Les 12 travaux d’Ali Bongo Ondimba

Les premières décisions du nouveau chef de l’État marquent une profonde rupture. Organisation du pouvoir, relance de l’économie, diplomatie… les défis à relever sont impressionnants. Le plus dur ne fait que commencer.

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Publié le 17 novembre 2009 Lecture : 7 minutes.

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Les 12 travaux d’Ali

Sommaire

« Ce n’est pas une rupture mais une évolution. Nette et rapide, c’est une évidence, mais pas aussi brutale qu’on veut bien le dire. Je ne suis pas un cheval fou, je respecte simplement mes engagements. Mon père aurait accepté toutes ces décisions. » Pour Ali Bongo Ondimba (ABO), qui nous a expliqué par téléphone la démarche qui guide ses premiers pas à la tête du pays, l’heure n’est donc pas à la révolution. Pourtant, le vent du changement annoncé ressemble fort à une tempête qui balaie tout ou presque sur son passage. Les hommes et les femmes accrochés à leurs privilèges d’antan, les (mauvais) usages en vigueur sous son père, les mentalités aussi. À tel point que les Gabonais, les makayas d’en bas comme les barons d’en haut, grands amateurs de surnoms attribués à leurs hommes politiques, ont baptisé leur troisième chef de l’État « TsunAli ». Avant, c’était « Baby Zeus »…

Tout a commencé avec le grand nettoyage des écuries d’Augias. D’abord à la présidence. Exit les hauts représentants généraux, les coordonnateurs, les commissaires, la flopée de vrais-faux conseillers entretenus à grands frais et le cabinet privé. Puis ce fut le tour de l’équipe gouvernementale, restreinte à trente membres, contre quarante-quatre dans la précédente. Seuls Paul Toungui (Affaires étrangères), le compagnon de Pascaline Bongo Ondimba, membre du gouvernement depuis vingt ans, Jean-François Ndongou (Intérieur), Laure Olga Gondjout (Communication), Angélique Ngoma (Défense) et quelques autres ont conservé un maroquin.

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« J’ai voulu associer l’expérience des uns à la jeunesse et à la fougue des autres, nous explique Ali Bongo Ondimba. J’ai dû faire des choix, c’est vrai, mais je compte beaucoup sur l’association de ces différentes générations. » Les nouveaux ministres ont en outre été priés de se passer des traditionnelles et coûteuses cérémonies d’installation, remplacées par une simple passation de service. Tout comme leur a été intimé l’ordre de ne plus se rendre au « village » pour fêter dans leurs fiefs leur dernière promotion et de déclarer leur patrimoine…

Les parlementaires n’échappent pas à la reprise en main : il leur est désormais interdit de cumuler leur fonction d’élu avec celle de président de conseil d’administration, dans le public comme dans le privé. Enfin, les fonctionnaires doivent demander leur détachement ou des congés sans solde pour s’adonner aux joies du syndicalisme ou de la politique. De multiples audits ont été lancés, dont celui qui concerne la fonction publique – véritable mammouth à dégraisser – n’est pas le moindre. « Attendons les conclusions de cet audit, explique un sénateur du Parti démocratique gabonais (PDG), mais il faudra certainement réduire de moitié les effectifs. Il faut bien vous rendre compte que la masse salariale de la fonction publique avoisine les 360 milliards de F CFA. Le budget consacré aux investissements, lui, plafonne autour de 200 milliards de F CFA depuis des années. Si nous souhaitons faire avancer ce pays, il faut inverser cette tendance, nous n’avons pas d’autre choix. »

Mais si le discours officiel est frappé au coin du bon sens – il faut réduire le train de vie de l’État pour consacrer plus de moyens au développement du pays –, la remise en ordre de la maison Gabon ne va pas sans heurts. « Bien sûr qu’il y a des réactions négatives, précise un proche du chef de l’État. Ceux qui pensaient conserver leurs petites et grandes baronnies ou qui estimaient n’avoir pas démérité pendant la campagne présidentielle n’acceptent pas d’avoir été éjectés. Certains menacent même ouvertement de rejoindre les rangs de l’opposition. C’est comme ça… » ABO, qui n’a pas particulièrement envie de se créer une génération spontanée d’ennemis, sait qu’il ne jouera pas toujours sur du velours. La plupart de ces « recalés », et les originaires de sa province du Haut-Ogooué en particulier, avaient été prévenus pendant la campagne qu’il n’y aurait pas de place pour tout le monde. Certains ont pu être « recasés » au sein du conseil d’administration de telle ou telle entreprise. D’autres, pour garder le contact, sont invités à des déjeuners de groupes de la majorité à la présidence ou fréquentent avec plus ou moins d’assiduité le premier étage du Palais du bord de mer, où le chef de l’État s’est installé, dans le bureau de feu Omar Bongo Ondimba. Une pièce à laquelle il n’a pas touché… 

Equilibres régionaux

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Le Gabon, qui rêvait d’alternance ou à tout le moins de changement, est en fait entré en transition. Certaines constantes, malgré les allures de révolution en cours, ont été maintenues. Comme celle qui veut que le Premier ministre, Paul Biyoghé Mba actuellement, soit obligatoirement un Fang de l’Estuaire. Mais rien ne dit que cette règle non écrite ne sera pas, un jour, abolie. Les équilibres régionaux sont l’objet d’une attention toute particulière. Mais l’appartenance ethnique ou régionale n’est plus le seul sésame pour les postes d’importance, il faut désormais y adjoindre une dose minimale de compétence…

Ali Bongo Ondimba se sait attendu au tournant. À 50 ans, il préfigure une nouvelle génération de dirigeants africains, différents de leurs aînés, peu comparables en termes de stature, moins madrés mais plus modernes, plus directs et plus ouverts. Comme Mohammed VI, dont il dit vouloir s’inspirer, le chef de l’État sait qu’on le comparera toujours à Omar Bongo. Comme M6 toujours, il dirigera son pays différemment, s’appuiera sur des hommes nouveaux, plus jeunes, sans jamais critiquer son illustre père. De l’art, difficile, de se faire un prénom sans renier son nom…

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Tout le monde attendait les premiers signaux, l’entrée en matière, pour en savoir un peu plus sur son état d’esprit et sa méthode. L’homme n’a pas d’états d’âme et semble plus adepte de la marche forcée que des petits pas. « Il fait bouger les lignes, casse les codes jusqu’ici en vigueur, commente un membre du courant rénovateur du PDG, fondé par Ali mais peu représenté autour de lui à des fonctions officielles. Il est spontané, toujours courtois mais franc. Je crois que les Gabonais sont surpris. Ils ne s’attendaient pas à ce qu’il tienne ses promesses, notamment celles liées à la réduction du train de vie de l’État. Maintenant, il faut veiller à ne pas trop bousculer un pays qui n’a connu que l’inertie au cours de la dernière décennie. Si l’on va plus vite, on risque la sortie de route… »

Pas sûr qu’ABO écoute ce genre de conseils. L’homme est pressé, veut du concret et a des comptes à rendre. Où sont passés les 10 millions d’euros de médicaments achetés par l’État mais absents des hôpitaux ? Il commande un audit. L’industrie forestière, premier employeur du pays, ne crée pas assez de richesses ? Il interdit l’exportation des grumes de bois si elles ne sont pas transformées sur place. Sur le front intérieur, il doit faire face à une opposition qui, si elle veut exister, n’a pas d’autre choix que de faire parler d’elle. Les liens avec Pierre Mamboundou, l’opposant historique, existent. La nomination de son « frère » Jean Félix Mouloungui au poste de ministre des Petites et moyennes entreprises et de l’Artisanat, dont il a été prévenu, l’atteste. Il se murmure que Mamboundou vise le poste de vice-président. Dommage, ABO souhaite « geler » ce dernier, inutile à ses yeux aujourd’hui.

Avec le frère ennemi André Mba Obame, en revanche, pas l’ombre d’un rapprochement. « André intrigue, appelle Jean Ping [le président de la Commission de l’Union africaine, NDLR], prend contact avec des chefs d’États de la sous-région pour obtenir une médiation internationale. Il est resté bloqué sur les élections. Qu’il joue son rôle d’opposant, s’il le peut… », commente un faucon du PDG qui, comme nombre de ses compagnons de l’ex-parti unique, n’a digéré ni sa « trahison » ni ses attaques durant la campagne électorale. Les deux hommes pourront-ils se réconcilier, à l’instar des Sénégalais Abdoulaye Wade et Idrissa Seck ? « En politique, rien n’est jamais définitif, explique un ancien cacique du régime Omar Bongo. Ceux qui ont perdu leur place comme Mba Obame reviendront peut-être un jour. Vous savez, chez nous, on a tout vu. Et l’antichambre du pouvoir a toujours été bien remplie. » Oui, mais c’était une autre époque. 

Pragmatisme

Sur le front extérieur, en revanche, Ali arrondit les angles, discute, consulte. D’abord avec les dirigeants de la sous-région. « Je suis le petit nouveau mais cela se passe bien. Les différentes visites se sont déroulées dans un climat serein, y compris avec la Guinée équatoriale ou quand il s’est agi de faire la lumière sur ce qui s’est passé au sein de la Beac », raconte Ali Bongo Ondimba. L’heure est au pragmatisme et, visiblement, à un nouveau départ, même si, à l’évidence, chacun défendra ses intérêts bec et ongles.

Les premiers pas de « TsunAli » semblent aller dans le sens souhaité par des Gabonais au départ réticents à toute succession dynastique. Les attentes sont énormes et les défis à relever, pour le principal intéressé comme pour le pays, impressionnants. La rédaction de Jeune Afrique dresse dans les pages suivantes la liste des travaux herculéens qui attendent le successeur d’Omar Bongo Ondimba. Les uns attendent la suite avec impatience, les autres le moindre faux pas. Pas facile de trouver son chemin, à moins d’être funambule. Le pouvoir acquis, il faut maintenant rassembler, convaincre, prouver, obtenir des résultats rapidement. Rupture ou pas, le plus dur ne fait que commencer.

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