Marie NDiaye lauréate du prix Goncourt
Lauréate du prix Goncourt
Un seul mot : enfin ! En attribuant, le 2 novembre, leur prix à la romancière et dramaturge française Marie NDiaye, les jurés du prix Goncourt n’ont fait qu’entériner ce que les lecteurs comme les critiques savaient déjà : l’auteure de Rosie Carpe et de Trois femmes puissantes (Gallimard) est l’un des plus grands écrivains contemporains de langue française. Tout sourire à l’heure de recevoir cette nouvelle distinction littéraire, la jeune femme de 42 ans s’est réjouie d’un prix qui sanctionne son « opiniâtreté ». Et plus de vingt-cinq années consacrées à l’écriture.
Née en 1967 à Pithiviers (Loiret), dans le centre de la France, Marie NDiaye a publié son premier roman à l’âge de 17 ans (Quant au riche avenir) aux Éditions de Minuit. Le grand découvreur de talents qu’était l’éditeur Jérôme Lindon avait-il déjà perçu la cruelle acuité de son regard lorsqu’il vint l’attendre à la sortie du lycée pour lui faire signer son premier contrat ? Sans doute. À l’inverse de son frère Pap Ndiaye*, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud et agrégé d’histoire (La Condition noire. Essai sur une minorité française, Folio Actuel), Marie n’a pas poursuivi d’études qui s’annonçaient brillantes, se consacrant exclusivement à l’écriture.
Auscultant sans concession les pires instincts de l’humanité, Marie NDiaye crée dès ses premiers textes un monde étrange et singulier qui n’appartient qu’à elle. Un univers déstabilisant qui suscite le trouble, le malaise, le vertige, servi par une écriture au rythme hypnotique. Un univers à la violence feutrée, peuplé de fantômes et de non-dits, où la méfiance, la défiance, le poids des blessures du passé empoisonnent les relations entre les êtres. Un univers désespérant sans être désespéré, à l’image des trois femmes de son dernier roman, qui, en dépit de la cruauté du destin, portent en elles une puissance indestructible.
Le succès n’est pas venu immédiatement, mais il est venu vite. En 1996, La Sorcière suscite l’engouement des lecteurs. En 2001, Rosie Carpe obtient le prix Femina. En 2003, Marie NDiaye est la première femme à entrer de son vivant à la Comédie-Française avec sa pièce Papa doit manger. Et avant même de recevoir le Goncourt, Trois femmes puissantes bénéficiaient déjà d’un tirage supérieur à 150 000 exemplaires…
Ce dernier livre (voir J.A. n° 2540) est sans doute celui qui évoque le plus le Sénégal, pays d’origine du père de Marie NDiaye qui abandonna très tôt le foyer familial. Est-ce un hasard ou un virage dans la vie de l’écrivain ? Il y a peu, elle déclarait à Jeune Afrique : « Je regrette depuis toujours de ne pas avoir de double culture, alors que j’étais dans une situation idéale pour l’avoir. Je n’ai pas eu une enfance africaine, je ne l’aurai jamais. À 42 ans, il est trop tard pour acquérir une double culture. Aujourd’hui, j’ai plutôt conscience de ce que c’est que de ne pas en avoir – de ce que représente un métissage tronqué dont on n’a que les apparences. » Même si, de son propre aveu, l’Afrique qu’elle raconte est « plus fantasmée que réaliste », l’intérêt pour le continent existe bel et bien : n’a-t-elle pas récemment coécrit le scénario du très africain film de Claire Denis, White Material, qui sortira en 2010 ?
Aujourd’hui, Marie NDiaye vit à Berlin (Allemagne) avec son mari, l’écrivain Jean-Yves Cendrey – avec lequel elle a écrit plusieurs pièces de théâtre –, et leurs trois enfants. Si la famille ne cesse de déménager, c’est en partie pour nourrir l’écriture du couple avec des lieux nouveaux. Mais pas seulement. En août dernier, la jeune femme déclarait à l’hebdomadaire culturel français Télérama : « Nous n’avions plus du tout envie d’être là, dans cette France qui venait d’élire Sarkozy. » Un propos sans doute abrupt, mais qui ne doit pas surprendre. Marie NDiaye a fait le choix du roman, c’est-à-dire du « lieu de la complexité et de l’ambiguïté ». Tout l’oppose – à commencer par sa modestie – aux dangereux raccourcis du tristement célèbre discours de Dakar comme aux divagations démagogiques sur une prétendue « identité nationale ». Si les personnages de NDiaye sont souvent en décalage avec le monde où ils évoluent, désorientés, profondément humains, c’est sans doute parce qu’elle se méfie de ces « identités meurtrières » qui n’ont pour seul effet que de dresser les individus les uns contre les autres.
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