelés à disparaître, il leur conférait, par son pinceau, une manière d’éternité. Il faisait ainsi œuvre à la fois de sociologue et d’historien amoureux d’un Tunis crépusculaire, dont ses personnages étaient les derniers témoins.â©Si l’univers pictural de Zoubeir Turki respire la sérénité et semble exprimer quelque nostalgie du passé, l’homme, toujours en mouvement, menait une vie trépidante, totalement engagée dans les activités de la cité. Un constant bouillonnement d’idées, de projets et de rencontres caractérise l’homme. Il aime la discussion, se passionne pour des idées et exerce sa verve, souvent fougueuse, pour fustiger un comportement qui lui déplaît. Ses amis sont innombrables. Mais il n’a pas que des amis. Avec Hatim el-Mekki – disparu il y a quelques années –, il eut des disputes homériques.

Self-made man

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Jusqu’à ce que la maladie l’en eût empêché, Zoubeir Turki se dépensait sans compter, avec vigueur et intelligence, avec un talent toujours renouvelé et surprenant. Il a tâté du théâtre, en collaborant à Mourad III, la pièce de Habib Boularès, qui n’eut pas la carrière qu’elle méritait. Il en conçut les décors et les costumes, aida, de ses conseils, le metteur en scène et principal acteur, le prodigieux Aly Ben Ayed. Il prit part à l’organisation de diverses activités culturelles, en tant que conseiller de plusieurs ministres de la Culture. Il fréquenta alors des hommes de théâtre, des compositeurs et des journalistes, et eut de nombreux contacts dans les milieux politiques.

Grâce à ces fréquentations enrichissantes, il engrangeait, à chaque fois, des connaissances nouvelles, élargissait ses horizons. Self-made man – comme son très proche confrère Ammar Farhat, qu’il adorait –, il n’avait aucun complexe à frayer avec les sommités de la culture, tel le grand écrivain Mahmoud Messadi, à qui il réservait – comme il se doit – une place à part dans son panthéon imaginaire.

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Ne manquant jamais d’ambition, Zoubeir Turki fit une colossale sculpture du penseur et historien tunisien Ibn Khaldoun. En lui prêtant la posture d’un sphinx fixant la cité et des traits rappelant son propre visage, il voulut, sans doute, s’assurer, dans cette ville qu’il a tant aimée, l’immortalité à laquelle aspire tout artiste de génie.

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